C’est dans le quartier industriel de Saint-Nicolas de Lévis que s’est installé l’un des mégacentres de stockage de données informatiques à « haute-densité » de l’entreprise québécoise QScale. Cette bête énergivore, qui s’étend sur des milliers de mètres carrés, prend tous les airs de nos usines du futur. Des terrains déboisés, des bâtiments surveillés en permanence par des tonnes de caméra, des chiens féroces et leurs agents de sécurité qui attendent dans des guérites surchauffées pour protéger les ordinateurs à l’intérieur. Le Big Cloud dans lequel sont stockées et traitées des données.

Certes, accessoirement, QScale, qui se targue de construire sur notre territoire des « centres de traitement informatique durables », prévoit nourrir bien des bouches grâce à de nombreuses serres de tomates et de concombres qu’ils vont installer juste derrière leur propre poste hydroélectrique (question stupide ici, je me demande d’ailleurs comment l’entreprise privée a réussi à obtenir le droit de posséder des installations qui appartiennent habituellement à Hydro-Québec ?).

Tenez-vous bien, ces légumes seront cultivés par l’entremise de super robots-jardiniers et entretenus grâce à l’énergie thermique libérée par les immenses serveurs et leurs ventilateurs qui sera, de la sorte, selon un beau principe d’économie circulaire, récupéré. Je sais ce que vous vous dites : « En plus de l’autonomie alimentaire, voilà qu’avec QScale, un autre problème important, celui de pénurie de main-d’œuvre, sera réglé. » QScale : l’arbre est dans ses feuilles, Marilon don dé ?

Eh bien, je crois que malheureusement, il y a encore là tout lieu de soupçonner ni plus ni moins une pratique de «greenwashing » de la part de la compagnie qui compte utiliser l’argument des tomates et d’autres retombées de pacotilles de son Dataparc pour nous faire oublier l’enjeu au cœur de ses activités. En effet, si QScale se veut un géant des nouvelles technologies, alors il doit rendre compte du fait qu’il concourt, à l’instar des GAFAM, à la destruction de notre démocratie, voire carrément de l’humanité.

Rappelons quelques faits ici : selon une entrevue accordée au quotidien Le Soleil en mai 2021, les dirigeants de QScale révèlent qu’ils ne s’occupent pas du traitement de données traditionnel, mais bien de trucs comme le «deep learning », en bref, de ce qui est en lien avec l’Intelligence artificielle. Pourtant, les systèmes d’IA peuvent poser un risque réel pour l’humanité, comme en témoigne le millier de signataires d’une lettre publiée par le Future of Life Institute, dont fait partie, entre autres, Steve Wozniak, l’un des co-fondateurs d’Apple. 

Lors du développement de ChatGPT-5, les cracks d’informatiques se seraient rendu compte, affolés, que l’IA pouvait exécuter par elle-même des tâches qui demandent de la créativité et qui sont susceptibles de devenir bien vite hors de notre contrôle, comme par exemple utiliser une ruse pour déjouer des systèmes d’encryptage tels CAPTCHA ou encore d’inventer des nouveaux langages et des programmes que nous ne connaissons absolument pas.

Cela est sans parler du capitalisme de surveillance, dont il est question quand on fait, au niveau de QScale, du traitement de l’information. En effet, à chaque jour, à chaque minute, les algorithmes de nos appareils connectés que nous utilisons désormais comme nous respirons recueillent des données sur notre vie privée qui sont ensuite transformées en métadonnées, qui sont, elles, vendues au prix de l’or sur le marché. Convoitées surtout par des firmes de marketing qui vont les utiliser pour nous influencer encore plus à acheter. Elles sont également monnaie courante non seulement pour des pirates malveillants, mais aussi pour les polices et les gouvernements, qui s’en servent notamment, comme le rapporte le journaliste Byron Tau dans un article publié dans le Wall Street Journal, pour obtenir des informations sur les citoyens sans devoir recourir à des mandats de perquisition en règle. Demeurons donc vigilants et critiques face aux discours des dirigeants qui claironnent que les milliards investis dans les chantiers de la nouvelle technologie assurent tout bonnement et simplement la sécurité de nos données.

Andréann Poirier

L’article original est accessible ici