Dans la scène d’ouverture du nouveau documentaire d’Abby Martin et Mike Prysner, Earth’s Greatest Enemy, un vétéran sans abri est assis dans un campement à Brentwood, en Californie, et joue du piano. Il vit dans un camp connu sous le nom de « Veterans Row » (la rangée des vétérans), un endroit où les tentes sont recouvertes de drapeaux étasuniens et où les passants se voient rappeler à quel point l’armée des USA broie les gens avant de les recracher. L’homme commence à réciter le texte d’une ancienne publicité de recrutement de l’armée ; le film passe à cette publicité, dans laquelle on voit le même homme en jeune soldat. Il en connaît encore chaque ligne par cœur.

De Aaron Kirshenbaum et Danaka Katovich

Earth’s Greatest Enemy est un documentaire sur la crise climatique et l’impérialisme, qui montre comment l’armée étasunienne, en tant que plus grande institution de la planète, la conduit à l’effondrement écologique. À première vue, l’histoire d’un vétéran sans abri semble n’avoir aucun rapport avec ce sujet. Mais au fil du film, Martin montre avec une grande précision que la destruction de l’environnement par l’armée USA ne nuit pas seulement à la nature qui nous entoure, mais aussi à nous-mêmes, comme dans les scènes qui traitent de la contamination de l’eau au Camp Lejeune (NdT: base marine en Caroline du Nord. Entre 1950 – 1980, environ 500 000 personnes ont développé des maladies liées à la contamination, l’eau potable étant contaminée par des produits chimiques dangereux et des toxines).

Bande-annonce officielle

Pour voir la vidéo ( 1′ 56′′ ) avec les sous-titres en français sur un ordinateur : 1. Cliquez sur l’icône Sous-titres (rectangle blanc en bas à droite de la fenêtre du lecteur vidéo).   2. Cliquez sur l’icône Paramètres (roue dentée en bas à droite), puis cliquez successivement sur Sous-titres, puis sur Traduire automatiquement.    3. Dans la fenêtre qui s’ouvre, faites défiler la liste des langues et cliquez sur Français.

Le film montre l’ampleur inimaginable des souffrances écologiques et humaines causées par le militarisme. Il rend compte du coût des guerres pour les océans, la faune et la flore, pour l’eau douce et bien d’autres choses encore. Pour tous ceux qui vivent au cœur de cette monstrueuse machine militaire, Earth’s Greatest Enemy devait être un programme obligatoire.

Une partie du film se focalise sur la destruction des océans par l’armée américaine, en particulier lors des manœuvres RIMPAC menées par les États-Unis, les plus grands exercices militaires maritimes au monde. Des avions de combat de type Growler rugissent au-dessus du Pacifique tandis que des navires désaffectés sont détruits en pleine mer. Ils tirent à balles réelles et polluent l’océan sans interruption pendant cinq ou six semaines. Martin documente comment l’armée à Okinawa fait exploser des montagnes et utilise les déblais pour combler les récifs coralliens afin que l’armée puisse utiliser ces terres dans le cadre d’une base militaire.

L’une des révélations les plus surprenantes du film : l’armée étasunienne fixe elle-même le nombre de mammifères marins qu’elle est autorisée à tuer. Tout cela a des répercussions sur la pêche et la biodiversité des océans, ainsi que sur la vie des êtres humains et des animaux dans le monde entier – et bien sûr, de manière plus immédiate, sur les populations du Pacifique, que ce soit à Hawaï, à Okinawa ou sur d’autres îles où les États-Unis ont établi des bases militaires permanentes.

Earth’s Greatest Enemy examine également la pollution de l’eau causée par l’armée USA. Vers le milieu du film, Kim Ann Callan, qui a passé les 15 dernières années à révéler les effets des déchets toxiques de l’armée à Camp Lejeune, prend la parole.

Pendant des années, l’armée a pollué les nappes phréatiques, empoisonnant ainsi les familles de militaires. En conséquence, des familles entières ont développé des cancers, ce que l’armée a tenté de dissimuler. La caméra suit Callan dans un cimetière où les pierres tombales des nourrissons sont alignées les unes à côté des autres, beaucoup portant l’inscription « né et décédé » le même jour. Certaines familles ont perdu plusieurs bébés à cause de maladies causées par la pollution environnementale due aux activités militaires.

Callan réfléchit : « Quand j’ai commencé, j’avais une tout autre image de l’armée. Et j’avais un grand respect pour l’armée…« Aujourd’hui, je n’ai plus aucun respect ni pour le gouvernement ni pour l’armée. » L’empoisonnement de familles de militaires dans leurs bases n’est pas un cas isolé : Le film révèle à quel point les bases militaires américaines sont toxiques à travers le monde, avec des histoires tout aussi désastreuses dans chacune des plus de 800 bases réparties dans plus de 80 pays et dans des centaines de bases militaires aux États-Unis.

Martin met également en lumière la manière dont la guerre conventionnelle détruit la planète, par exemple lorsque les États-Unis ou leurs alliés, comme Israël, bombardent des régions entières pendant des semaines, voire des mois. Le résultat est souvent un « écocide » total, dans lequel les survivants ne disposent pratiquement plus de rien pour cultiver la terre et vivre.

Le film montre également les effets cumulatifs des balles tirées en Irak. Selon des estimations prudentes, plus de 250 000 balles ont été utilisées pour chaque personne tuée lors des guerres menées par les États-Unis en Irak et en Afghanistan. Chaque balle répand du plomb, du mercure et de l’uranium appauvri dans l’air, l’eau et le sol. Des études ont même détecté des particules de titane dans les poumons de soldats et dans des échantillons de cheveux d’enfants en Irak et en Afghanistan. Les États-Unis mènent non seulement une guerre contre l’air, l’eau et la terre, mais aussi contre les corps, les familles et des générations d’humains.

L’armée américaine détruit toute vie – et pour quoi faire ? Même ceux qui mènent les guerres finissent par se retrouver à la rue à leur retour.

À la fin du film, le message est clair : l’armée des États-Unis est bel et bien le plus grand ennemi de la Terre. Elle contrôle – et menace – toute vie sur cette planète. Mais en tant qu’organisateurs au sein du mouvement anti-guerre, il est évident pour nous à quel point cette lutte est souvent isolée du reste du mouvement environnemental.

Pour lutter pour l’avenir de la planète, nous devons unir nos forces au sein du mouvement anti-guerre et du mouvement pour le climat. Nos adversaires sont les mêmes : les profiteurs de guerre et les politiciens qui nous conduisent à l’effondrement climatique. Les militantes et militants en première ligne de la lutte contre cette crise planétaire provoquée par le militarisme – d’Hawaï à Okinawa en passant par Atlanta – l’ont bien compris : la lutte pour la terre est indissociable de la lutte contre le militarisme.

Nous n’avons pas d’autre choix que de dépasser les clivages politiques, philanthropiques et organisationnels qui nous séparent. Car, comme Martin et Prysner le montrent clairement à travers des récits empathiques et un journalisme d’une honnêteté radicale, la machine de guerre finira par nous rattraper tous. Nous devons agir maintenant.

Les Auteur.e.s

Aaron Kirshenbaum est directeur de campagne de l’initiative War is Not Green de CODEPINK, et organisateur régional pour la côte Est. Né à New York, il vit à Brooklyn et est titulaire d’un master en développement et planification communautaires, ainsi que d’une licence en géographie humaine et environnementale, et en géographie urbaine et économique de l’université Clark. Pendant ses études, il s’est engagé dans le mouvement international pour la justice climatique, dans le développement de programmes éducatifs, ainsi que pour la Palestine, les droits des locataires et l’abolition de la peine de mort.

Danaka Katovich est codirectrice nationale de CODEPINK. Elle a obtenu une licence en sciences politiques à l’université DePaul en novembre 2020. Elle est une voix influente contre les interventions militaires des États-Unis, milite pour le retrait des investissements dans le commerce des armes, et critique l’augmentation du budget du Pentagone. Ses articles sont publiés notamment dans Jacobin, Salon, Truthout et CommonDreams.

 

Traduction, Ginette Baudelet