Le rôle que jouent les femmes pour nourrir le monde n’est reflété ni dans les données officielles ni dans les outils statistiques.

La FAO, par exemple, définit uniquement les personnes qui tirent un revenu monétaire de l’agriculture comme « actives dans le secteur agricole ». Sur la base de ce concept, FAOSTAT indique que 28 % de la population rurale en Amérique centrale est « économiquement active » et que les femmes ne représentent que 12 % de ce groupe ! (1)

Cette vision déformée varie peu d’un pays à l’autre. Toutefois, lorsque les données sont plus précises, une vision totalement différente se dégage. Les derniers chiffres du recensement agricole publiés au Salvador indiquent que les femmes ne représentent que 13 % des « producteurs », c’est-à-dire des propriétaires fonciers, ce qui est conforme au chiffre donné par la FAO. (2) Cependant, le même recensement indique que les femmes composent 62 % de la main-d’œuvre utilisée sur les fermes familiales. En Europe, si la situation des femmes est meilleure, elle reste encore très inégale. Les données montrent qu’en Europe, les femmes représentent moins d’un quart des propriétaires fonciers et qu’elles occupent en moyenne des fermes plus petites que celles des hommes, mais elles composent près de 50 % de la main-d’œuvre familiale. (3)

Culture du manioc sur les rives du Mékong : les petites fermes ont tendance à donner à la production alimentaire priorité sur la production de matières agricoles et de cultures d'exportation.

[/media-credit]Culture du manioc sur les rives du Mékong : les petites fermes ont tendance à donner à la production alimentaire priorité sur la production de matières agricoles et de cultures d’exportation.

Il est difficile d’obtenir des statistiques sur le rôle des femmes en Asie et en Afrique. Selon FAOSTAT, seuls 30 % de la population rurale en Afrique est économiquement active dans l’agriculture et 40 % en Asie ; environ 45 % sont des femmes et 55 % des hommes.63 Pourtant, les études réalisées ou citées par la FAO présentent des chiffres totalement différents, indiquant que, dans les pays non industrialisés, 60 à 80 % de l’alimentation est produite par les femmes. (4). Au Ghana et à Madagascar, les femmes représentent environ 15 % des propriétaires donciers, mais elles fournissent 52 % de la main d’œuvre familiale et représentent environ 48 % des travailleurs salariés. (5) Au Cambodge, seulement 20 % des propriétaires de terres agricoles sont des femmes, mais elles fournissent 47 % de la main-d’œuvre agricole salariée et près de 70% de la main-d’œuvre des fermes familiales. (6) En République du Congo, les femmes fournissent 64 % de l’ensemble de la main-d’œuvre agricole et sont responsables d’environ 70 % de la production alimentaire.(7) Au Turkménistan et au Tadjikistan, elles composent 53 % de la population active dans l’agriculture. (8) Il y a très peu de données sur l’évolution de la contribution féminine à l’agriculture, mais il est probable qu’elle soit en augmentation. En effet la migration a pour principale conséquence que ce sont les femmes et les filles qui reprennent la charge de travail laissée vacante par ceux qui partent. (9)

Selon la FAO, moins de 2 % des propriétaires fonciers dans le monde sont des femmes, mais les chiffres varient considérablement. (10) Il existe toutefois un vaste consensus sur le fait que, même lorsque les terres sont enregistrées comme familiales ou co-appartenant à l’homme et à la femme, les hommes jouissent toujours de pouvoirs bien plus vastes que les femmes. Il est courant, par exemple, que les hommes puissent prendre des décisions foncières en leur nom et en celui de leur conjointe, mais pas les femmes. L’octroi de crédit peut également constituer un autre obstacle. Ainsi, les gouvernements et les banques obligent les femmes à présenter une forme quelconque d’autorisation de leur époux ou de leur père, tandis que les hommes ne rencontrent pas ce genre de frein. Ainsi, il n’est pas surprenant que les données disponibles montrent que seuls 10 % des prêts agricoles vont à des femmes. (11) En outre, les lois et coutumes relatives à l’héritage vont souvent à l’encontre de l’intérêt des femmes. Les hommes ont tendance à avoir la priorité ou l’exclusivité pure et simple quand il est question d’héritage des terres. Dans de nombreux pays, les femmes n’obtiennent jamais le contrôle juridique des terres, et l’autorité revient à leurs fils, si elles sont veuves, par exemple.

Les petites fermes familiales donnent la priorité à la production alimentaire. Elles ont tendance à se concentrer sur les marchés locaux et nationaux, et sur les familles. Une grande partie de ce qu’elles produisent n’entre pas dans les statistiques du commerce national, mais parvient à ceux qui en ont le plus besoin : les pauvres des zones rurales et urbaines.

Les données ci-dessus étayent l’assertion selon laquelle les femmes sont les premières productrices d’alimentation de la planète et ce même si leur contribution reste ignorée, marginalisée et victime de discrimination.

SOURCES : extrait de l’article-fleuve de Grain. Lien pour la totalité de l’article

 

NOTES

(1) Bases de données de la FAOSTAT

(2) sources : ministère de l’agriculture équatorien

(3) EU Agricultural Economic Briefs. « Women in EU agriculture and rural areas: hard work, low profile », Brief n° 7, juin 2012. (pdf)

(4) 64 FAO : « Les femmes et l’emploi rural… »

(5) 65 Ministère ghanéen de l’Alimentation et de l’Agriculture. Agriculture du Ghana. Faits et chiffres 2010. Ministère malgache de l’Agriculture, de l’Élevage et de la Pêche. Recensement de l’Agriculture. Campagne agricole 2004-2005.

(6) 66 FAO et Institut national de statistique du Cambodge. National Gender Profile of Agricultural Households, 2010.

(7) 67 IFAD, « République du Congo: Programme d’options stratégiques pour le pays », 2009.

(8) 68 FAO, Gender Team for Europe and Central Asia, « The crucial role of women in agriculture and rural development »

(9) 69 Organisation internationale pour les migrations, « Rural women and migration» ; B. Dodson et al. « Gender, migration and remittances in Southern Africa » ; A. Datta et S.K. Mishra, « Glimpses of women’s lives in rural Bihar: impact of male migration »

(10) 70 Cheryl Doss et al., « Gender inequalities in ownership and control of land in Africa. Myths versus reality».

(11) 71 Voir http://www.fao.org/assets/infographics/FAO-Infographic-Gender-ClimateChange-fr.pdf