Dans ce texte provocateur à souhait, Frédéric Damal (1) nous invite une fois de plus à une réflexion éclairée, cette fois sur cet instrument de démocratie existant en France : le réferedum.
Alors que nous défendons l’idée d’un référendum annuel pour raviver la flamme de la démocratie (2), l’oligarchie politique française semble s’accorder à y faire barrage par tous les moyens.
C’est l’occasion de constater que l’oligarchie politique utilise la même stratégie de dénigrement à l’égard du peuple que les xénophobes à l’égard des étrangers : véhiculer des représentations caricaturales.
Petit florilège, dans le désordre
Le désordre, justement
Faire un référendum amènerait de la cacophonie et la France n’a pas besoin de cela. En effet, il est beaucoup plus sain qu’une coterie politique s’accorde à peu près sur tout et impose au bon peuple son salon de la pensée prête à porter. La confusion la plus totale pourrait même advenir si des personnes d’un même parti politique affichaient ouvertement des désaccords. Peste ! Fichtre ! C’est l’ensemble des fondations de la pensée en uniforme qui se trouverait fragilisé.
Pas sur n’importe quel sujet
Il ne faudrait quand même pas que l’on interroge le peuple sur des sujets polémiques comme l’immigration ou la fin de vie. Ce sont des sujets graves, très complexes et les Français sont trop limités intellectuellement pour comprendre la subtilité de ces questions et les conséquences de leur choix.
Si l’on avait écouté les Français, on en serait toujours à la peine de mort et le « mariage pour tous » n’existerait pas
Ce type d’argument donnerait spontanément envie de faire une réponse cash : et alors, si cela était le souhait d’une majorité de Français ? N’est-ce pas le principe de la majorité et de la souveraineté du peuple ?
Cependant, comme nous n’émargeons pas au culte de la provocation, ce n’est pas la réponse que nous ferons.
Rien ne dit que ces assertions soient vraies, pour trois raisons :
- Il y aurait eu un débat national et cela aurait pu tout changer. Bien sûr, il aurait fallu développer de véritables arguments pour essayer de convaincre les uns et les autres. Malheureusement, à une ou deux exceptions près, nos politiques en sont incapables. Tellement habitués à leur pitoyable spectacle de petites phrases et d’éléments de langage qui forgent la politiquette au quotidien, ils n’ont plus aucun sens de la pédagogie ni de l’explication construite. Pour preuve, ils en sont aujourd’hui à invectiver ceux qui sont en désaccord avec eux, sans esquisser le début de l’ombre d’une démonstration contradictoire.
Il y aurait au moins une vertu supplémentaire inattendue du référendum : faire progresser les politiques dans leur relation aux citoyens.
Une fois d’authentiques cheminements de pensée et de réflexion exposés en lieu et place des slogans idéologiques et des tartes à la crème habituels, on ne sait pas forcément quelle aurait été l’issue de ces votes. - Les sondages nous donnaient des indications erronées. Comme il n’y a pas eu de débat national incluant le peuple, ce que pouvaient raconter les sondages sur l’issue des votes était hors sujet. Ils donnaient une photographie de l’état de l’opinion au regard de la pauvreté pitoyable des débats de la politiquette, c’est tout.
- Il n’est pas impossible qu’un référendum ait rejeté l’abolition de la peine de mort en 1981 et le mariage pour tous en 2013. Cela aurait signifié que la majorité n’était pas prête à ces évolutions sociétales à ce moment-là. Mais cela ne signifie pas que, quelques années plus tard, il n’y aurait pas eu une majorité pour voter ces deux lois, ou pas. Il est des sujets pour lesquels la société n’est pas prête au moment « T » et peut, ou non, le devenir quelques années plus tard. Le peuple qui ne marche pas au rythme des gouvernants n’est pas idiot par hypothèse ? En ce sens, la répétition des référendums permettrait de réinterroger régulièrement le peuple et d’entériner les évolutions à son rythme.
Nos élus sont des sages qui doivent parfois « violenter » le peuple, même s’il n’est pas prêt à accepter ce qu’ils décident
Voilà une monstrueuse escroquerie contre laquelle il faut résister.
D’abord, nos élus ne sont pas des sages. Désolé de reparler du pacifisme, mais quand on constate l’énergie qu’ils dépensent à se battre pour des broutilles et qu’il n’existe aucun élu pacifiste déclaré en France, on a le droit de s’étouffer. Faisons un référendum sur les engagements militaires de la France sur les terrains d’opération extérieurs et voyons qui sont les sages : les élus ou le peuple ? Les sages qui ont sauvé les condamnés à mort en 1981 ont, de l’autre main, cautionné la mort d’innocents sur ces fameux terrains d’opération extérieurs : vrai ou faux ? De la même main, ils ont cautionné la vente d’outils de mort à des états assassins. C’est cela, la sagesse ?
Deuxièmement, de quelle autorité morale peuvent se revendiquer les élus pour « violenter » le peuple en prenant des décisions contre ses aspirations ? Existerait-il une race supérieure, une confrérie de l’urne qui les rendrait plus intelligents de façon immanente ? En regardant les résultats électoraux d’aujourd’hui, on peut en douter.
D’où vient cette sorte de certitude de leur supériorité morale sur le reste de la populace ? Pour tout dire, on ne sait pas très bien. On voit des acteurs qui débitent les poncifs ordinaires de leur camp en attendant que le peuple ébaubi siffle ou applaudisse. Leur supériorité viendrait donc du fait qu’ils ont un camp mu par une pensée générale qui englobe toutes les solutions à toutes les problématiques du monde ? Effectivement, nous sommes des nains à côté et vive le retour du despotisme éclairé ! À moins que tout cela ne soit le marqueur de la faillite de la pensée et de la réflexion en politique…
Malgré le discours des génies de la république, ne serait-il pas plus sage de concéder régulièrement des référendums, sur des sujets très polémiques justement, pour donner raison au peuple ?
Les sujets qui fâchent les citoyens et les emmènent vers les partis populistes/autoritaires ne sont pas si nombreux. Nous postulons que si l’on permet aux citoyens de s’exprimer périodiquement sur ces sujets politiques précis, on éviterait la réaction en retour contre ces politiques qui s’octroient le droit de « violenter » le peuple.
Nous parions que l’aura des propositions populistes/autoritaires diminuerait si le peuple obtenait le droit de donner son avis sur les sujets précis dont il se considère dépossédé. Et contrairement à l’idée reçue, c’est moins le résultat final du vote que le droit de s’exprimer qui aurait cet effet cathartique.
Et si, finalement, on revenait à l’idée que dans une démocratie, le peuple est souverain et plus légitime que tout autre ?
Les Français sont des imbéciles ou des veaux, au choix
Désolé, mais nous n’avons pas d’autre explication au fait que certains politiques soient effrayés à l’idée de leur demander leur avis sur des sujets qui les concernent dans la vie de tous les jours.
Au total, il est bien possible que la peur du référendum soit moins la peur du peuple que le manque de confiance des politiques eux-mêmes dans leur capacité à savoir encore s’adresser à lui.
Le référendum ou la meilleure façon de redonner sa noblesse au débat et de réconcilier le citoyen avec la démocratie
Bien sûr, avec un seul référendum tous les 20 ans, les Français vont s’écharper. Tant pis, tant mieux. Ce sera une occasion de débattre, non pas d’extrême gauche, ni d’extrême droite, ni du reste de la politiquette. On parlera de sujets plus précis, on s’essayera à argumenter. Tant bien que mal, on tentera de s’écouter, de se comprendre. Le plus intéressant se passera dans les familles, dans les quartiers, autour des cercles d’amis : là où doit naître et vivre la politique. Pendant ce temps, la politiquette continuera son cinéma sourd, à défaut d’être muet. Bien sûr, les habitués de l’invective et de l’insulte tiendront le pavé, prêts à le lancer, pour le plus grand plaisir des médias qui ne parleront que de cela. Mais la majorité ne sera pas dans ce comportement et réfléchira, pour voter, en son âme et conscience. Et le résultat sera ce qu’il sera.
Les perdants sur chaque sujet seront ceux qui ont perdu la bataille de l’argumentation et de la pédagogie du choix, c’est tout.
Nous proposons même d’aller plus loin. Faisons du référendum un rendez-vous annuel. Si l’on veut que la démocratie grandisse et retrouve son sens, il faut proposer des référendums réguliers, à plusieurs niveaux de subsidiarité. C’est ce que nous défendons (1). Encore faut-il avoir un peu de confiance et de respect pour le peuple.
Et si l’on doit rassurer définitivement l’oligarchie politique, rappelons-lui qu’elle pourra toujours faire comme en 2005 avec la constitution pour l’Europe ou en 2018 avec le référendum de 2016 sur l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes : faire ce qu’elle veut après…
C’est sans doute la preuve ultime du mépris pour le peuple. Peut-être ne faut-il pas trop s’étonner ensuite qu’il se tourne vers des chimères…
(1) Frédérique DAMAI, auteur de « Nowar, 47 jours d’espoir », Éditions L’Harmattan
(2) Frédérique DAMAI : Crise politique en France et ailleurs : une démocratie participative et ouverte à inventer