Nourrir leurs petits de fruits et légumes bio et les laisser grandir à leur rythme, au milieu des fraises et des vers de terre du jardin en permaculture. Tel est le joli défi que se sont lancé depuis 2014 les trois assistantes maternelles d’Orge’Mômes, dans le quartier populaire d’Orgemont à Épinay-sur-Seine.

- Epinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis), reportage

« Venez les enfants, on va cueillir les fraises ! » Huit bouts de chou, boucles blondes et bouilles chocolat, se précipitent autour de larges bacs où cohabitent allègrement radis, fraises et plantes aromatiques. Valérie Chafik alias « Nanny » tend à Mila, 3 ans, une petite bassine où déposer sa cueillette. Mohammed, 2 ans, n’a besoin d’aucun matériel particulier : accroupi à côté du bac, il enfourne méthodiquement tous les fruits à sa portée – y compris les verts. Il n’est que dix heures du matin, mais une bonne odeur de soupe de légumes du jardin s’échappe déjà de la cuisine, où s’active Hassina « Tata » Ferhoune. « Il y aura aussi de la quiche maison pour déjeuner », précise fièrement l’assistante maternelle.

Nourrir les enfants avec les fruits et légumes de leur jardin en permaculture. Tel est l’objectif de Valérie Chafik, Hassina Ferhoune et Samia Bayodi, les trois « nounous » d’Orge’Mômes, dans le quartier populaire d’Orgemont à Épinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis). Cette idée a fait son chemin petit à petit, depuis la création de l’association fin octobre 2013 et l’ouverture de la maison d’assistantes maternelles (MAM) en janvier 2014. « Je me nourris de produits absolument toxiques que j’appelle du pétrole en barre, rigole Valérie Chafik. Je refuse que les enfants mangent comme moi et pensent que les légumes poussent dans les sachets de surgelés au supermarché. »

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A gauche, Hassina Ferhoune ; à droite, Samia Bayodi ; de dos, Valérie Chafik

Un jardin dessiné sur-mesure par un permaculteur

Le trio a vite déchanté. Avec 3,50 euros par enfant et par repas, il était impossible d’acheter des produits sans pesticides. C’est alors que Fabien Gordon, père d’une fillette gardée par Valérie Chafik, photographe et permaculteur « très branché bio, les fleurs, herboriste », leur a soufflé l’idée de cultiver elles-mêmes leurs fruits et légumes. Il leur a dessiné un jardin sur-mesure pour les 300 mètres carrés de terrain autour de la maison.

Pendant trois gros week-ends d’avril 2014, dont un pluvieux, la joyeuse troupe des maris, familles, amis et voisins a retroussé ses manches. « On a vu travailler côte à côte des mormons et des barbus musulmans, s’émerveille Valérie Chafik. Une maman qui travaille dans la haute finance, talons aiguilles et ongles rouges, s’est retrouvée les deux mains dans la terre ! Le jardinage est fédérateur. »

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Valérie Chafik nettoie la récolte de radis de ses protégés.

« Former les petits aux gestes éco-citoyens »

Aujourd’hui, pour Valérie Chafik et ses collègues, ce jardin est une formidable ressource. Il n’est pas encore suffisamment mature pour produire l’intégralité de la nourriture des enfants, « même si la récolte de pâtissons a été si abondante qu’il nous en reste encore au congélateur », souligne l’assistante maternelle. Mais il permet aux enfants de découvrir la nature, en toute liberté. « On veut les voir arroser, qu’ils n’aient pas peur de cette terre qui les nourrit, insiste Valérie Chafik. On veut aussi leur apprendre à gérer l’eau, à faire du compostage – bref, à les former aux gestes éco-citoyens. »

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Mila et Iliana fières de leur cueillette de radis.

Un programme ambitieux, qui ne se fait pas en un jour. L’assistante maternelle intercepte Mohammed au vol, alors que le bambin s’amuse à lancer son ballon sur une araignée. « Non mon cœur, c’est défendu de faire ça. L’araignée ne t’a rien fait, elle n’est pas méchante, pourquoi tu l’embêtes ? » La réprimande fait sourire Lucie, embauchée en service civique par la MAM pour s’occuper du jardin et animer des ateliers avec les enfants des écoles alentours : « Il faut être très pédagogue, en particulier avec les écoliers qui ne connaissent pas le jardin. Il faut leur expliquer gentiment que le ver de terre n’est pas méchant, mais qu’ils ont le droit de mettre des gants s’ils n’ont pas envie de le toucher. »

« Tiens, tu as du millepertuis ! »

Profitant de quelques heures de liberté, Fabien Gordon fait le tour du jardin et aide les petits à arroser les plantations, tâche qu’ils effectuent avec la plus intense concentration. Sa fille, Mélodie, manie déjà très bien son petit arrosoir vert. « Tiens, tu as du millepertuis !, s’exclame le permaculteur à l’intention de Valérie Chafik, en examinant une plate-bande. Regarde tous ces petits trous, ce sont des poches à essence. Macéré 21 jours au soleil dans de l’huile d’amandes douces, c’est très bon pour décontracter les muscles. »

Le jardin est construit autour d’un dôme en fer à béton où les plantes grimpantes, quand elles auront poussé, « protégeront les enfants du soleil tout en produisant des légumes », précise-t-il. Tout autour, plusieurs bacs accessibles aux enfants accueillent courges, haricots cocos grimpants et melons. Au fond du jardin, un petit coin à l’ombre un peu humide, pas très fertile, héberge aujourd’hui quatre poules pour le plus grand bonheur des petits. « Quand j’emmène ma fille, je n’y coupe pas, rigole Fabien Gordon. Il faut aller leur dire bonjour et voir si des œufs ont été pondus ! »

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Fabien Gordon, sa fille Mélodie et Mila (à droite) disent bonjour aux poules

Poissons rouges et plants de salade

L’autre particularité du jardin est la présence d’un système aquaponique. « Quand nous sommes arrivés, il y avait un bac en béton avec des poissons dedans, très coriaces, qui vivaient dans la vase, se souvient Fabien Gordon. Évidemment, cela posait un problème de sécurité. La protection maternelle et infantile (PMI) nous a dit qu’il fallait installer une barrière et garder l’eau propre, pour qu’elle n’attire pas les insectes et les maladies. » Le permaculteur décide donc de se baser sur le cycle de vie des bactéries pour transformer les déchets des poissons en nourriture pour les plantes, qui purifient l’eau à leur tour.

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Fabien Gordon a conçu un système en aquaponie pour remplacer le bassin aux poissons, trop dangereux.

Le tout a été construit pour trois fois rien. Évidemment, les subventions de la communauté d’agglomération Plaine Commune, d’Imaginaire et Jardins et de Terre d’Avenir ont été bien utiles pour planter quelques arbres fruitiers, au mois de novembre. « Mais on pourrait le faire qu’en récup’, à condition d’y passer du temps », estime le permaculteur. Un exemple d’astuce permettant de faire des économies : les copeaux de bois qui garnissent le sol, récupérés gratuitement auprès de la ville.

« En tant que parents, on sait ce que les enfants mangent »

Les parents sont ravis de cet environnement. « Ils apprennent des choses vraiment extraordinaires ici, prennent goût à planter des légumes », se réjouit Méline, la maman de Mila.« C’est sain, en tant que parents on sait ce que nos enfants mangent et qu’il n’y a pas de produits chimiques dedans, renchérit Sofiane, chef de poste agent de sécurité et papa de Célia, 3 ans. En plus, toutes ces plantes, c’est agréable, surtout dans un quartier comme celui d’Orgemont. »

Les assistantes maternelles et Fabien Gordon ont maintenant envie d’aller encore plus loin dans leur démarche. « Le prochain projet, c’est de récupérer cette bande de terre grillagée, derrière le jardin, explique Valérie Chafik. On est en train de travailler avec la mairie et le concept Imaginaire et Jardins, pour y installer des bacs pour les écoles, et ouvrir ce nouveau jardin au quartier pour recréer du lien social autour. »


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Source et photos : Emilie Massemin pour Reporterre

L’article original est accessible ici