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« La déstabilisation des systèmes climatiques de la Terre est la conséquence de la violation des processus et des cycles écologiques de la Terre, des Droits de la Terre, des Droits des peuples autochtones, et les Droits des générations futures.

Depuis le siècle dernier, les énergies fossiles ont déterminé la manière dont nous cultivons nos aliments et produisons nos vêtements. Les esclaves énergétiques ont été utilisés pour remplacer le travail créatif des agriculteurs qui prennent soin de la terre et des artisans qui créent la beauté et la culture.

Un système alimentaire sans énergie fossile est indispensable pour la santé de la planète et des êtres humains.

Les pollueurs tentent d’utiliser la crise qu’ils ont créée pour tirer des profits de la pollution grâce à des astuces telles que le « net-zéro », accroître la violence à l’encontre de la planète avec la géo-ingénierie et poursuivre la violence à l’encontre de la terre et de nos corps avec des aliments de laboratoire ultra-transformés.

Notre devoir écologique est d’arrêter de nuire, et d’empêcher le greenwashing de régénérer la Terre vivante, son écosystème, notre liberté de semence et d’alimentation par la démocratie de la Terre. »

Dr. Vandana Shiva

Le changement climatique est un véritable effondrement écologique

Le temps presse pour l’action climatique. Au cours d’une année où les compagnies pétrolières et de gaz auront atteint un record de bénéfices, où le secteur devrait clôturer son année à 4 000 milliards de dollars [ndr version anglaise], où des inondations sans précédent ont frappé au Pakistan, à Puerto Rico et au Nigéria, le monde n’est pas prêt de réduire ses émissions de CO2 ou de remédier à la destruction écologique.

Nombreux sont ceux qui ont commencé à remettre en question l’utilité des rencontres annuelles de la COP, car selon l’UNEP, même si les engagements actuels en matière de climat sont pleinement respectés, le réchauffement global atteindrait tout de même le seuil des 2,5°C, ce qui nous entraînerait dans un chaos climatique sans précédent. L’Institut de Potsdam [ndr version anglaise] reporte déjà la rupture de cinq limites planétaires critiques, [ndr version anglaise] et cette année les émissions globales ont connue une augmentation sans précédent.

L’urgence climatique que nous traversons fait partie de plusieurs crises imbriquées qui concernent notre santé, nos terres, les écosystèmes, notre société et la biodiversité de la planète. Elle est le symptôme d’une crise écologique plus large, perpétuée par un système extractiviste et axé sur le profit. En d’autres mots, le chaos climatique que l’on observe actuellement dans le monde est le symptôme d’un effondrement écologique plus vaste. Le climat de la Terre est constitué et étroitement lié à de nombreux systèmes et cycles planétaires qui se chevauchent.

Il ne s’agit pas seulement de la perturbation des cycles de carbone, mais de la perturbation et de la rupture de plusieurs cycles de la Terre, tel que le cycle de l’azote, de l’eau, du carbone, de circulation de l’air et les cycles de la biodiversité. Les écosystèmes ont été perturbés à un tel point que cela provoque des dérégulations massives des cycles de la Terre. Tous ces cycles sont interconnectés pour assurer la maintenance des écosystèmes, et par conséquent, de la santé du climat.

Nous ne pouvons pas parler du changement climatique sans évoquer les systèmes alimentaires industriels.

La façon dont nous produisons, consommons et distribuons les aliments a un impact énorme sur la santé de la planète, et donc sur le climat. Les systèmes alimentaires sont liés à tous les cycles planétaires mentionnés. Nous ne pouvons donc pas parler du changement climatique sans parler du système alimentaire, car il s’agit de l’un des principaux moyens par lesquels les humains interagissent et affectent les cycles de la Terre.

L’agriculture industrielle et la mondialisation sont l’une des raisons principales de la perturbation des cycles de la Terre. En raison du changement d’affectation des sols, de la pollution agrochimique, des monocultures, de l’écocide génétique, de la contamination de plastique, de l’utilisation des énergies fossiles et des transports longue distance, l’agriculture industrielle est aujourd’hui l’une des principales causes de destruction de la planète. Elle a provoqué un écocide et une perte de la biodiversité, de la désertification des sols, de l’érosion et de la pollution. Cela a entraîné la pollution massive de l’eau pendant tout son cycle, des émissions de gaz à effet de serre et une rupture ou un déséquilibre du cycle de l’azote, de l’eau, du méthane et du carbone. Tout cela a pour conséquence la perturbation du système climatique.

Toutes ces pratiques détruisant l’écologie réunies représentent 44 % à 57 %  [ndr version anflaise] des émissions de gaz à effet de serre (GES), faisant le système d’alimentation global l’un des principaux coupables du changement climatique et de la dégradation de l’environnement. Par exemple, l’invasion continue de l’agrobusiness dans les forêts et autres écosystèmes vitaux a rendu l’industrie responsable de 70 à 90 % de la déforestation mondiale.

Aujourd’hui, nous assistons également à l’effondrement de la biodiversité avec la 6e extinction de masse.  Selon un rapport du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), de Chatham House et de Compassion in World Farming, intitulé « Food system impacts on biodiversity loss » [ndr lien en anglais], le système alimentaire mondial industriel est le principal moteur de la perte de biodiversité mondiale, menaçant 86 % des espèces aujourd’hui menacées d’extinction. Malgré les appels à l’action répétés pour ces faits dévastateurs, rien n’a été fait [ndr version anglaise] car les activités à l’origine de cet écocide n’ont pas encore été abordées.

Il en est de même pour la destruction des terres. À cause des produits agrochimiques comme les engrais chimiques et les agrotoxines, la vie des sols a été détruite. Il a été prouvé que les engrais chimiques et les pesticides tuent les différentes microbiotes présentes dans les sols, empêchant la transformation naturelle en azote et en carbone. Un sol sans vie n’a pas la capacité de retenir l’eau ni la fertilité nécessaire à la vie animale ou végétale. Le manque de rétention d’eau, de carbone ou de matière organique rend les inondations, les sécheresses et les feux de forêts plus extrêmes. Si les liens entre ces problèmes ne sont pas abordés, ces crises ne feront que s’aggraver.

Le danger des récits réducteurs

Au cours d’une année supplémentaire d’inaction pour le climat, nous assistons à un ralliement aux mauvaises solutions qui maintiennent le système, voire consolident les modèles industriels. Les entreprises souhaitent désormais utiliser à leur avantage l’urgence nécessaire à la politique climatique en proposant une série de fausses solutions écologiques et de greenwashing. Les solutions proposées en réponse à la crise climatique imminente sont coûteuses, non-prouvées et sont souvent issues de technologies dangereuses, visant à remplacer le processus naturel actuellement dégradé.

Par conséquent, s’imposent les innovations technologiques tel que la nourriture artificielle de laboratoire, les OGM, la capture du carbone, les crédits carbone et la monétisation de la nature. Mais le véritable programme derrière ces fausses solutions, c’est la consolidation du système alimentaire industriel par le biais d’une chaîne d’approvisionnement agricole totalement contrôlée numériquement, d’aliments fabriqués en laboratoire et de la monétisation des dernières frontières naturelles par le biais de crédits financiers pour la biodiversité et les services écosystémiques. C’est le dernier effort pour une alimentation sans agriculteurs et une agriculture sans terre.

Les aliments synthétiques

En excluant les derniers agriculteurs locaux, les récits sponsorisés par les entreprises poussent désormais à réduire l’effondrement écologique complexe, à des récits dualistes sur les plantes et les animaux, au lieu de s’attaquer à la crise de la destruction des écosystèmes causée par les pratiques industrielles actuelles. Dans ces fausses dichotomies, les animaux sont désormais tenus pour responsables [ndr version anglaise] de l’impact du système alimentaire sur le climat, au lieu des systèmes industriels dans leur ensemble.

L’élevage global, complexe et interdépendant des animaux dans de nombreuses cultures traditionnelles à travers le monde, est désormais assimilé à la production animale industrielle, ce qui a pour effet de réduire l’importance de la nourriture et de la culture traditionnelle. Dans ces faux discours, les animaux sont également réduits à des produits de consommation de protéines, et peuvent simplement être remplacés par des technologies plus efficaces comme les produits de laboratoires.

En effet, cette réduction ne prend pas en compte le rôle essentiel et multidimensionnel que les animaux [ndr version anglaise] possèdent dans les différents agro-écosystèmes. Notre relation avec la nature est complètement ignorée, et cela créé un fossé qui sépare les humains de la nature et de l’alimentation saine. S’il est vrai que tous les systèmes de production industrielle, qu’il s’agisse de plantes ou d’animaux, sont fortement responsables de l’effondrement écologique, les systèmes agroécologiques et les systèmes productifs locaux ne sont pas les mêmes.

Les partisans des aliments de laboratoire affirment qu’ils constituent une véritable solution au changement climatique et à la dégradation de l’environnement, car ils ne nécessitent pas de ressources intensives en eau et en terre, et répondent aux préoccupations [ndr version anglaise] relatives aux émissions de gaz à effet de serre des animaux et à leur bien-être dans l’industrie de la viande admonestée. Cependant, le véritable objectif ne pourrait être plus éloigné de la lutte contre le changement climatique ou la faim dans le monde.

Ces aliments « à base de plantes » ultra-transformés reposent sur des innovations techniques dangereuses telles que la biologie synthétique, la manipulation génétique CRISPR-Cas9 et les nouveaux OGM. Ces techniques consistent à reconfigurer le patrimoine génétique d’un organisme pour créer quelque chose d’entièrement nouveau qu’on ne retrouve pas dans la nature. Certaines entreprises investissent également dans la viande cellulaire, cultivée à partir de véritables cellules animales. Il en résulte toute une gamme de fausses viandes, d’œufs, de fromages et de produits laitiers cultivés en laboratoire qui envahissent le marché pour remplacer, à terme, les produits animaux et modifier les régimes alimentaires modernes.

Ces technologies représentent une nouvelle vague de la logique de brevetage qui a été appliquée pour la première fois aux semences pendant la Révolution Verte. Ces technologies sont désormais en mesure de contrôler pleinement l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement alimentaire, de manipuler génétiquement ces faux aliments à partir de leur production en laboratoire jusqu’aux chaînes de distribution, aussi contrôlées par les entreprises agroalimentaires. La Terre et les agriculteurs locaux ne seront plus nécessaires, à l’exception des monocultures de masse déjà contrôlées par l’agro-industrie.

« Des solutions basées sur la nature »

Les solutions fondées sur la nature forment un concept général de plus en plus utilisé par les entreprises et les dirigeants mondiaux pour instaurer une série de systèmes de compensation des émissions de carbone visant à protéger le climat et la biodiversité. Ces systèmes de compensation sont fermement ancrés dans des mécanismes de marché discrédités et dans le blanchiment écologique des entreprises [ndr version anglaise]. Il s’agit d’un concept qui cherche à instrumentaliser la nature, en utilisant les logiques transactionnelles des mécanismes de marché, tout en excluant la destruction écologique et en perpétuant la privation néocoloniale des populations autochtones, des paysans et de nombreuses autres communautés. Le but est de poursuivre les activités habituelles, sans s’attaquer fondamentalement aux causes [ndr version anglaise] profondes de la crise climatique. Si rien n’est fait, ces systèmes continueront d’exacerber les crises en renforçant les inégalités et le pouvoir des entreprises. Le « net-zéro » et la « capture du carbone » sont deux solutions préconisées par les multinationales et les milliardaires qui entrent dans ce cadre.

La préconisation de ces fausses solutions réduit les causes l’effondrement écologique aux émissions de carbone. Dans les discours quotidiens internationaux, les émissions de carbone semblent être le seul vecteur du changement climatique. Par conséquent, le « net zéro » semble être une solution viable.

À l’origine, l’idée derrière le net-zéro est d’équilibrer les émissions de gaz à effet de serre en les éliminant jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien. Pour atteindre le niveau zéro, le montant de CO2 ajouté ne peut être supérieure à la quantité éliminée de l’atmosphère au cours de la même période. Cette équation est problématique en soi, car elle implique que les entreprises peuvent atteindre le niveau net zéro en investissant dans des systèmes de compensation des émissions de carbone.

Cependant, le net-zéro n’entraînera pas de réelles réductions des émissions de carbone pour plusieurs raisons. Tout d’abord, le principe du « net zéro » se concentre uniquement sur les flux d’émissions, et ne tient pas compte de la nature cumulative du carbone. Le dioxyde de carbone reste dans l’atmosphère pendant des centaines voire des milliers d’années, à moins qu’il ne soit stocké ailleurs, ce qui signifie que les émissions passées, présentes et futures auront un impact cumulatif sur le réchauffement de la planète et l’acidification des océans. Deuxièmement, le concept de « net zéro » repose sur un mensonge, car les compensations ne réduisent pas réellement les concentrations de CO2 dans l’atmosphère. Les niveaux de CO2 continueront donc d’augmenter à un rythme alarmant s’ils ne sont pas retenus par les sols et les océans de manière efficace.

Pour savoir comment ralentir, adapter et résoudre le chaos climatique, il est fondamental de comprendre la manière dont chaque cycle planétaire est perturbé et déséquilibré. Il ne s’agit pas seulement d’essayer de « résoudre » le problème des émissions de carbone. Si nous continuons de justifier le problème climatique à la simple question de réduction des émissions de carbone à « zéro », sans comprendre et traiter les autres aspects de l’effondrement écologique, le chaos climatique demeurera.

En réalité, le concept de « zéro émission nette » n’est rien d’autre qu’une stratégie de greenwashing élaborée par des entreprises, qui accorde aux sociétés polluantes le droit de continuer leurs activités en prétendant retenir le carbone ailleurs. En compensant leurs émissions par des plantations d’arbres en monoculture, les entreprises continueront de provoquer l’accaparement des terres et le déplacement des communautés, les violations des droits de l’homme, la pénurie d’eau et la poursuite de la perte de biodiversité.

Les solutions exposées ci-dessus sont le produit d’une vision mécaniste du monde [ndr version anglaise] qui considère la nature comme une matière morte et inerte pouvant être façonnée et manipulée pour répondre à nos besoins et soutenir la cupidité des entreprises. Les innovations technologiques sont placées sur un piédestal et présentées comme la seule option possible pour résoudre les nombreuses crises mondiales. Les grandes entreprises établissent ainsi leur propre stratégie pour renforcer leur contrôle, tout en perdant un temps précieux. Par conséquent, les véritables causes des crises actuelles sont occultées et nous sommes entraînés sur une pente dangereuse semée de futures crises sans précédent. Cette réticence à aborder ces problèmes n’est en aucun cas accidentelle. Il s’agit plutôt d’une tentative délibérée des grandes multinationales de maintenir leur contrôle en perpétuant les mêmes structures de pouvoir qui ont créé nos crises actuelles, sans assumer la responsabilité de la pollution à grande échelle et la dégradation de l’environnement qu’elles ont causées.

Les solutions sont sous nos yeux

Nous connaissons déjà les moyens de rééquilibrer, de régénérer et de résoudre nos écosystèmes. Les procédures d’adaptation sont également entre nos mains ; ils sont dans le soutien que nous apportons à nos communautés alimentaires locales qui visent à travailler avec la nature [ndr version anglaise] pour restaurer sa biodiversité et rajeunir ses cycles naturels.

L’adaptation au climat ne peut être développée que par les communautés locales qui travaillent activement à la restauration de leurs écosystèmes locaux. En outre, les communautés locales doivent également développer des systèmes agroécologiques pour régénérer leurs écosystèmes et favoriser la biodiversité.

La biodiversité des plantes, des animaux et des micro-organismes est essentielle pour assurer la stabilité et l’équilibre nécessaires à la création d’agro-écosystèmes résilients face au changement climatique. Les systèmes agricoles et alimentaires qui préservent et régénèrent la biodiversité atténuent le changement climatique et améliorent la santé et les moyens de subsistance. Les agros-écosystèmes respectueux de l’environnement maintiennent un écosystème tout en régénérant les cycles de la planète à une plus petite échelle.

L’accroissement des cultures diversifiées constitue la base de l’agriculture écologique et vise à diminuer les risques d’inondation, de sécheresse et autres risques météorologiques extrêmes [ndr version anglaise]. C’est pourquoi la sauvegarde des semences, leur sélection et leur préservation doit rester entre les mains des agriculteurs locaux. Ces différentes cultures s’adapteront par la suite aux changements de la planète. Les communautés sont en première ligne face au chaos climatique et elles peuvent nous permettre de résister à ce chaos.

Les lois sur le climat doivent non seulement prendre en compte les émissions de gaz à effet de serre, mais aussi l’ensemble des pratiques néfastes perpétrées par le système agricole industriel et leurs mauvaises solutions. Ces lois doivent également soutenir activement le travail des communautés alimentaires locales. Une transition vers une agriculture biologique et durable devrait être la priorité absolue pour s’éloigner du système alimentaire industriel et ainsi, adopter une vision différente de l’agriculture.