Lina Ben Mhenni est morte il y a quelques heures (27/01).

S’il existe une image d’une personne qui, ces dernières années, peut mieux représenter le courage, le sens du service, allié à la ténacité, à la force et à l’esprit de rébellion, sans jamais perdre la douceur et la profonde humanité, Lina est la figure qui incarne le mieux tout cela chez une femme.

Professeure universitaire de linguistique, militante des droits humains qui n’a jamais baissé la tête, infatigable et inarrêtable, blogueuse et journaliste qui a dénoncé sans crainte toute forme de distorsion dans son pays, la Tunisie, qu’elle aimait viscéralement.

Fille de Sadok Ben Mhenni, militant marxiste emprisonné par Habib Bourghiba en 1974.

Lina était la fille de militants, venue de nulle part, elle s’était imposée dans les chroniques politiques avec son franc parler direct, sans peur, sans jamais transiger.

La « Révolution de la dignité », c’est ainsi qu’elle a appelé son combat et celui de milliers d’autres Tunisiens qui ont donné naissance à cette révolution culturelle en Tunisie, que nous, occidentaux, connaissons mieux sous le nom de « révolution du jasmin ».

À 28 ans, Lina avait été nominée pour le prix Nobel de la paix pour ses luttes.

Pendant longtemps persécutée pour ses idées et ses initiatives, mais surtout parce que l’État tunisien avait très peur d’elle.

Dans les bureaux de police tunisiens, les flics l’avaient souvent battue et soumise à diverses privations et violences pour tenter de la briser.

Mais Lina ne s’est jamais pliée une seule fois devant un État violent, comme le sont souvent les États, violents et insensés.

Une petite fille au physique fragile, accablée en prison par 4, 5, parfois 6 grands, grands hommes.

Ils l’ont frappée là où ils savaient qu’ils la frappaient pour faire plus de dégâts et laisser le moins de marques évidentes possible.

Sa santé, déjà précaire, s’était aggravée en raison des mauvais traitements subis par la police au fil des ans.

Mais elle était incontrôlable, avec son esprit, elle n’a jamais reculé, et pourtant comme tous les gens faits de chair, d’os et de sang, Lina devait avoir bien peur pendant ces nuits sombres, dans ces prisons, face à la violence brutale de l’État ,et en même temps, du patriarcat.

Lina était comme une rivière en crue qui ne pouvait être arrêtée que par des périodes de violence et d’emprisonnement forcé.

Elle ne s’est arrêtée devant rien ni personne ; c’est elle qui a dénoncé les corrompus, c’est elle qui a attaqué l’intégrisme du parti islamique Ennahdha, c’est elle qui a été l’incessante militante contre la torture, qu’elle connaissait assez bien pour en porter les marques sur son corps élancé, c’est elle qui a collecté des livres pour faire lire les prisonniers dans les prisons.

Lina rêvait d’une Tunisie véritablement démocratique, ouverte, où l’espace et l’importance seraient accordés à la jeunesse et aux jeunes, bref l’avenir d’un pays, elle rêvait d’un État laïque et égalitaire, où la religion ne se mêlerait plus de politique.

Sa Révolution du Jasmin, menée avec de nombreux autres militants, bien qu’encore incomplète sur bien des points, a réussi au moins à arracher le bâillon de la bouche des tunisiens qui vivaient dans la peur et qui avaient trouvé force, courage et inspiration, plus qu’avec des mots, avec l’exemple de Lina dans la vie.

La santé de Lina, à cause des mauvais traitements qu’elle avait subis, s’était détériorée, ses reins souffraient, là où les gardiens frappaient le plus fort…

Elle avait subi une opération de remplacement du rein qu’elle avait reçu en cadeau de sa mère, mais la greffe n’a pas réussi.

Des amis avaient essayé de la convaincre d’essayer un traitement à l’étranger, mais Lina avait décidé de rester en Tunisie. Elle a dit : « Tant de gens ont encore besoin de moi ici ».

Ce soir (27/01), Lina est partie quand elle avait 36 ans.

Je suis convaincu que Lina ne sera jamais oubliée, qu’elle continuera à vivre dans les rêves de tant de gens, dans les yeux de tant de gens.