La principale remarque que l’on fait lorsqu’on aborde le sujet de la réponse non-violente aux conflits armés est la suivante : vous êtes de belles âmes, mais ces choses ne fonctionnent qu’en temps de paix, ou bien il n’est pas facile d’organiser une société qui se tient sans défense devant des chars (en donnant à la non-violence pour acquis le synonyme de non-action, de nudité face à un danger violent, ou d’espoir que l’adversaire du moment a bon cœur).

Posons quelques prémisses et donnons quelques chiffres pour comprendre un peu mieux la question.

La défense armée, en plus d’être pratiquée depuis des temps immémoriaux, est également enseignée de manière institutionnelle depuis des siècles : pour rester en Italie et pour n’en citer que quelques-uns, nous vous rappelons l’Académie militaire de Modène, active depuis 1678, l’École militaire Nunziatella de Naples depuis 1787, l’École militaire Teulie de Milan depuis 1802, l’École militaire de Cecchignola (Rome) depuis 1920 et, pour rester dans l’air du temps, également l’École militaire aéronautique de Florence depuis 2006.

L’Italie dépense 25 milliards d’euros par an pour la guerre et le budget de la défense (à l’exclusion du financement des soi-disant « missions de paix » ou des plans extraordinaires de modernisation de nos forces armées) et, à la suite de la guerre entre la Russie (l’agresseur) et l’Ukraine (l’agressé), le 16 mars 2022, la Chambre des députés a engagé le gouvernement à augmenter le budget de 13 milliards supplémentaires (plus de 50% d’augmentation, alors que la santé et l’éducation subissent encore des coupes).

Dans le domaine militaire, il y a plus de 90 000 personnes employées dans les forces armées, qui sont régulièrement payées, formées et assurées et qui, si elles ne prennent pas directement leur retraite en tant que soldats de carrière, mais quittent les forces armées de manière anticipée, peuvent rejoindre d’autres organismes d’État, car elles bénéficient d’un accès privilégié.

La non-violence dans le monde, en tant que pratique opérationnelle de résolution des conflits, n’a été systématisée et codifiée dans des manuels d’apprentissage et d’action qu’à partir de Gandhi (donc depuis le début du XXe siècle). En Italie il n’y a pas d’écoles, d’académies ou d’instituts pour enseigner la non-violence, ainsi les manuels de non-violence sont beaucoup plus présents à l’étranger, surtout dans le monde académique anglo-saxon (par exemple la trilogie de Gene Sharp, « Politics of Nonviolent Action » volume I -power and struggle-, II -the techniques- et III -the dynamics-, publié en Italie par EGA, 1985-1986 ; The Handbook for Nonviolent Campaigns, publié par War Resister’s International, 2010-2011 ; Working with Conflict par Simon Fisher et d’autres auteurs (compétences et stratégies d’action), Zed Books, 2000.

Pas un seul euro n’est officiellement dépensé pour la non-violence et personne n’est employé, payé, assuré ou formé spécifiquement pour cela.

Tout ce qui bouge dans ce domaine est soit le résultat du volontariat, soit lié à l’application du Service civil national (malheureusement, ces derniers temps, il s’oriente de plus en plus vers une forme d’emploi supplémentaire ou un « parking »), soit découle d’interventions sporadiques de l’État (par exemple, le financement de missions de paix par des associations ou des organisations de la société civile) ou des collectivités locales et des institutions universitaires clairvoyantes.

Telle est la situation et dans cette situation, lorsque nous sommes confrontés à la question : « Acceptez-vous une injustice, une agression, une violence ou y réagissez-vous ? », la seule réponse possible et acceptée (même au niveau de l’information de masse) est la réponse armée et violente, car comme le dit la chanson de De Andrè : « La guerra di Piero », si vous ne tirez pas le premier, vous finissez par dormir dans un champ de maïs.

Si vous voulez vraiment répondre avec les méthodologies de la non-violence, vous ne devez pas improviser et vous devez immédiatement investir des ressources économiques et humaines pour rendre cette alternative concrète, ce qui nécessite nécessairement étude, expérimentation et formation.

Où ces ressources économiques et humaines peuvent-elles être engagées ?

Depuis 1994, le Parlement européen a été saisi d’une proposition d’Alexander Langer visant à créer un Corps civil européen de paix, proposition qui a ensuite été approuvée par une résolution du Parlement européen en 1999 et qui a été concrétisée par deux études de faisabilité réalisées en 2004 et 2005 – Feasibility Study on the establishment of a European Civil Peace Corps (ECPC), Final report 29.11.2005, Channel Research. Depuis lors, cependant, tout est resté silencieux et seule la République de Saint-Marin, avec la loi 2.12.2021 n.194, a récemment créé le Corps civil de paix.

Au Parlement italien, depuis 2017, il existe un projet de loi d’initiative populaire visant à créer le « Département de la défense civile non armée et non violente », qui prévoit la création d’un contingent à engager dans des actions de paix non gouvernementales dans les zones de conflit, ou à risque de conflit, ou dans les zones d’urgence environnementale, et qui prévoit également la création de l’Institut de recherche sur la paix et le désarmement.

La non-violence fonctionne-t-elle ? Si nous regardons les exemples historiques, où elle a fonctionné même dans des conditions difficiles (au-delà de l’Inde avec Gandhi ; le Danemark et la Norvège pendant la Seconde Guerre mondiale ; la Tchécoslovaquie pendant la soi-disant guerre froide, etc. Cependant, nous devons garder à l’esprit que dans ces exemples, à l’exception de l’Inde, personne n’était préparé et organisé pour le faire et que cela s’est produit uniquement parce que c’était la seule stratégie disponible à l’époque, ou parce qu’on le pensait. D’autre part, les guerres qui ont eu lieu dans le monde depuis 1991 ont-elles permis de résoudre les problèmes issus des conflits ?

Au niveau mondial, depuis la guerre du Golfe en 1991, il est demandé de modifier le droit de veto à l’ONU, un droit qui, appartenant à cinq nations, empêche effectivement le maintien de la paix et la médiation dans le conflit (même dans le mode armé que l’ONU pourrait exercer).

Il y a aussi la demande de signature par notre gouvernement du « Traité sur l’interdiction des armes nucléaires » (TIAN) de l’ONU, qui est entré en vigueur le 22 janvier 2021, mais que les neuf pays possédant des armes atomiques et ceux liés à l’Alliance atlantique (OTAN) n’ont pas signé.

Le chemin est certainement encore long et la non-violence, même si elle est mise en œuvre, devra coexister avec la réponse armée des armées (mais peut-être en mode défensif et non offensif – voir par exemple l’avion F35 qui peut transporter des armes atomiques -), mais si vous n’investissez pas MAINTENANT même un euro, nous serons sûrement condamnés à la violence d’une guerre qui viendra et le débat sera divisé à nouveau entre pacifistes craintifs et / ou collaborationnistes et bellicistes, ou militaristes du clavier ou du canapé.

Un débat qui non seulement ne m’intéresse pas, mais qui ne cherche en aucun cas à réduire la violence dans le monde, ce que nous pourrions déjà tous faire.

 

Raffaele Barbiero (Centre de la paix de Forlì)

 

Traduction de l’italien, Marie Prost