Plurivers (Pluriversum en ESP) est une série d’articles du livre éponyme consacré à tous ceux qui luttent pour le Plurivers, ceux qui s’opposent à l’injustice et cherchent des voix pour vivre en harmonie avec la nature. Le monde que nous voulons est un monde dans lequel plusieurs mondes coexistent.           

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Il n’y a plus aucun doute : après des décennies dites « de développement », le monde se trouve aujourd’hui englué dans une crise systémique, multiple et asymétrique, qui irradie sur tous les continents.

Jamais encore on n’a vu s’effondrer en même temps autant d’aspects fondamentaux de la vie, jamais les attentes des humains sur leur propre avenir et celui de leurs enfants n’ont été aussi incertaines. C’est dans tous les domaines désormais que les crises se manifestent, dans l’environnement, en économie, dans la société, en politique, autour de l’éthique, de la culture, de la spiritualité ou de la physique. Ce livre signe un changement, un retour au politique où « le politique » résulte d’interactions entre tenants de conceptions divergentes des mondes alternatifs que nous voulons créer.

On attend d’un Lexique du post-développement qu’il approfondisse, qu’il élargisse, chez les scientifiques, les décideurs politiques et les activistes l’agenda de la recherche, du dialogue et de l’action. Qu’il fasse apparaître une pluralité de visions du monde, d’approches différentes, qui se combineraient toutes dans une commune recherche d’un monde écologique et socialement juste. Cet agenda étudierait le quoi, le comment, le qui, le pour qui et le pourquoi de tout ce qui serait susceptible d’être modifié, dans la limite de ce qui ne peut pas évoluer[1]. Pendant la transition vers un ‘Monde post-développement’, certains de nos camarades de lutte auront des visions stratégiques et d’autres sauront formuler les bons conseils tactiques à court terme. La démocratie — en tant qu’elle est un processus continu de radicalisation — devrait aborder tous les domaines de la vie, du corps à son ancrage dans une démocratie vivante[2].

La théorie du développement — qu’on appelle aussi parfois développementalité ou développementalisme[3] — a séduit dans pratiquement tous les pays. Dans le Nord global, il y a même des groupes qui acceptent la voie toute tracée du progrès alors qu’ils souffrent des conséquences du développement industriel. De nombreux pays du Sud global se sont opposés aux tentatives de régulation de l’environnement en expliquant que le Nord voulait empêcher le Sud d’accéder lui-même à ce niveau de développement.

Les débats internationaux tournent aussi autour des ‘transferts d’argent et de technologie’ du Nord global vers le Sud, parce que — pour le plus grand bien des pays du Nord — ces transferts ne mettent pas en cause les prémisses fondamentales du paradigme du développement. Loin d’être des concepts géographiques, les notions de ‘Nord et Sud global’ ont des implications économiques et géopolitiques. Si bien que l’appellation ‘Nord global’ peut s’appliquer aussi bien aux nations historiquement dominantes qu’aux élites dirigeantes, colonisées certes, mais fortunées, du Sud. De même, du point de vue de nouvelles alliances pour une globalisation alternative[4], on peut considérer que le ‘Sud global’, aussi bien dans les pays riches que dans les pays historiquement colonisés ou les pays ‘pauvres’ en général[5], est une métaphore qui s’applique aux minorités ethniques exploitées ou aux femmes.

Des décennies après la généralisation dans le monde de la notion de ‘développement’ — à côté des pays dits ‘sous-développés’, ‘pays en développement’ ou ‘tiers monde’, pour reprendre des catégories de la guerre froide —, il n’y a qu’une petite poignée de pays qui soient véritablement ‘développés’. D’autres aspirent à imiter le modèle économique des pays du Nord — mais à un prix économique et social exorbitant.

Le problème n’est pas dans la transposition, mais dans la représentation du ‘développement’, qui s’apparenterait à une croissance linéaire, unidirectionnelle, matérielle et financière provoquée par la production de marchandises et les marchés capitalistes. Après de multiples tentatives visant à le redéfinir, le ‘développement’ continue à être ce quelque chose que les expert.es, dans leur obsession de la croissance économique, continuent à gérer et à mesurer à l’aune du Produit intérieur brut (PIB), un indicateur de progrès de qualité discutable et trompeur de surcroît du point de vue du bien-être. En réalité, c’est un ‘mal-développement’ que vit le monde entier, y compris dans les pays les plus industrialisés, qui prétendent être des modèles de style de vie pour les ‘pays arriérés’.

Nos problèmes découlent pour une large part de notre conception de la ‘modernité’ elle-même — on ne peut dire ni que toute modernité serait destructrice ou injuste, ni que toute tradition serait positive. De fait, des marqueurs de modernité tels que les droits humains ou les principes du féminisme s’avèrent libérateurs pour la plupart. Nous définissons la modernité comme la vision dominante du monde qui s’est constituée en Europe depuis la Renaissance, la période transitoire entre le Moyen-Âge et les Temps modernes, et qui s’est consolidée vers la fin du XVIIIe siècle. Parmi les pratiques culturelles et institutions de la modernité, l’une des plus importantes est la foi en l’indépendance de l’individu par rapport au collectif ainsi qu’à la propriété privée, au marché libre, au libéralisme politique, au sécularisme[6] et à la démocratie représentative. Autre élément clé : ‘l’universalisme’, — l’idée que nous vivons tous dans un monde unique, aujourd’hui globalisé et, détail particulièrement critique, que la science est la seule vérité fiable, la messagère du ‘progrès’.

Parmi les raisons les plus anciennes de cette crise multiple figure l’ancienne conception monothéiste selon laquelle la Terre aurait été créée par un ‘dieu’ paternel pour ses enfants humains, un postulat connu sous le terme d’anthropocentrisme[7]. Après s’être développée à l’Ouest, cette conception philosophique, qui joue l’homme contre la nature, a introduit le dualisme, que l’on retrouve dans l’abîme qui sépare sujet et objet, esprit et corps, masculin et féminin, civilisé et barbare. Ces catégories idéologiques classiques légitiment la destruction du monde naturel, ainsi que l’exploitation des différences sexuelles, raciales et civilisationnelles. Les féministes mettent en avant la « culture de domination masculiniste », qui est portée par ces dualismes créés de toute pièce ; les intellectuels du Sud global, quant à eux, insistent plutôt sur leur « colonialité ». Le système mondial moderne[8], à la fois colonial, capitaliste et patriarcal, marginalise et par conséquent dévalorise les formes non occidentales de connaissance comme celles qui relèvent du soin, du droit, de la science ou de l’économie.

Sur toute la planète, c’est le modèle politique dominant, même s’il existe des formes alternatives de ‘modernité’ en Europe, en Amérique latine, en Chine etc. Ce livre rassemble une palette de visions qui s’étend des modèles actuels de développement globalisé jusqu’aux alternatives autogérées. Nombre de ces conceptions radicales entreraient dans la deuxième, voire la troisième catégorie. Pour donner la parole à la diversité, nous partageons l’avis selon lequel la crise globale ne pourra pas être surmontée dans le cadre institutionnel actuel. Elle est due à des circonstances historiques et structurelles, elle nécessite donc sur toute la Terre un éveil culturel profond et une réorganisation au sein des sociétés et entre elles, ainsi qu’entre l’humanité et le reste de ce qu’on appelle la ‘nature’. Pour nous, les humains, la leçon la plus importante à retenir, c’est qu’il nous faut faire la paix avec la Terre, mais aussi entre nous. Partout, l’humanité cherche comment elle pourrait satisfaire ses besoins de façon à garantir les droits et la dignité de la planète autant que de ses habitant.es menacé.es. Cette exploration se veut une réponse à l’effondrement écologique, à l’accaparement des terres, aux guerres pour le pétrole et aux formes de surexploitation que sont l’agro-industrie et les plantations d’organismes génétiquement modifiés. Du point de vue humain, cela signifie que les communautés rurales perdent leurs moyens d’existence et que les communautés urbaines s’enfoncent dans la pauvreté. Il peut aussi arriver que le ‘progrès occidental’ apporte avec lui des maladies du bien-être, de l’aliénation et du déracinement, ou qu’il oriente dans cette direction. Mais partout, sur tous les continents, se constituent des mouvements de résistance. Le Environmental Justice Atlas (Atlas de la justice environnementale) documente et catalogue plus de 2000 conflits[9], ce qui prouve qu’il existe bel et bien un mouvement actif à l’échelle globale pour la justice environnementale, même s’il n’est pas encore unifié.

Rien ne garantit que le ‘développement’ réussisse à éliminer les discriminations traditionnelles et les violences faites aux femmes, aux jeunes, aux enfants et aux minorités intersexuelles, aux classes sans terre et sans travail, aux races, aux castes et aux ethnies[10]. Alors que la globalisation du capital déstabilise les économies régionales et transforme les collectivités en individualités disparates et en populations migrantes, certaines personnes s’identifient au pouvoir machiste de la droite politique pour s’en sortir. Celle-ci met en avant l’identité nationale et promet de reprendre leur travail aux migrants, qui sont traités comme des boucs émissaires. Il peut même arriver parfois qu’une gauche issue de la classe ouvrière soit ébranlée au point d’adopter cette position en oubliant que ce sont les banques et les entreprises qui sont responsables de ces difficultés. Le monde entier est embarqué dans une dérive autoritaire, de l’Inde aux USA en passant par l’Europe. L’illusion de la démocratie représentative survit du fait d’une élite technocratique privilégiée au cours néolibéral novateur. La frontière entre la droite et la gauche orthodoxe est fluctuante quand il s’agit de productivisme, de modernisation et de progrès. De plus, chacune de ces idéologies se forme sur des valeurs masculinistes et renforce le statu quo.

Karl Marx nous rappelle qu’une nouvelle société issue de l’intérieur de l’ancienne charrie avec elle beaucoup des défauts de l’ancien système. Par la suite, ce sera Antonio Gramsci qui dira à propos de son époque que « la crise réside en ceci que l’ancien se meurt, le nouveau tarde à apparaître ; dans cet interrègne peuvent surgir les phénomènes morbides les plus variés[11]. » Ce que les intellectuels de gauche européens n’ont pas vu, c’est qu’aujourd’hui les alternatives naissent aussi dans les marges de l’échiquier politique — aussi bien dans la marge coloniale qu’à la périphérie de l’état. L’analyse marxiste reste nécessaire, comme toujours, mais elle ne suffit plus ; il faut l’enrichir de perspectives telles que le féminisme et l’écologie, ainsi que de visions du Sud global qui incluraient les idéaux gandhiens. Dans une phase de transition telle que celle-ci, la critique et l’action ont besoin de nouveaux récits en lien avec des solutions matérielles pratiques. Faire plus du même mais mieux, ou bien faire moins du même, cela ne suffira pas. La voie à suivre ne consiste pas simplement à renvoyer davantage les entreprises sur leurs responsabilités ou à instaurer des réglementations ; il ne s’agit pas non plus qu’une politique libérale pluraliste accorde aux ‘gens de couleur’, aux ‘anciens’, aux ‘handicapés’, aux ‘femmes’ ou aux ‘queers’ la pleine jouissance de leurs droits civiques. Quand bien même on maintiendrait ‘intacts’ quelques rares îlots de nature en bordure du capitalisme citadin, cela n’aurait que peu d’influence sur l’effondrement de la biodiversité.

Ce Lexique du post-développement se réfère à un temps où les grands modèles politiques du XXe siècle — démocratie libérale représentative et socialisme d’état — sont devenus des formes de gouvernement trop incohérentes et dysfonctionnelles, même si elles permettent à quelques rares privilégiés d’accéder au bien-être et au droit. En ce sens, le livre commence par quelques réflexions sur le concept de développement, qui s’appuient sur les expériences d’un ou d’une activiste scientifique de chaque continent (à l’exception de l’Antarctique) : Nnimmo Bassey (Afrique), Vandana Shiva (Asie), Jose Maria Tortosa (Europe), Phil McMichael (Amérique du Nord), Kirk Huffman (Océanie) et Maristella Svampa (Amérique du Sud).

À la suite de ces critiques, le Lexique s’intéresse à l’examen des limites de cette idéologie du développement (développementalisme) et à la coloration réformiste des solutions qu’elle propose à la crise globale. C’est ici que l’on voit à quel point le spectre de la modernité renaît sans cesse : en effet, ceux qui sont au pouvoir ont une vision à court terme de la résolution des crises, ce qui maintient le statu quo entre le Nord et le Sud. Cette partie étudie entre autres les mécanismes de marché, la géo-ingénierie et l’agriculture respectueuse de l’environnement, les questions démographiques, l’économie verte, les techniques reproductives et le transhumanisme. L’un des thèmes les plus en vue est la catégorie politique si fréquemment évoquée de ‘développement durable’. Évidemment, il peut arriver aux gens les mieux intentionnés de propager par erreur des réponses superficielles, voire fausses, à des problèmes globaux. En outre, il n’est pas facile de faire la différence entre des initiatives mainstream ou superficielles et d’autres radicales, transformatrices alors que le complexe médiatico-militaro-industriel et la propagande de l’industrie du Greenwashing déploient leurs capacités de séduction.

La critique de l’industrialisation n’est pas une nouveauté. Mary Shelley (1797-1851), Karl Marx (1818-1883) et Mohandas Gandhi (1869-1948) se sont exprimés, chacun.e à sa manière, à ce propos, comme l’ont fait tant de mouvements populaires ces deux derniers siècles. Les débats sur le développement durable du début du XXIe siècle ont été sérieusement influencés par l’argumentation du Club de Rome sur Les limites à la croissance[12], et des cercles officiels ont fait part de leur inquiétude à propos des technologies de production de masse et du modèle de consommation depuis la Conférence sur l’environnement et le développement qui s’est tenue sous l’égide des Nations Unies en 1972à Stockholm. Des conférences régulières à l’échelle planétaire ont fait émerger les divergences entre développement et environnement, que le rapport Notre avenir à tous de 1987 a mises au centre du débat. Et pourtant, jamais les Nations Unies ou les états-nations n’ont réussi à produire des analyses critiques vis-à-vis des facteurs socio-structurels constitutifs de cet effondrement écologique. Le point de bascule a toujours été le caractère ‘durable et intégrateur’ donné à une croissance économique et un développement qui s’appuient tous les deux tant sur des technologies et des marchés appropriés que sur des réformes politiques institutionnelles. Le problème, c’est que ce mantra de la durabilité a été digéré depuis un bon moment déjà par le capitalisme et qu’il a été débarrassé de son contenu écologique.

À partir des années 80, l’expansion de la globalisation néolibérale a pris un tour agressif sur toute la planète. L’ONU s’est alors concentrée sur un programme de ‘réduction de la pauvreté’ dans les pays en développement sans remettre en question les causes de la pauvreté dans l’économie du Nord global prospère, fondée sur l’accumulation. Au contraire, il était affirmé que les pays devraient atteindre un haut niveau de vie avant de pouvoir consacrer des ressources à la protection de l’environnement[13]. C’est ainsi que la ‘croissance économique’ a été redéfinie comme une étape nécessaire[14]. Cette dilution des débats antérieurs au-delà des frontières a ouvert la voie au concept écologique moderniste d’‘économie verte’. Le nouveau millénaire était porteur d’une myriade de projets keynésiens de ce genre : bioéconomie, révolution verte pour l’Afrique, incitation en Chine comme en Europe à l’économie circulaire et agenda 2030pour un développement durable[15].

À la Conférence des Nations Unies sur le développement durable de 2012, cette idéologie creuse de la durabilité a été le fil directeur de discussions multilatérales. Quelques temps auparavant, le Programme des Nations unies pour l’environnement (UNEP – United Nations Environmental Programme) avait pris langue avec le secteur des entreprises et même quelques représentant.es de la gauche politique[16] enthousiasmé.es par la nécessité d’un Green New Deal. Dans le cadre de la préparation du Rio + 20, le PNUE publia un rapport sur l’économie verte, qu’il définit comme une économie « qui conduit à une amélioration du bien-être humain et à la justice sociale tout en réduisant significativement les risques environnementaux et les pénuries écologiques[17]. » En accord avec cette politique croissanciste des représentant.es d’un développement durable, toutes les formes de vie naturelle furent décrites sur l’ensemble de la planète comme capital naturel et biens économiques critiques, ce qui ne fit qu’accentuer la transformation de la vie en un vaste marché. Celles et ceux qui militaient pour une autre globalisation y résistèrent avec encore plus d’acharnement.

La résolution en plus de vingt articles qui clôture officiellement le Rio + 20 se prononce pour la croissance économique. Cette approche repose sur une écologisation supposée de la théorie économique néoclassique, dite économie de l’environnement : celle-ci est convaincue que la croissance va se séparer ou se découpler de la nature par la dématérialisation et la réduction des atteintes portées à l’environnement du fait de ce qu’on appelle ‘éco efficience’. Des mécanismes empiriques Cradle-to-Grave (du berceau à la tombe) et des études sur le métabolisme social de l’économie écologique montrent pourtant que la production s’est relativement dématérialisée — ce qui veut dire qu’il y a moins d’énergie et de matière première par point de PIB — mais que les quantités de matière et d’énergie n’ont pas diminué pour autant, ce qui est essentiel pour la durabilité. Sur le plan historique, les seules périodes de dématérialisation absolue coïncident avec des récessions économiques[18]. La représentation courante de ‘l’efficience économique’ est loin de respecter les frontières biophysiques — que ce soit dans la nature et dans les ressources naturelles, dans les capacités d’adaptation des écosystèmes ou bien dans les limites planétaires.

Les ‘Objectifs du développement durable’[19] montrent des lacunes dans le modèle international du capitalisme vert — présenté dans la déclaration Transformer notre monde : le Programme de développement durable à l’horizon 2030 — [20] :

  • aucune analyse de la manière dont les racines structurelles de la misère se sont ancrées historiquement dans le pouvoir étatique, dans les monopoles des entreprises, dans le néocolonialisme et les institutions patriarcales ;
  • insuffisante concentration sur la gouvernance démocratique directe, avec une prise de décision responsable entre citoyen.nes et collectivités conscientes d’elles-mêmes ;
  • incessante mise en avant de la croissance économique comme moteur du développement, ce qui contredit les lois de la biophysique ; surreprésentation arbitraire du PIB comme indicateur de progrès ;
  • confiance inébranlable en la globalisation économique comme stratégie économique essentielle, alors qu’elle sape les initiatives pour l’indépendance et l’autonomie ;
  • subordination durable au capital privé et réticence à démocratiser le marché parle contrôle des travailleur.se.s, des producteur.trices et des communautés ;
  • science et technologie modernes sont considérés comme des panacées sociales ; par conséquent, leurs limites et leurs impacts sont ignorés et tout savoir autre est marginalisé ;
  • mise entre parenthèses de la culture, de l’éthique, de la spiritualité, qui se retrouvent subordonnées aux forces économiques ;
  • consommation dérégulée sans stratégie susceptible de permettre au Nord global de lutter contre la pollution de la planète qu’il a induite par les déchets, la toxicité et les émissions préjudiciables au climat;
  • des architectures néolibérales de gouvernance globale qui s’appuient de plus en plus sur les valeurs de management technocratique des bureaucraties étatiques et multilatérales.

Aujourd’hui, ce cadre fixé pour les ODD en 2015 a atteint une portée mondiale, mais c’est un faux consensus[21]. C’est ainsi qu’on encourage, par exemple, ‘une croissance économique durable’ incompatible avec la plupart des ODD. Si on considère le développement comme une notion toxique, qu’il faut rejeter[22], alors le développement durable est une contradiction en soi. Le théoricien de la décroissance Giorgios Kallis a fait ce commentaire : ‘Le développement durable et sa toute dernière réincarnation, la ‘croissance verte’, dépolitisent les véritables contradictions entre visions d’avenir alternatives. Ils technicisent les problèmes environnementaux, promettent des solutions win-win et une croissance économique continue sans dommages à l’environnement, ce qui est impossible[23]. C’est ce qui se passe avec des solutions réformistes.

Nous ne voulons sous-estimer ni les capacités humaines à trouver de nouvelles solutions technologiques pour diminuer les problèmes — par exemple, dans le domaine des énergies renouvelables —, ni les nombreux éléments positifs du cadre ODD[24]. Notre but serait plutôt de souligner que les innovations technologiques et économiques ne permettront pas de sortir de la crise sans une évolution socio-culturelle fondamentale[25]. Si les états-nations et les sociétés se préparent aux ODD, il faut impérativement fixer des critères qui aident les gens à percevoir cette différence.

La partie principale du Lexique rassemble toute une série d’idées complémentaires les unes les autres aux antipodes des préjugés de la raison politique conventionnelle, ainsi que des approches concrètes, porteuses d’initiatives radicales et systémiques[26]. Certaines d’entre elles revivifient ou interprètent de manière créative des conceptions indigènes du monde qui existent depuis longtemps ; d’autres proviennent de mouvements sociaux actuels ; d’autres encore se réfèrent à des philosophies plus anciennes et à des traditions religieuses. Toutes posent la même question : qu’est-ce qui marche à ce point sur la tête dans le quotidien d’aujourd’hui ? Qui en est responsable ? Que serait une vie meilleure et comment y arriver ? Les féministes de la ‘Sostenibilidad de la vida[27]’ se demandent : qu’est-ce qu’une vie qui vaut d’être vécue ? Et comment les conditions pour y arriver peuvent-elles être réunies ?

Mises ensembles, toutes ces perspectives constituent un Plurivers : un monde dans lequel plusieurs mondes ont leur place, comme le disent les zapatistes du Chiapas. Tous les mondes de toute l’humanité devraient coexister dans la dignité et la paix, ils ne devraient pas nécessairement impliquer de l’humiliation, de l’exploitation et de la misère. Un monde plurivers vient à bout d’attitudes patriarcales, du racisme, de l’idée de caste et de toute autre forme de discrimination. L’humanité peut y réapprendre ce que signifie être une modeste partie de la nature, elle peut laisser derrière elle la conception étroitement anthropocentrée de progrès fondés sur une croissance économique. Des formes d’expressions pluriverses différentes peuvent coopérer ensemble, mais, contrairement à l’idéologie universalisante du développement durable, elles ne se réduisent pas à une politique globale gérée par l’ONU, par un autre système de gouvernance globale, ou par des systèmes régionaux ou étatiques. Nous imaginons une collaboration mondiale des alternatives qui fasse émerger des stratégies de transition — des petits pas quotidiens vers une grande transformation.

Notre projet de déconstruction du développement s’ouvre sur une matrice d’alternatives, de l’univers au plurivers. Il en existe déjà des projets et des réalisations, que les milieux activistes et académiques connaissent bien. Par exemple, le Buen Vivir (bien vivre), qui porte différents noms en Amérique du Sud ; Ubuntu, en Afrique du Sud, met en valeur la réciprocité humaine ; Swaraj, en Inde, se concentre sur l’indépendance et l’autogestion[28]. Ce livre part de l’hypothèse qu’il y a dans le monde entier des milliers d’initiatives transformatrices de ce genre. Il y a d’autres initiatives, moins connues, mais tout aussi pertinentes, telles que Kyosei, Minobimaatisiiwin, Nayakrish, ou les versions critiques des grandes religions, islam, christianisme, hindouisme, bouddhisme et judaïsme. Même les orientations politiques telles que l’écosocialisme ou l’écologie profonde ont des points de convergence avec les idéaux sociaux d’antan. Beaucoup de concepts ont une histoire longue, mais ils ressurgissent sans cesse dans la représentation de mouvements pour le bien-être et ils peuvent coexister sans problèmes avec des concepts contemporains tels que la décroissance ou l’écoféminisme[29].

Que ce soit au Nord, au Sud, à l’Est ou à l’Ouest, chaque strie de l’arc-en-ciel Post-Development symbolise l’émancipation humaine au sein de la nature[30]. C’est ce rapport qui différencie notre projet pluriversel du relativisme culturel. Comme dirait Aldo Leopold : ‘‘Une chose est juste si elle contribue à maintenir l’intégrité, la stabilité et la beauté de la communauté biotique. Elle est fausse si elle tend vers une autre direction[31].“

Pour faire la paix avec la Terre, il y a un autre objectif pacificateur, associer les savoirs traditionnels et actuels en un processus qui exige un dialogue horizontal respectueux. Ce qui veut dire qu’il n’y a pas plus de plans qui soient valables en toutes circonstances qu’il n’y a de théories qui échapperaient aux questionnements. En fait, ce genre de réflexivité historique n’est reconnu que depuis peu comme un champ d’action politique. Les réactions aux macrostructures de pouvoir telles que le capital ou l’empire sont des perspectives bien reconnues. Ce qui reste encore méconnu, c’est le champ des micro-pouvoirs, des pouvoirs capillaires, qui alimentent la violence au quotidien. On pourra adresser des louanges spirituelles à la Justice ou à la Terre-Mère, rien de tout cela ne suffira à introduire les changements que nous appelons de nos vœux. Pour construire une maison pluriverselle, il faut exhumer un nouveau fondement

Les initiatives transformatrices se différencient des solutions traditionnelles ou réformistes par de multiples aspects. Dans l’idéal, elles s’attaquent aux racines d’un problème. Elles mettent en question ce que nous avons déjà identifié comme les marqueurs du discours développementaliste — croissance             économique, productivisme, rhétorique autour du progrès, rationalité instrumentale, marchés, universalité, anthropocentrisme et sexisme. Ces alternatives transformatrices entraîneront une éthique radicalement différente de celle qui sous-tend le système actuel. Les contributions, dans cette partie du livre, reflètent des valeurs qui reposent sur une logique relationnelle dans laquelle tout est relié à tout.

Il y a plusieurs voies qui mènent à une biocivilisation, mais nous nous imaginons des sociétés qui comprennent entre autres les valeurs suivantes :

  • diversité et pluriversalité ;
  • autonomie et sens des responsabilités ;
  • solidarité et réciprocité ;
  • biens communs et éthique communautaire ;
  • unité avec la nature et droits de la nature ;
  • dépendance réciproque ;
  • simplicité et frugalité ;
  • inclusivité et dignité ;
  • justice et égalité ;
  • absence de hiérarchie ;
  • dignité du travail ;
  • droits et devoirs ;
  • durabilité écologique ;
  • non-violence[32]

Les exclus, les exploités et les opprimés auront des capacités d’action politiques. Les transformations prendront en compte différentes dimensions et les mobiliseront, même si elles ne pourront pas l’être toutes d’un seul coup. On pourrait voir un exemple de cette perspective dans la série de rencontres qui ont eu lieu depuis 2014 en Inde, sous le nom de Vikalp Sangam (rencontres d’alternatives[33]). Les valeurs représentées par ce mouvement sont les suivantes :

  • Sagesse écologique, intégrité et capacité de résistance : … là où se retrouvent prioritairement des processus écologiques régénératifs, qui protègent les écosystèmes, les espèces, les fonctions et les circulations ; … là où on respecte les frontières écologiques — localement et globalement — … et là où l’éthique écologique infuse dans toutes les activités humaines.
  • Bien-être social et justice : … là où on atteint un sentiment physique, social, culturel et spirituel de satisfaction, … là où l’égalité règne du fait de l’existence de droits socioéconomiques et politiques, …là où des rapports libérés de toute discrimination et une harmonie collective remplacent les hiérarchies basées sur les croyances, le sexe, la caste, la classe, l’appartenance ethnique, les capacités et l’âge et… où les droits humains collectifs et individuels sont garantis.
  • Démocratie directe et démocratie représentative : … là où les décisions se prennent au consensus jusque dans la plus petite unité communautaire, à laquelle tout homme et toute femme a le droit, la capacité et la possibilité de participer et … où un gouvernement démocratique créé au consensus par des délégués directement responsables soutient les besoins et les droits de tou.tes ceux-celles qui sont actuellement marginalisé.es, par exemple, les jeunes et les minorités sexuelles.
  • Démocratisation économique : … là où la propriété privée est remplacée par le bien commun et où la distinction entre entrepreneur.se.s et travailleur.se.s perd son sens ; … là où les collectivités et les individualités ont toute autonomie sur la production locale, la distribution et les marchés ; … où la régionalisation est un principe clé et où le commerce repose sur le principe de l’échange juridiquement égal.
  • Diversité culturelle et démocratie de la connaissance ; … là où on respecte toute une diversité de modes de vie, d’idées et d’idéologies ; … où on recherche la créativité et l’innovation ; … la production, la transmission et l’utilisation de savoirs — traditionnels ou modernes, y compris la science et la technologie — est accessible à tout le monde.

Où sont donc les femmes — ‘l’autre moitié de l’humanité’ — dans tout cela ? Comment pouvons-nous garantir qu’un plurivers post-développementiste ne va pas abattre le colonialisme tout en maintenant les femmes ‘à leur place’ de responsables matérielles dans les activités de la vie quotidienne ? Pour faire un premier pas sur la voie d’un tournant systémique radical, il faudrait chercher comment les pratiques et les connaissances, qu’elles soient modernes ou traditionnelles, privilégient la masculinité et les possibilités qu’elle offre. À l’origine, les deux mots écologie et économie avaient la même racine grecque — oïkos, qui signifie ‘notre maison’. Mais cette unité a rapidement explosé, au moment où l’autoproclamée supériorité de l’homme sur la nature a commencé à inclure également l’exploitation des énergies féminines. Des civilisations entières se sont construites sur un contrôle de la fertilité féminine en fonction du sexe — condition sine qua non pour la pérennité de tout régime politique. C’est ainsi que les femmes devinrent des moyens plutôt que des fins, qu’elles devinrent des objets, et que donc leur condition d’individualités humaines à part entière leur fut retirée avec les droits qui allaient avec.

Ironiquement, l’économie — ou bien le secteur productif, comme on l’appelle dans le Nord global — détruit ses propres fondements sociaux et écologiques dans le secteur reproductif. Le livre contient un certain nombre de contributions sur divers aspects de la résistance des femmes contre cet ethos irrationnel du développement — féminisme latino-américain et pacifiste, femmes pour la paix, matriarcat, salaire pour le travail domestique, politique du corps et écoféminisme. La plupart de ces initiatives trouvent leur origine dans la lutte des femmes pour leur survie. Elles associent l’émancipation politique et la justice environnementale, les problèmes locaux et les structures globales ; généralement, elles plaident pour une économie de subsistance durable par opposition au progrès linéaire et au développement de rattrapage[34]. À l’inverse, le féminisme mainstream occidental est tendanciellement anthropocentré au point que les féministes libérales, voire socialistes, peuvent s’en laisser conter avec leur objectif d’égalité. C’est ainsi que leur politique, sans le vouloir, rafistole de fait des institutions masculinistes existantes.

Les analyses officielles de l’ONU et des gouvernements n’ont jamais critiqué fondamentalement les forces structurelles qui sont au fondement de l’effondrement écologique. Quant à la structure profonde des vieilles valeurs patriarcales prescrites par les développements globaux, elle ne fait pas plus l’objet de recherches. La libération des femmes, connue comme « la plus longue des révolutions », de la domination sociale des hommes ne sera pas une mince affaire. Même les expert.es politiques confondent trop souvent le bien-être du ménage ou de la collectivité avec le bien-être du soutien de famille et ils ignorent la hiérarchie au sein du foyer.

En sciences, la tendance postmoderne est à réduire l’identité sexuelle vécue à la construction sexe, une autre convention qui ne va pas être d’une grande aide. De même, le traitement de la classe, de la race et du sexe comme structures intersectionnelles abstraites peut détourner l’attention de la matérialité crue de l’expérience vécue. Les aspects démocratiques formels — le droit de vote ou l’égalité salariale entre les hommes et les femmes — ne font qu’égratigner en surface des habitudes séculaires d’oppression entre les sexes[35]. Si l’adhésion à des vertus spirituelles ou à des principes séculiers forts tels que la diversité ou la solidarité peut avoir son intérêt, elle ne garantit pas pour autant la fin des effets biophysiques de la violence entre les sexes.

Les activistes à la recherche d’alternatives justes et durables doivent prendre connaissance de ce niveau qui reste non-dit de la matérialité politique. Au Nord comme au Sud, les femmes sont confrontées à des degrés divers au silence et aux chicanes ; elles ne manquent pas seulement de ressources, bien souvent, elles manquent aussi de liberté de mouvement. Elles vivent des humiliations que la culture cautionne, telles que menstruation, excision, polygamie, meurtre de dot, crime d’honneur, mises à mort des veuves parle feu (suttee), pincements et tripotages, et aujourd’hui, en plus, vengeance pornographique numérique. Elles subissent des accouchements sous la contrainte, la violence à la maison, le viol au sein du couple, les viols collectifs par des jeunes, le viol génocidaire comme arme de guerre, la stigmatisation en tant que veuves ; et autrefois, elles étaient poursuivies comme ‘sorcières’. Au XXIe siècle, la combinaison de stérilités féminines, de violences privées et de dommages de guerre collatéraux sur la population civile a eu pour incidence une baisse de la proportion de femmes par rapport aux hommes dans les indicateurs démographiques mondiaux. Rien qu’en Asie, un million et demi de femmes ont perdu la vie pour l’une de ces raisons dans les dix ans qui viennent de s’écouler.

Les viols d’enfants et la cruauté vis-à-vis des animaux sont d’autres aspects de l’ancien privilège patriarcal omniprésent vis-à-vis des ‘formes de vie inférieures’. Ces activités sont une forme d’extractivisme, de satisfaction par des énergies siphonnées d’autres corps — celles précisément qui sont le plus proches de la nature. En lien avec les analyses révolutionnaires d’Elizabeth Dodson Gray, des scientifiques écoféministes se livrent à une critique historique globale de l’ordre capitaliste patriarcal — ses religions, son économie et sa science. En déconstruisant la force persistante des vieux dualismes idéologiques — homme/nature, homme/femme, chef/travailleur, Blanc/Noir, ils et elles montrent que les différentes formes de domination sociale sont reliées entre elles[36]. Au Nord global comme au Sud, la politique de soins menée par les femmes entre en résonance avec les coutumes de Buen Vivir, Ubuntu et Swaraj : c’est que dans les deux hémisphères le travail quotidien des femmes enseigne une autre théorie de la connaissance, une théorie qui repose non pas sur une logique instrumentale, mais sur une logique relationnelle — comme la rationalité des processus écologiques[37]. Dans leur manifestation la plus profonde, ces voix pluriverses mettent en question aussi bien la modernité que le traditionalisme en situant l’incarnation matérielle de la classe, de la race, du sexe et de l’espèce dans un cadre écocentré. Il ne pourra pas y avoir de Plurivers tant que les fondements historiques des revendications masculines ne seront pas à l’ordre du jour des débats politiques.

Les lecteur.trices seront tout à fait légitimes à interroger la confiance que nous mettons, nous et tant d’autres auteur.trices du Lexique, dans l’idée de collectif. Certes, c’est une notion controversée, derrière laquelle peuvent facilement se cacher des oppressions sur la base du sexe, de l’âge, de la classe, de la caste, de l’appartenance ethnique, de la race ou de capacités. Nous sommes également conscients qu’une politique ou une économie orientée vers le local est souvent xénophobe — une étroitesse d’esprit qui se manifeste actuellement dans les résistances nationalistes face aux réfugiés dans plusieurs parties du monde. Au vu de l’intolérance de la droite et de la politique identitaire défensive de la gauche, notre Catalogue des alternatives ambitionne des pratiques intégratives et inclusives. L’espoir, c’est qu’on puisse trouver quelque part dans le monde des religions patriarcales des éléments d’ouverture à la vie et qu’on puisse cultiver ce potentiel.

L’idéal de l’esprit communautaire qu’on observe ici porte le caractère paradigmatique des mouvements d’aujourd’hui autour du ‘Commoning’ ou de la ‘Comunalidad’. Comme pour les initiatives regroupées dans le réseau Vikalp Sangam, ces collectifs se fondent sur le soutien autonome à la prise de décision par des relations personnelles et un échange économique qui vise à la satisfaction des besoins par l’autosuffisance[38]. Notre conception de la communauté est critique : en procès et remettant sans cesse en cause l’hégémonie capitaliste patriarcale moderne de ‘l’individu’ comme noyau de la société. Nous espérons que ce livre suscite des contre-mouvements à cette contrainte colonisante globale ; de même, nous nous inspirons nous-mêmes de groupes culturels du monde entier qui jouissent aujourd’hui encore d’une existence collective[39]. Dans ce contexte, la sociologue mexicaine Raquel Gutiérrez Aguilar conseille le concept de ‘entramados comunitarios’ (interdépendances communautaires).

‘‘ [L]a diversité des mondes humains qui peuplent le monde et mettent en avant leurs normes diverses de respect, de collaboration, de dignité, d’amour et de réciprocité qui ne sont pas totalement inféodées à la logique de l’accumulation du capital, même si elles sont souvent attaquées et terrassées par ce dernier… de telles interdépendances collectives… se trouvent sous différentes formes… Elles comprennent, les unes depuis longtemps, les autres plus récemment, les diverses configurations humaines collectives et extrêmement changeantes qui insufflent du sens et créent ce que la philosophie politique classique désigne comme ‘espace socionaturel[40]’.

Parmi les visions du monde et les actions radicales présentées dans ce livre, il en est un certain nombre qui braquent les projecteurs sur le Plurivers. En en parlant, nous renforçons leur existence et leur viabilité. En fait, ce qui rend possible ce livre, c’est avant tout la diffusion de témoignages qui viennent de ces autres mondes. À l’inverse, on peut dire de ce point de vue que la mode mainstream de solutions réformistes au développement s’est révélée fausse. En réponse à la crise écologique, les expert.es du Nord global font partir leurs prétendues solutions des catégories responsables de l’effondrement de la planète ! Ce n’est pas leur attachement à ‘la dolce vita’ qui pourra nous éclairer s’il s’agit de construire un plurivers durable. Répétons-le une fois de plus : la notion de plurivers met en question le concept d’universalité, qui est central pour les modernes eurocentrés. Avec leur slogan ‘‘ Un monde qui contient beaucoup de mondes ’’, les zapatistes nous donnent la définition la plus concise et la plus juste du plurivers.

Tandis que l’Ouest a réussi à vendre sa propre conception— qui ne connaît que la science moderne et qui est dominée par sa propre vision du monde —, les mouvements pour une globalisation alternative recommandent la Pluriversité comme un projet collectif qui repose sur la diversité des ‘‘chemins vers l’expérimentation du monde’’. Vu l’asymétrie des forces, les peuples indigènes ont dû prendre leur distance d’avec leur propre vision de bon sens et apprendre à vivre avec le dualisme masculiniste eurocentré homme/non-homme, qui a conduit à traiter les peuples autochtones comme des non humains, comme des ‘ressources naturelles’. En s’investissant pour les montagnes, les mers ou les fleuves, ils s’opposent à ce dualisme et montrent qu’il s’agit en l’occurrence non pas non de purs objets ou de pures ressources, mais bel et bien d’êtres sensibles doués de ‘droits’. Pour ce qui reste de la nature, au contraire, beaucoup de personnes raisonnables dans les pays industrialisés exigent des droits qui aient leur traduction légale politique. Ainsi, ils commencent à assimiler ce que les peuples indigènes ont intégré depuis toujours dans leur vision du monde, à leur manière formelle qui leur est familière[41]. La route est longue encore avant que la diversité des mondes se complète mutuellement et totalement, mais de plus en plus les mouvements pour la justice et l’écologie trouvent une base commune. Jusqu’aux luttes politiques des femmes, qui se retrouvent sur ce point.

Tant au Nord global qu’au Sud, ce sont essentiellement les mères qui soignent et les grand-mères qui s’impliquent dans cette interconnexion pour défendre et restaurer des formes collectives locales d’être et d’autonomie. Pour ce faire, elles s’appuient, comme les indigènes dont nous avons parlé plus haut, sur des formes non patriarcales d’action, d’être et de savoir42. Elles invitent à participer, à collaborer, à se respecter, à s’accepter réciproquement et horizontalement ;elles honorent le sacré dans le renouveau cyclique de la vie. Leurs cultures implicitement matriarcales s’opposent aux ontologies qui reposent sur la domination, la hiérarchie, le contrôle, la puissance, la négation des autres, la violence et la guerre. Du mouvement mondial des femmes pour la paix aux réseaux anti-extractivistes africains, les femmes défendent la nature et l’humanité avec un message clair : il ne saurait y avoir de décolonisation sans dépatriarcalisation.

Ces initiatives sont en étroit rapport avec les concepts de post-développement présentés ici[43]. Car le plurivers n’est pas seulement un concept à la mode, c’est une pratique vécue. Les conceptions collectives qui reposent sur les droits humains et sur ceux de la nature ne se laissent pas commander par des consignes venues d’en haut. Les initiatives telles que le mouvement pour la transition ou les écovillages peuvent ajouter à des changements réformistes d’autres, systémiques et plus globaux.

Les projets d’émancipations dépendent de la solidarité intercontinentale, ils peuvent travailler main dans la main avec des mouvements de résistance. Exemple : l’initiative Yasuni-ITT en Équateur, qui appelle à “laisse(r) le pétrole dans le sol, le charbon dans ses veines et les sables bitumineux au pays[44]’’. Appliquer dans notre vie les connaissances de plusieurs mondes différents partiellement interconnectés, quoique radicalement différents, cela peut signifier que, dans notre vie personnelle et collective, nous avons à tenir en équilibre les consciences modernes et traditionnelles et les universels. En tant qu’éditeurs d’un Lexique du post-développement, nous nous efforçons de mettre à disposition quelques outils et méthodes conceptuels pour reconnaître le Plurivers et encourager une biocivilisation écocentrée, diverse et multidimensionnelle qui soit en mesure de trouver un équilibre entre les besoins individuels et collectifs. Cette politique vivante et exemplaire se base sur un principe : créer dès maintenant les bases pour le monde que nous voulons vraiment voir se réaliser dans le futur ; elle suppose implicitement une adéquation entre les moyens et les fins.

Comment y arriverons-nous ? Finalement, il s’agit de transformations profondes dans les domaines de l’économie, de la politique, de la société, de la culture et de la sexualité ! Un tournant, cela veut dire accepter une série de mesures et de changements dans les différents domaines de la vie comme dans les différents domaines géographiques. Les transitions pourraient être chaotiques sans être complètement radicales, mais elles pourraient être regardées comme des ‘alternatives’ dès lors qu’elles permettraient un tournant vers la vie. La diversité des visions fantaisistes sur toute la planète est telle qu’elle laisse ouverte la question des synergies à instaurer entre elles. Il y aura des déboires, en cours de route, on verra des stratégies s’estomper et d’autres surgir. Il y aura des différends, des tensions, voire des oppositions ; mais tout cela peut déboucher sur un échange constructif. Les voies du Plurivers sont diverses, ouvertes et en évolution permanente.

 

Pressenza publie sous forme de série des extraits de « Plurivers: Un dictionnaire du post-développement » avec l’aimable autorisation de l’éditeur sous licence Creative Commons : CC-BY-NC-ND. Le livre peut aussi être téléchargé gratuitement (en allemand) à l’adresse : agspak.de/pluriversum 

Voir tous les articles publiés de la série Plurivers

Traduit de l’allemand par Didier Aviat

 


Les auteur.trices

Ashish Kothari est un des fondateurs du groupe indien pour l’environnement Kalpavriksh. Il a enseigné à l’Indian Institute of Public Administration, coordonné la stratégie indienne pour la biodiversité nationale et le plan d’action qui en est sorti, été au conseil d’administration de Greenpeace Inde et de Greenpeace International, participé à la création du consortium APAC et dirigé un réseau IUCN pour les zones protégées et les communautés. Ashish est coauteur ou rédacteur adjoint de plus de trente ouvrages, entre autres : Birds in Our Lives ; Churning the Earth ou Alternative Futures: India Unshackled. Il participe à la coordination des processus Vikalp Sangam et Global Confluence of Alternatives ; il est également membre du Groupe permanent pour l’alternative au développement créé par la Fondation Rosa Luxemburg.

Ariel Salleh est une activiste, autrice de Ecofeminism as Politics: nature, Marx, and the postmodern (1997/2007) et éditrice de Eco-Sufficiency and Global Justice: women write political ecology (2009). Elle a été rédactrice-fondatrice du journal états-unien Capitalism Nature Socialism ; elle est assistante honoraire en économie politique à l’université de Sidney, senior-fellow à la Friedrich-Schiller-Universität Jena et professeure invitée à la Nelson Mandela University. Elle est membre du Groupe permanent pour l’alternative au développement créé par la Fondation Rosa Luxemburg.

Arturo Escobar est professeur émérite d’anthropologie à l’University of North Carolina, Chapel Hill ; il est en lien avec plusieurs universités colombiennes. Son livre le plus connu : Encountering Development: The Making and Unmaking of the Third World (1995). Parmi ses ouvrages les plus récents, on peut mentioner Otro possible es possible: Caminando hacia las transiciones desde AbyaYala/Latino-America (2018) ; et Designs for the Pluriverse: Radical Interdependence, Autonomy, and the Making of Worlds (2017). Il collabore depuis plus de vingt ans avec des mouvements sociaux afro-colombiens.

Federico Demaria travaille comme chercheur interdisciplinaire en sciences sociales et en sciences de l’environnement dans les domaines de l’écologie politique et de l’économie écologique à l’Institut des sciences et technologies de l’environnement à l’université autonome de Barcelone (ICTAUAB). Il est scientifique invité à l’International Institute of Social Studies de La Haye, Pays Bas, membre du Kollektivs Research & Degrowth et d’EnvJustice, un projet de recherche en soutien au mouvement mondial pour la justice environnementale. Enfin, il est également producteur d’olives bio.

Alberto Acosta, économiste équatorien, est l’ancien dirigeant du marketing du CEPE (Société pétrolière de l’État Équatorien), cadre supérieur de l’Olade (Organisation latino-américaine pour l’énergie), conseiller international, ancien Ministre de l’énergie et des mines de l’Équateur et président de l’Assemblée constituante de Montecristi. Actuellement, il est professeur et auteur de nombreux livres et articles, allié à la base dans la lutte et membre du Groupe permanent pour l’alternative au développement créé par la Fondation Rosa Luxemburg.

 


Notes

[1] Pour des réflexions préliminaires sur le Lexique du post-développement, cf. Demaria und Kothari (2017). Pour une autre tentative de formuler différentes alternatives au développement, cf. Kothari et al. (2015) et Beling et al. (2017). Ces derniers débattent de synergies discursives pour une ‘grande transformation’ en vue d’une durabilité entre les tenants du Human Development, Degrowth et ceux du Buen Vivir

[2] Cf. Shiva, http://www.navdanya.org (consulté le 17.05.2023)

[3] Nandy (2003: 164-75); Mies (1986); Deb (2009); Shrivastava und Kothari (2012)

[4] Pour une forme de globalisation radicalement différente de l’actuelle, cf. le chapitre Alternative Globalisierungsbewegung de ce volume.

[5] Salleh (2006)

[6] Utilisé ici au sens d’une orientation opposée à toute spiritualité et à toute religion, plutôt qu’au sens d’une orientation qui respecterait de la même manière toutes les croyances ainsi que les systèmes de croyance non religieux.

[7] Ou, comme le dit Dobson (1995), ‘instrumentalisme humain’ dans la mesure où indubitablement nous pouvons tous être un minimum anthropocentrés de manière neutre. Nous devons l’analyse du dualisme idéologique en tant que tel à la penseuse écoféministe Elizabeth Dodson-Gray (1979)

[8] Grosfoguel et Mielants (2006)

[9] L’Environmental Justice Atlas (EJ Atlas) décrit l’histoire des sociétés en lutte ; c’est le plus important recensement au monde de ces conflits. Il se donne pour objectif de rendre visibles ces mobilisations, d’en mettre en évidence les revendications et les témoignages et de prendre position pour une vraie responsabilité des entreprises et des États dans les injustices induites par leurs activités (Martinez-Alier et al. 2016; Scheidel et al 2018), cf. https://ejatlas.org (consulté le 17.05.2023)

[10] Navas et al. (2018).

[11] Gramsci (1971[1930]), S. 275-76

[12] Meadows et al. (1972)

[13] cf. par exemple une présentation de l’ancien Premier ministre indien Manmohan Singh (1991) et la critique qui en a été faite dans Shrivastava et Kothari (2012), pp. 121-22

[14] Gómez-Baggethun et Naredo (2015) 15 Salleh (2016)

[15] Salleh (2016)

[16] Par exemple, la New Economics Foundation, Londres, et la Rosa Luxemburg Stiftung, Berlin

[17] UNEP (2011); Salleh (2012)

[18] Les études des économistes écologistes sur le métabolisme social, qui mesurent les flux d’énergie et de matière dans l’économie, ont apporté des preuves empiriques importantes ; cf. par exemple Krausmann et al. (2009) ou Jorgenson et Clark (2012). Pour une discussion sur la méthode, cf. Gerber et Scheidel (2018)

[19] SDSN (2013) ; UNEP (2011) ; United Nations Secretary General Panel (2012) ; United Nations (2013) ; United Nations (2015)

[20] Adapté de Kothari (2013)

[21] Ce phénomène a été anticipé dans les travaux pionniers de Shiva (1989) et Hornborg (2009). 22 Dearden (2014)

[22] Dearden (2014)

[23] Kallis (2015)

[24] Pour un regard critique mais ouvert sur le potentiel du cadre des ODD, cf. Club de Madrid (2017)

[25] Cf. aussi : http://www.lowtechmagazine.com/about.html (consulté le 17.05.2023)

[26] Pour des contributions antérieures, Salleh (2017 [1997]) ; Kothari et al (2015) ; Escobar (2015) ; Beling et al. (2018)

[27] L’expression, espagnole, qui signifie « soutenabilité de la vie », est de Peréz Orozco (2014)

[28] Gudynas (2011); Metz (2011); Kothari (2014)

[29] Demaria et al. (2013); D‘Alisa et al. (2014); Bennholdt- Thomsen und Mies (1999); Salleh (2017 [1997])

[30] Salleh (2017 [1997]); Sousa Santos (2009)

[31] Leopold (1949), S. 224

[32] Pour se faire une idée à la fois plus globale et plus précise des éléments et des valeurs des alternatives radicales, cf. le Vikalp Sangam-Prozess (Alternative Confluences/ confluence d’alternatives), qui opère depuis 2014 en Inde http://kalpavriksh.org/ourwork/alternatives/vikalp-sangam (consulté le 17.05.2023), et les points de vue qui en sont ressortis : http://wwwvikalpsangam.org/about/the-search-foralternatives-keyaspects-and-principles (consulté le 17.05.2023).

[33] Pour un point de vue sur Vikalp Sangam, cf. http://www.vikalpsangam.org/about/thesearch-foralternatives-keyaspects-and-principles (consulté le 17.05.2023)

[34] Bennholdt-Thomsen et Mies (1999)

[35] Les salaires des femmes dans les économies développées représentent environ 70 % des salaires des hommes à poste de travail équivalent. Dans les économies développées, les hommes passent moins de 20 minutes par jour avec leurs enfants. Dans l’Inde moderne, seules 15 % des femmes sont actives.

[36] Dodson Gray (1979), Merchant (1980), Waring (1987)

[37] Salleh (1997 [2017], 2011, 2012)

[38] Pour une approche exhaustive de la légitimité de la notion de collectivité et de ses différentes déclinaisons, approche qui prendre également en compte les controverses, cf. Escobar (2010, 2014)

[39] Pour des détails sur le Premier congrès international sur les Communs, 2015, qui s’est tenu à Puebla, Mexique en 2015, et lors duquel ces questions ont été discutées de façon très approfondie, cf. www.congresocomunalidad2015.org (ce site ne peut plus être consulté. Une copie en a été consultée sur https://www.archive.org le 17.05.2023)

[40] Aguilar (2013), S. 33

[41] Cf. par exemple Kauffman et Sheehan (2018) ; et https://therightsofnature.org (ce document n’est plus consultable. Copie consultée le 17.05.2023 à l’adresse : https://www.archive.org)

[42] Il ne faut pas lire cette éthique au prisme de l’idéologie libérale, c’est-à-dire comme la « nature essentielle » des femmes. Il s’agit d’un résultat appris de l’expérience dans les tâches domestiques et éducatives, qui, historiquement, sont dévolues aux femmes dans la plupart des cultures.

[43] Acosta und Brand (2017)

[44] Acosta (2014)


 

Autres sources

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