Julian Assange, militant et fondateur de Wikileaks, a écrit une lettre adressée au nouveau roi d’Angleterre Charles III, lui demandant ironiquement de lui rendre visite en prison. L’épouse du journaliste, Stella Morris, a confirmé la requête, qui a été officiellement transmise au monarque. Assange, détenu depuis le printemps 2019 dans la prison de haute sécurité de Belmarsh (au sud-est de Londres), où il lutte contre son extradition vers les États-Unis d’Amérique, souligne à plusieurs reprises dans ses écrits les conditions dégradantes dans lesquelles se trouvent ses prisonniers, évoquant même le suicide tragique d’un codétenu.

À quelques kilomètres de la prison, Charles a été couronné roi le 6 mai 2023, dans la plus traditionnelle et la plus fastueuse des cérémonies. La cérémonie solennelle, qui a duré environ deux heures, s’est déroulée dans l’abbaye de Westminster, puis le cortège royal s’est rendu au palais de Buckingham, où le souverain et son épouse sont retournés avant de saluer la foule depuis le balcon de la famille royale. Tandis que le cérémonial royal, abstrait et « orné de bijoux », est retransmis à la télévision dans le monde entier, M. Assange décrit dans sa lettre une situation inhumaine. Et, ligne après ligne, il désacralise brillamment ce pouvoir qui l’a oublié (en fait a sciemment voulu l’abandonner) derrière les barreaux.

Nous publions la lettre dans son intégralité :

À Sa Majesté le Roi Charles III,

À l’occasion du couronnement de mon souverain, j’ai cru bon de vous inviter chaleureusement à commémorer cet événement important en visitant votre domaine au sein du royaume : la prison de Sa Majesté, Belmarsh.

Vous vous souvenez sans doute des paroles de sagesse d’un célèbre dramaturge : « La qualité de la miséricorde n’est pas contrainte. Elle tombe du ciel comme une douce pluie sur le lieu où elle se trouve ».

Ah, mais qu’est-ce que ce barde de la miséricorde pourrait bien savoir sur le bilan à l’aube de Votre règne historique ?

Après tout, une société se mesure à la façon dont elle traite ses prisonniers, et Votre règne a certainement excellé dans ce domaine.

La prison de Sa Majesté, Belmarsh, est située à l’adresse prestigieuse de One Western Way, à Londres, à deux pas du Old Royal Naval College de Greenwich. Comme il doit être agréable qu’un établissement aussi prestigieux porte Votre nom !

C’est là que sont détenus 687 de Vos loyaux sujets, confirmant ainsi le record du Royaume-Uni en tant que nation ayant la plus grande population carcérale d’Europe occidentale. Comme l’a récemment déclaré Votre noble gouvernement, Votre royaume connaît actuellement « la plus grande expansion de places de prison depuis plus d’un siècle », Vos ambitieuses prévisions faisant état d’une augmentation de la population carcérale de 82 000 à 106 000 personnes dans les quatre prochaines années. Tout un héritage, en effet.

En tant que prisonnier politique, détenu à la demande de Votre Majesté au nom d’un souverain étranger embarrassé, je suis honoré de résider entre les murs de cette institution de classe mondiale. Vraiment, Votre règne ne connaît pas de limites.

Au cours de Votre visite, vous aurez l’occasion de vous régaler des délices culinaires préparés pour vos fidèles sujets avec un budget généreux de deux livres par jour. Vous goûterez les têtes mixées de thon, et les omniprésentes formes reconstituées qui sont censées être du poulet. Et ne vous inquiétez pas, car contrairement aux établissements plus petits comme Alcatraz ou San Quentin, il n’y a pas de repas en commun dans une cantine. À Belmarsh, les prisonniers dînent seuls dans leur cellule, ce qui leur garantit une intimité maximale avec leur repas.

Au-delà des plaisirs gustatifs, je peux vous assurer que Belmarsh offre de nombreuses possibilités éducatives à Vos sujets. Comme le dit Proverbes 22:6 : « Éduquez un enfant dans la voie qu’il doit suivre, et quand il sera grand, il ne s’en détournera pas ». Vous observerez les longues files d’attente devant la porte des médicaments, où les détenus viennent chercher leurs prescriptions, non pas pour un usage quotidien, mais pour l’expérience d’une « grande journée dehors » en une seule fois.

Vous aurez également l’occasion de rendre hommage à mon défunt ami Manoel Santos, un homosexuel qui risquait d’être expulsé vers le Brésil de Bolsonaro et qui s’est suicidé à huit mètres seulement de ma cellule à l’aide d’une corde rudimentaire fabriquée avec ses draps de lit. Son exquise voix de ténor a été réduite au silence pour toujours.

En s’aventurant dans les profondeurs de Belmarsh, on découvre l’endroit le plus isolé à l’intérieur de ses murs : le Healthcare, ou « Hellcare » centre médical comme l’appellent affectueusement ses habitants. Ici, Vous serez émerveillé par des règles raisonnables conçues pour la sécurité de tous, comme l’interdiction de jouer aux échecs, alors que le jeu de dames, beaucoup moins dangereux, est autorisé.

Au sein du centre médical se trouve l’endroit le plus glorieux et le plus édifiant de tout Belmarsh, voire de tout le Royaume-Uni : le sublime Belmarsh End of Life Suite. Écoutez bien et vous entendrez les cris des prisonniers : « Frère, je vais mourir ici », un témoignage de la qualité de la vie et de la mort à l’intérieur de Votre prison.

Mais ne craignez rien, car il y a de la beauté à l’intérieur de ces murs. Admirez les pittoresques corbeaux qui nichent dans les barbelés et les centaines de souris affamées qui habitent Belmarsh. Et si Vous venez au printemps, Vous pourrez peut-être même apercevoir les canetons pondus par les colverts à l’intérieur de la prison. Mais ne tardez pas, car les souris voraces leur assurent une courte vie.

Je vous implore, Roi Charles, de visiter la prison de Sa Majesté, Belmarsh, car c’est un honneur digne d’un roi. Alors que Vous entamez votre règne, puissiez-Vous toujours Vous souvenir des mots de la Bible du roi Jacques : « Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde » (Matthieu 5:7). Et que la miséricorde soit la lumière qui guide Votre royaume, à l’intérieur et à l’extérieur des murs de Belmarsh.

Votre très dévoué sujet,

Julian Assange

 

Traduit de l’italien par Ginette Baudelet