La vague de démissions et de limogeages de hauts fonctionnaires ukrainiens n’est que le dernier soubresaut d’un séisme politique plus large qui secoue Kiev. Tout a commencé par la démission d’Oleksij Arestovych, l’un des plus éminents conseillers du président Volodymir Zelensky, qui a été englouti par la controverse après avoir mis en doute la cause de la catastrophe du Dnipro.

Le lendemain de sa lettre de démission, le 18 janvier, un hélicoptère s’est écrasé sur un jardin d’enfants à Brovary ; à bord de l’hélicoptère se trouvaient le ministre de l’Intérieur, son adjoint et le secrétaire d’État, et tous les trois sont morts. Dans l’enquête, confiée aux services de sécurité ukrainiens (SBU), la piste du sabotage n’est pas écartée.

Pendant ce temps, un squelette est sorti de l’armoire de la SBU. Le chef du renseignement militaire (GUR), Kirill Budanov, dans une interview accordée au Wall Street Journal, accuse les services de sécurité du meurtre de Denis Kireev, l’un de ses hommes de confiance les plus proches, qu’il avait chargé de s’asseoir à la table des négociations à Gomel. Le conseiller de Zelensky, Mykhailo Podolyak, avait tenté en vain de minimiser l’affaire, parlant d’un « manque de coordination » entre le SBU et le GUR. Dans une interview ultérieure à Radio Svoboda, Budanov a déclaré que son fonctionnaire avait été éliminé par des agents du SBU afin de faire échouer le processus de négociation. Quelques heures plus tard, la démission de Kyrilo Timoshenko, chef adjoint du bureau présidentiel, est intervenue après l’annonce de Zelensky concernant les « décisions relatives au personnel  » ; cette démission a été suivie de celles du vice-ministre ukrainien de la Défense, Viatcheslav Shapovalov, du procureur général adjoint, Oleksiy Symonenko, et de plusieurs gouverneurs de régions contrôlées par Kiev, notamment Kherson et Zaporizhye.

Face à cette succession rapide et dramatique de faits, l’appareil de pouvoir construit autour de Zelensky pourrait-il imploser ? Sommes-nous en danger d’assister à une nuit des longs couteaux ?

Nous avons demandé un commentaire à un représentant de l’opposition de gauche (proscrite par le gouvernement), Alexei Albu, député du conseil d’Odessa pour le parti Borotba, survivant du massacre du 2 mai 2014 et réfugié à Lougansk.

Démissions et licenciements en rafale, que se passe-t-il au sein de la junte de Kiev ?

Le gouvernement ukrainien n’est pas homogène. Les différents clans politiques ont des mécènes étrangers différents. Certains interagissent avec le secteur semi-civil, par exemple avec diverses fondations, telles que la Free Soros Society, USAID, UKAID, IRI, NED, Freedom House, Conrad Adenauer Foundation, etc.

Certains interagissent directement avec les agences de renseignement étrangères, comme la CIA et le MI-6. Certains représentent les intérêts du capital européen.

La démission du gouvernement ukrainien peut indiquer des divisions au sein du camp impérialiste : elles divisent les zones d’influence politique restantes.

Le 16 janvier, le Parlement a lancé une pétition en faveur de la démission d’Arestovich, qui a fait l’objet d’une publication sur Facebook le lendemain. Qu’est-ce qui a conduit à ce rejet retentissant ?

La sortie d’Arestovich pourrait être liée à son désir de devenir le principal négociateur de l’Ukraine avec le côté russe.

Il envoie souvent au Kremlin le signal qu’il est, parmi l’ensemble de l’établissement politique ukrainien, la figure la plus appropriée. Et donc, le candidat le plus commode pour les négociations.

Les contradictions au sein de l’élite ukrainienne s’intensifient et grandissent chaque jour.

Par conséquent, Arestovich veut se dissocier des russophobes enragés, car il pense à son avenir politique dans la réalité de l’après-guerre. Dans cette réalité, l’Ukraine devra toujours négocier avec la Russie.

Quels équilibres ont été rompus au sein du groupe de pouvoir qui gouverne l’Ukraine ?

Malheureusement, nous n’avons pas d’informations privilégiées. Nous ne pouvons tirer des conclusions qu’à partir des manifestations extérieures de certains processus.

Le groupe qui était lié au MI6 est probablement en train de perdre du terrain. Et le groupe associé à la CIA, au contraire, se renforce.

La CIA contrôle le travail du Bureau national anti-corruption de l’Ukraine, qui est à l’origine des arrestations de hauts fonctionnaires. C’était impossible sans la permission d’en haut.

Nous le voyons dans d’autres signes qui ont influencé les arrestations de hauts fonctionnaires et d’hommes d’affaires dans la région d’Odessa.

En ce qui concerne la catastrophe aérienne de Brovary, des rumeurs ont circulé sur un inside job (travail de l’intérieur ; N.d.T.: un travail fait avec l’aide de quelqu’un à l’intérieur de l’organisation). À la lumière de ce qui se passe, pensez-vous que cela soit possible ?

Nous savons que Monastyrsky (ministre de l’Intérieur, Ndlr), qui était à bord, avait commencé à prendre ses distances avec Zelensky. Et il a commencé un rapprochement politique avec Zaluzhny. En outre, le vice-ministre, qui supervisait de nombreuses affaires criminelles très médiatisées impliquant les intérêts de Zelensky, est mort dans l’hélicoptère. Cela suggère que l’hélicoptère ne s’est peut-être pas écrasé à cause d’un dysfonctionnement.

Le scandale du meurtre de Kireev montre une faille au sein de la communauté du renseignement. Pourquoi cette affaire a-t-elle été révélée maintenant ?

Le fait que cette information n’ait fait surface que maintenant peut indiquer que certains clans politiques veulent l’utiliser dans leur lutte interne. C’est un signe supplémentaire d’une grave division et d’un déséquilibre du système.

Ces événements peuvent-ils conduire à une implosion du gouvernement, ou le pouvoir de Zelensky reste-t-il fermement en place ?

Aujourd’hui, tous les acteurs jouant sur l’échiquier ukrainien comprennent qu’il est impossible de montrer au public l’état réel des choses. Il y a donc un consentement tacite au silence. En effet, si les gens se rendent compte que les autorités ne sont pas monolithiques mais plutôt faibles, ils refuseront de se battre. Cela ne profite pas à ceux qui profitent des conflits militaires. Cependant, comme nous pouvons le constater, certains clans politiques ont violé ce consensus. Cela pourrait provoquer une réaction en chaîne et tout faire basculer. Par conséquent, les autorités et les responsables des groupes d’opposition feront tout pour que le système reste stable.

Il y a quelques jours, Victor Medvedchuk a lancé une proposition pour un nouveau mouvement politique, une sorte de « parti de la paix » pour s’opposer au « parti de la guerre », obtenant le soutien de personnalités comme Azarov. Un tel projet pourrait-il remplacer le gouvernement actuel ?

Non. Cette option est exclue. Le peuple du Donbass et la partie du peuple ukrainien qui ne soutiennent pas les nationalistes et attendent la libération méprisent Medvedchuk. Toute tentative d’assumer des positions de dirigeance entraînera un conflit avec la société. Je pense que son temps est fini. Il est temps d’avoir de nouveaux et jeunes leaders.

 

Traduit de l’italien par Evelyn Tischer