Vers la fin du mois d’octobre 2016, un événement historique s’est produit aux Nations Unies.

Malgré des pressions énormes de la part des Etats-Unis, 123 nations, toutes égales dans l’Assemblée Générale des Nations Unies, ont voté pour entamer un processus en 2017, en vue de négocier une interdiction des armes nucléaires.  Pourquoi cette nouvelle ne se répand-elle pas comme un feu de forêt ? Pourquoi n’y-a-t-il pas de fêtes dans les rues ?

L’une des raisons est que plus personne ne prend au sérieux la menace pour l’humanité que constituent les armes nucléaires. Quand nous disons « personne », nous pensons aux médias du courant dominant, qui ne donnent au sujet pratiquement aucun espace dans les journaux, les stations de radio, les sites web et chaînes de télévision. Et « personne » signifie dans ce cas, les empereurs des médias alliés aux banques, aux politiciens et au complexe militaro-industriel pour maintenir le statu quo autant que possible, sans se soucier des conséquences pour l’humanité, parce que ces gens ne sont capables de penser qu’à la quantité d’argent qu’ils peuvent gagner, à l’heure actuelle ou dans quelques années.

Une autre raison (en fait dérivée de la première) est que la plupart des gens pensent sans doute que les armes nucléaires sont déjà illégales. Si les armes chimiques et biologiques sont illégales, ainsi que les mines terrestres et les bombes à fragmentation, alors sans doute les armes nucléaires, extrêmement plus destructrices, ont été interdites depuis plus longtemps ? Le monde n’a-t-il pas interdit l’armement nucléaire après la chute du mur de Berlin ?

En fait, non. Malgré l’offre de Gorbatchev à Reagan d’éliminer les armes nucléaires, cela ne s’est jamais produit, mais il y eut des réductions du nombre de bombes en vertu de plusieurs traités. A l’heure actuelle, les USA et la Russie possèdent environ 14.000 bombes (en fonction des estimations que vous croyez), ce qui est bien moins que les 80.000 au sommet de la guerre froide, mais encore un nombre énorme quand on comprend que 100 bombes larguées sur des villes provoqueraient un hiver nucléaire qui anéantirait 25% de la population mondiale, un nombre indéterminé d’autres espèces et ne laisserait essentiellement aux survivants que le choix du suicide.

Mais malgré le silence des médias et l’absence de fêtes de rue, l’histoire avance de la manière la plus extraordinaire.

Depuis la fin de la conférence de 2010 de révision du traité de non-prolifération – la conférence quinquennale qui revoit les progrès du traité de non-prolifération, évalue comment le désarmement se développe et donne des recommandations pour les étapes futures – quelques gouvernements et la société civile ont recentré le débat sur le désarmement. Ils se sont écartés des « questions de sécurité » vantées dans le P5 et se sont orientés vers les « questions humanitaires » : le fait qu’une guerre nucléaire éliminerait de la Terre les êtres humains et probablement toute forme de vie – à l’exception possible d’insectes éphémères et de bactéries.

En d’autres termes, selon cette stratégie, quelles que soient les questions de sécurité, si une guerre nucléaire se déclenche, nous sommes tous perdants. Einstein avait dit «  je ne sais pas avec quelles armes la troisième guerre mondiale aura lieu, mais la quatrième guerre mondiale se fera avec des bâtons et des pierres. » Il semble pourtant, avec nos connaissances nouvelles en climatologie, qu’Einstein pourrait s’être montré trop optimiste – il n’y aura jamais de quatrième guerre mondiale.

Le traité de non-prolifération est un accord à grande échelle : les gars qui n’ont pas l’arme nucléaire ne l’auront jamais et les gars qui ont cette arme l’abandonneront et tout le monde aura le droit de développer l’énergie nucléaire. C’était une grande idée à l’époque (1968), parce que personne ne percevait complètement les dangers de l’énergie nucléaire. Ces dangers n’ont vraiment touché les consciences humaines qu’avec les accidents de Three Mile Island et les désastres suivants à Tchernobyl et, plus récemment, Fukushima.

Le problème avec ce grand accord est qu’il n’a pas été suivi d’effet 47 ans après et que les pays sans armement nucléaire en ont assez d’être tenus en otages par les pays dotés de l’arme nucléaire, sous la menace de la violence nucléaire. Et la déclaration du P5 selon laquelle il s’agit de pays « responsables » n’a pas d’importance, leurs doctrines de sécurité leur permettent d’utiliser des armes nucléaires. Comme pour un braqueur de banques sortant une arme à feu, il importe peu de savoir si celle-ci est chargée ou pas, le simple fait d’exhiber une arme constitue une utilisation de celle-ci.

Le processus d’approbation de cette résolution a été difficile. Malgré l’égalité formelle des Etats membres des Nations Unies, certains Etats sont clairement plus égaux que d’autres. Le P5 a un véto au Conseil de Sécurité et les différences économiques sont telles que les pays développés sont capables de manipuler les pays en développement.

Cependant, à la grande joie de tous dans le mouvement anti-nucléaire de la société civile, ainsi que dans les 57 gouvernements qui ont promu cette résolution, très peu de pays se sont soumis à la pression et 123 pays ont voté pour entamer des négociations l’année suivante.

En outre, les positions des Etats nucléaires et de ceux qui vivent sous un soi-disant traité de défense « parapluie nucléaire » n’ont jamais été aussi divisées. Parmi les 9 pays dotés de l’arme nucléaire, cinq (les USA, le Royaume- Uni, la France, la Russie et Israël) ont voté contre la résolution, trois (la Chine, l’Inde et le Pakistan) se sont abstenus et un (la Corée du Nord) a voté pour la résolution.

Parmi les Etats sous parapluie nucléaire, les Pays-Bas ont été forcés de s’abstenir en raison d’une campagne de la société civile devant le parlement néerlandais. De même, l’Arménie, la Biélorussie et le Kirghizistan se sont abstenus.

Le Japon a voté contre l’interdiction, une attitude qui étonne toujours les observateurs, étant donné qu’il s’agit du seul pays ayant une expérience directe de la signification d’un bombardement nucléaire sur ses villes.

A l’issue du vote, les Etats ont prononcé leurs discours habituels pour soutenir leurs positions. Certains pays ont déclaré craindre que le nouveau processus sape le traité de non-prolifération, en dépit du fait que les pays soutenant la résolution ont affirmé à plusieurs reprises que cette résolution ne fera que renforcer l’article VI du NPT. D’autres ont déclaré que le nouveau processus créerait la division, se contentant du statu quo dans lequel rien n’a bougé en matière de désarmement durant 47 ans. Le traité anti-essais n’est pas entré en vigueur, le Traité sur les matières fissibles n’a pas été rédigé, les USA ont dénoncé le Traité anti missiles balistiques et nous attendons encore les discussions sur une zone libre d’armes de destruction massive au Moyen Orient. De plus, TOUS les Etats nucléaires forment des plans pour moderniser leurs arsenaux, ou ont déjà commencé à le faire, pour un  coût astronomique pour l’économie mondiale et pour les pauvres de la planète.

Le nouveau traité ne va certainement pas mettre hors service une seule arme nucléaire au jour de sa ratification. Mais il rendra ces armes illégales aux yeux des cours internationales, des multinationales et des banques, lesquelles ne voudront pas que l’opinion publique sache qu’elles sont impliquées dans des activités illégales. Ainsi, ce traité augmentera la pression pour le désarmement. Les campagnes dans la société civile visant à stigmatiser les armes nucléaires seront considérablement renforcées et aucun politicien ne pourra plus déclarer que le traité de non-prolifération octroie à son pays le droit de conserver des armes nucléaires. C’est essentiellement la raison pour laquelle les Etats-Unis (et leurs amis) voulaient tant éviter que cette résolution soit déposée devant l’Assemblée Générale.

Et c’est pourquoi son approbation est un événement historique. Ceux qui ont, durant des décennies, accusé d’autres Etats d’être des « irresponsables » et des nations « parias » vont maintenant se retrouver en butte aux mêmes critiques et accusations, pour une très bonne raison.

 

Traduit de l’anglais par Serge Delonvile