L’Afrique de l’Ouest connaît depuis plusieurs siècles des ruptures mentales, sociales, politiques et spirituelles qui ont façonné ses sociétés et nourri l’émergence d’utopies transformatrices. Qu’il s’agisse de la décolonisation, des luttes pour l’émancipation culturelle, des revendications démocratiques ou des nouvelles aspirations économiques, ces transformations trouvent souvent leur inspiration dans les mythes ancestraux. Ces récits, porteurs de valeurs et de symboles, servent de catalyseurs pour repenser la société et imaginer de nouveaux horizons.
1. Ruptures mentales : l’émancipation et la réappropriation de l’identité
Inspiration des mythes fondateurs
Les sociétés ouest-africaines ont longtemps été façonnées par des systèmes de pensée imposés (colonialisme, globalisation, idéologies « occidentales »). Aujourd’hui, la réappropriation des cultures et des savoirs traditionnels s’impose comme une rupture mentale essentielle .
Exemple : le mythe de Sundiata Keita (Empire du Mali)
- Histoire : Sundiata, malgré son handicap initial, devient un grand roi grâce à sa résilience et son intelligence.
- Impact : Il inspire la jeunesse et les mouvements panafricanistes dans leur quête d’une souveraineté intellectuelle et politique. Son histoire montre que l’adversité peut être surmontée et que la force réside dans l’identité culturelle et historique.
Effets concrets :
- Renaissance de la philosophie africaine avec des penseurs comme Cheikh Anta Diop.
- Promotion des langues africaines dans l’éducation et la littérature.
- Réappropriation des traditions orales comme outil de résistance culturelle.
2. Ruptures sociales : reconstruction des valeurs collectives
Retour aux mythes communautaires et aux valeurs ancestrales
Les sociétés africaines font face à des crises identitaires liées à l’urbanisation, l’individualisme et la mondialisation. Les mythes rappellent que la force des sociétés africaines repose sur la solidarité et l’équilibre entre les individus et la nature.
Exemple : le mythe de la Reine Pokou (Baoulé, Côte d’Ivoire)
- Histoire : Pokou sacrifie son fils pour sauver son peuple.
- Impact : Ce récit met en avant le sacrifice pour le bien commun et le rôle central des femmes dans la gouvernance.
Effets concrets :
- Promotion du leadership féminin en politique et en économie.
- Valorisation des valeurs de solidarité dans les nouvelles formes de gouvernance participative.
- Développement de modèles économiques basés sur la communauté (coopératives, tontines).
3. Ruptures politiques : vers des modèles de gouvernance inspirés des traditions
Réappropriation des modèles politiques africains anciens
Les États ouest-africains cherchent de nouveaux modèles politiques adaptés à leurs réalités. Certains intellectuels et mouvements sociaux s’inspirent des mythes et des systèmes traditionnels pour repenser la démocratie.
Exemple : le mythe de Faro chez les Bambaras (Mali)
- Histoire : Faro, dieu de l’eau, régule l’harmonie entre les hommes et la nature, imposant des règles de vie justes.
- Impact : Il symbolise l’idée d’un leader garant de l’équilibre et de la justice, contrairement aux modèles de gouvernance autoritaires.
Effets concrets :
- Redécouverte du modèle des chefferies traditionnelles comme source d’inspiration pour la gouvernance locale.
- Intégration des conseils de sages dans les décisions politiques.
- Réflexion sur une démocratie plus participative, inspirée du consensus africain.
4. Ruptures spirituelles : vers une redéfinition de la spiritualité africaine
Rupture avec les religions imposées et retour aux traditions ou plus exactement regain de dynamisme spirituel face à la crise multiforme desdites religions d’essence abrahmique.
L’Islam et le christianisme ont profondément influencé la spiritualité ouest-africaine, mais on observe aujourd’hui un regain d’intérêt pour les religions et philosophies traditionnelles.
Exemple : le mythe des Nommo chez les Dogons (Mali)
- Histoire : Les Nommo, êtres spirituels, enseignent à l’être humain la connaissance sacrée.
- Impact : Il remet en avant une vision de la spiritualité ancrée dans la connexion avec l’univers et la nature, différente des dogmes importés.
Effets concrets :
- Renaissance des pratiques spirituelles et des rites traditionnels.
- Promotion de la médecine traditionnelle et des savoirs ancestraux.
- Création d’un nouveau panafricanisme spirituel, intégrant la sagesse africaine à la modernité.
Conclusion : vers une utopie transformatrice ?
Les mythes ouest-africains ne sont pas seulement des récits du passé, mais des outils vivants qui inspirent des ruptures majeures dans la société actuelle.
Ils alimentent :
- Une reconquête identitaire face à l’héritage colonial.
- Un renouveau des valeurs communautaires face à l’individualisme croissant.
- Une réforme des systèmes politiques pour plus de justice et d’inclusion.
- Un retour aux racines spirituelles pour rééquilibrer les sociétés.
Ne dit-on pas dans une de nos langues que « l’Homme est le remède de l’Homme » ?
Les sociétés ouest-africaines, en se réappropriant leurs mythes, ne se contentent pas de préserver leur passé: elles forgent une nouvelle utopie transformatrice, adaptée aux défis du XXIe siècle.
Cette note fait partie d’un dossier préparé par le Groupe de travail thématique sur les Révolutions et les phénomènes psychosociaux du Forum Humaniste Mondial.









