Depuis qu’une majorité de Québécois ont chassé la religion de leur vie, il y a quelques décennies, la spiritualité est devenue taboue. Mais aujourd’hui, les nouvelles générations cherchent de nouvelles manières de pratiquer leur spiritualité dans un monde en crise. 

Constatant le peu de données disponibles sur la spiritualité des 20 à 35 ans au Québec, le Centre St-Pierre de Montréal a choisi de mener une recherche sur le sujet en collaboration avec l’Université de Montréal. Chantale Prévost du Centre St-Pierre a présenté les résultats de la recherche au congrès scientifique de l’Acfas dans le volet dédié aux communications sur la spiritualité et la société. lundi dernier

Au cours de sa présentation, Madame Prévost a souligné que les chercheurs avaient défini trois concepts afin de cerner le désir de spiritualité chez les jeunes: l’appartenance, l’expérience et la croissance humaine et spirituelle. 

Ces concepts ont servi à identifier des enjeux spécifiques en ce qui a trait à la croissance humaine et spirituelle des jeunes. La recherche a débuté par un questionnaire quantitatif en ligne répondu par 216 personnes, puis elle s’est poursuivie plus en profondeur avec 20 entrevues, suivies de rencontres de groupes. 

Il est important de noter que le contexte social dans lequel la jeune génération évolue présentement est unique. Contrairement aux générations précédentes, les jeunes se sont développés dans un monde global. Cette particularité à conditions particulières grâce auxquelles le désir et le besoin d’une vie spirituelle se font ressentir. 

Conséquemment, les résultats de l’étude ont fait ressortir plusieurs thèmes importants de la spiritualité des jeunes comme par exemple l’importance des relations, des lieux significatifs;  les questions de sens de la vie et d’identité ainsi que la multiplicité des pratiques et des croyances. 

La spiritualité dans un monde en crises

Les paradoxes sociaux dans lesquels les 20-35 ans évoluent ne sont peut-être pas nouveaux, mais leur compréhension et les possibilités de résolution qui en découlent sont propres à cette génération. 

Il semble que leur soif de sens et de justice a comme fondement l’impuissance, et l’anxiété personnelle, relationnelle, environnementale et politique qu’ils vivent orientent en quelque sorte leur quête de spiritualité.

Entre tabou social et absence de mots

C’est avec surprise que les chercheurs ont constaté à quel point les 20-35 ans ont envie et besoin de parler de spiritualité, de partager leur vécu, de trouver des mots pour exprimer leur ressenti. Madame Prévost a expliqué comment le tabou social entourant la spiritualité devenait un frein au besoin des jeunes d’exprimer cette dimension dans leur vie. Les jeunes recherchent des moments et des espaces propices à l’échange sur la spiritualité. 

Une multiplicité de pratiques et de croyances

Les chercheurs ont repéré plus de 40 pratiques énumérées par les jeunes en passant de la marche en forêt au rebirth, de l’ayurvéda à l’écriture, de l’utilisation de la sauge aux pèlerinages. Les 20-35 ans expérimentent de nombreuses pratiques spirituelles sans tenir compte de l’origine religieuse de celle-ci. Ces pratiques répondent à leurs besoins de guérison intérieure, de paix et de bien-être, mais elles sont aussi objet de consommation et de reconnaissance sociale. 

Les questions de sens et de l’identité 

Selon les chercheurs, l’étape de vie que les 20-35 ans vivent en est une profondément marquée par la recherche, l’exploration libre et hésitante, l’expérimentation et la définition progressive de leur identité, à ce qu’ils sentent au plus près de leur être, leur permettant de vivre avec le plus de cohérence possible. Les jeunes recherchent un alignement entre le « cœur, corps, tête et âme » c’est primordial et un gage de cohérence interne pour cette génération qui vit directement les conséquences de la crise. 

Les jeunes revendiquent  la possibilité de reconnaître eux-mêmes leur identité de genre sans que celle-ci leur ait été préalablement imposée par la société. Mais selon les chercheurs en arrière de cette mise en avant du choix libre sur tout, même sur leur identité de genre, on retrouve une même constante, c’est-à-dire, la remise en cause et le rejet de certains modèles imposés par les sociétés et les religions. 

Toutes ces remises en cause alimentent leur soif de connaître et de trouver du sens, de comprendre et de trouver des solutions. 

L’être humain se pose des questions depuis la nuit des temps, que ça fait vraiment partie de l’être humain de se demander ben “qui je suis ?”, “d’où je viens ?”, “où je vais”, autant au niveau individuel que collectif. (propos d’un participant) 

Selon madame Prévost, le contexte social dans lequel vivent les jeunes influence grandement  l’expérience de la spiritualité des jeunes. La planète s’enlise dans des conflits , dans une crise climatique pendant que des scandales d’agressions sexuelles et des pratiques d’exclusion (liées à l’homosexualité ou aux personnes trans) ébranlent les institutions religieuses. 

Ce contexte résonne d’une multitude de façons auprès des jeunes et donne une couleur particulière à leur quête spirituelle. 

Pour Nabuchodonosor (un participant dans la recherche), sa spiritualité est intimement liée à son désir de justice sociale.

Pour moi, c’est être capable de prendre position pour les plus pauvres, pour les opprimés, pour les poqués. 

Cacao, elle, parle plutôt de symbiose.

La spiritualité, c’est l’union avec la Terre, la nature, l’univers et le cosmos. Et d’être conscients que nous ne sommes qu’un. 

Quant à Marie, elle perçoit sa vie spirituelle comme étant indissociable de son militantisme politique. C’est ce qui me guide dans mes décisions, dans comment je vois le monde et comment j’interagis avec les autres. 

En fait, il est intéressant de constater à quel point les jeunes ont soif de sens et de cohérence dans leurs vies et ce malgré le fait qu’ils ont grandi et se sont développés dans un moment de crise globale caractérisée par les catastrophes climatiques, la violence, les épidémies, les attentats terroristes, la montée de la méfiance généralisée, les guerres et la possible dérive de l’intelligence artificielle.

Finalement, l’étude cerne bien le désir des jeunes d’avoir le choix de s’interroger sur le sens de la vie, sur leur identité, sur la direction des choses. Ils veulent avoir le choix de pratiquer une spiritualité. Ils veulent se questionner sur le sens de la vie et sur le sens des événements qui perturbent leur futur et le futur collectif. 

Puisque sans questionnement sur la direction des choses, sans quête de sens, il n’y aucune liberté et tout système, institution, ou pouvoir qui entrave cette quête existentielle bloquent des opportunités pour les nouvelles générations de parcourir de nouveaux sentiers évolutifs et d’exprimer dans le monde le Sacré de nouvelles façons.

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Source: Centre St-Pierre et le journal Le Devoir