Le Brésil refuse la demande de Berlin d’envoyer des armes à l’Ukraine et tente d’engager des négociations dans la guerre d’Ukraine – aux côtés d’autres Pays du Sud

En contradiction ouverte avec l’Allemagne et les autres puissances occidentales, le Brésil refuse tout livraison d’armes vers l’Ukraine et insiste sur la nécessité d’une initiative de négociations pour mettre fin à la guerre en Ukraine. Le Brésil se considère comme un « pays de la paix » et rejette toute participation à la guerre, a répondu le président Luiz Inácio Lula da Silva lundi, lors de la visite du chancelier allemand Olaf Scholz, à la demande de Berlin de fournir à Kiev des munitions pour le char de défense aérienne « Gepard ». Au lieu de continuer à alimenter la guerre avec d’autres armes, il est nécessaire de lancer une initiative de négociations. Lula estime que la Chine, en particulier, mais aussi l’Inde et l’Indonésie, pourraient y contribuer. Scholz ne soutient aucunement l’initiative des Pays du Sud pour mettre fin aux combats ; il a plutôt soulevé des objections contre. Pourtant, de plus en plus nombreux sont les gouvernements, surtout dans le Sud, qui insistent sur une solution se basant sur des négociations ; récemment, la Colombie et l’Égypte, par exemple, mais aussi Israël, se sont prononcés en faveur de négociations. On voit ainsi se dessiner un contrepoids à la volonté de l’Occident d’affirmer sa domination mondiale actuelle dans et par la guerre en Ukraine.

Pas de prise de position partisane

Les États d’Amérique latine, dès l’année dernière, s’étaient largement tenus à l’écart de la guerre en Ukraine ainsi que de la guerre économique entre l’Occident et la Russie. Certes, la plupart d’entre eux dont les trois pays auxquels le chancelier allemand a rendu visite de samedi à lundi (Argentine, Brésil, Chili), avaient regretté l’invasion de l’Ukraine par la Russie lors du vote de l’assemblée générale de l’ONU le 2 mars.[1] Toutefois, ils avaient évité toute prise de position partisane dans le conflit. La communauté d’États Mercosur par exemple, avait refusé lors de son sommet le 21 juillet à Asunción de permettre au président ukrainien Volodymyr Zelensky un impact médiatique. Déjà auparavant, le parti d’extrême droite au Chili, Partido Republicano, avait échoué dans sa tentative d’accorder un discours à Zelensky devant le Parlement chilien.[2] En juillet, Zelensky avait annoncé qu’il avait téléphoné avec l’ancien président brésilien Jair Messias Bolsonaro ; celui-ci lui avait affirmé que le Brésil continuerait de préserver sa neutralité dans le conflit. [3] Ceci prouve que le refus de prendre parti pour l’Ukraine correspond fortement aux intérêts brésiliens et ne dépend pas d’un courant politique.

Pas de participation à la guerre

Avec sa demande de participation à la livraison de munitions et d’armes pour l’Ukraine, l’Occident se heurte jusqu’à présent à un mur auprès de l’Amérique latine. Déjà en avril de l’année dernière, il avait été annoncé que les munitions qui se trouvaient au Brésil pour le char de défense aérienne seraient mises à disposition des forces armées ukrainiennes.[4] Brésil a acheté au total 34 chars « Gepard » en 2013 afin de protéger les grands évènements comme la coup du monde de football de 2014 contre les attaques aériennes, en particulier de drones. L’entreprise d’armement Krauss-Maffei Wegmann possède dans le pays depuis 2016 une usine de remise en état, dans laquelle le « Gepard » brésilien aussi bien que le « Leopard-1 » peuvent être réparés si besoin est. Déjà à l’époque, une livraison de munitions à l’Ukraine n’a pas eu lieu.[5] Rien n’a changé depuis. Selon un article du quotidien Folha de São Paulo, la décision de ne pas satisfaire à l’actuelle demande du gouvernement allemand concernant les livraisons de munitions a déjà été prise le 20 janvier lors d’une réunion d’acteurs gouvernementaux et militaires.[6] « Le Brésil est un pays de paix », a expliqué le président Luiz Inácio Lula da Silva lundi ; c’est pourquoi il ne veut « aucune participation à cette guerre, même indirecte ».[7]

Pas d’armes

La confirmation de Lula de ne vouloir livrer ni armes ni munitions à l’Ukraine est non seulement un camouflet pour Berlin, mais aussi pour Washington. Le gouvernement américain exerce une grosse pression sur de nombreux pays d’Amérique latine pour qu’ils fassent parvenir à l’Ukraine les armes de production soviétique ou russe qu’ils ont en leur possession (rapport de german-foreign-policy.com [8]). Avant le Brésil, d’autres pays du sous-continent avaient déjà repoussé publiquement cette exigence. Comme par exemple le président colombien, Gustavo Petro, qui avait annoncé au cours de la semaine dernière : « Aucune des armes russes que la Colombie a achetées n’interviendra dans le conflit armé en Ukraine. » [9] Petro a ajouté que l’Amérique latine, au lieu de livrer des engins de guerre, devait s’efforcer de parvenir à la paix. Le président argentin, Alberto Fernández, a déclaré samedi lors d’une conférence de presse avec le chancelier allemand Olaf Scholz : « L’Argentine et l’Amérique latine ne songent pas à envoyer des armes. »[10] Le président mexicain, Andrés Manuel López Obrador, quant à lui, a critiqué ouvertement la décision du gouvernement fédéral de livrer des chars à Kiev – une confirmation claire que du Mexique, malgré toute la pression nord-américaine, il n’y aura aucune aide à attendre sous forme d’armes, mais plutôt un soutien pour tenter de négocier.[11]

« Discuter de paix »

Lors de la visite du chancelier Scholz, le président brésilien a fait lundi un pas supplémentaire et s’est montré ouvert à une initiative de négociations pour mettre fin à la guerre en Ukraine. Il faut rapidement « réunir autour de la table verte un groupe de pays » pour « discuter de la paix entre la Russie et l’Ukraine », a déclaré Lula. « Le Brésil est prêt à y contribuer » sans autre forme de procès.[12] D’autres contributions aux négociations pourraient par exemple venir de l’Inde ou de l’Indonésie ; la Chine pourrait également « apporter une grande contribution ». « Les Chinois doivent eux aussi pour une fois aider à trouver la paix entre la Russie et l’Ukraine », a exprimé Lula ; il en discutera « avec le président Xi » lorsqu’il se rendra « en mars en République populaire ». Il en a déjà parlé avec Scholz et le président français Emmanuel Macron – et il le fera la semaine prochaine avec le président des États-Unis, Joe Biden. Le président brésilien se trouve ainsi en contradiction publique avec les puissances occidentales, y compris avec l’Allemagne, qui, au lieu de négocier sérieusement avec Moscou et Kiev, continuent d’attiser la guerre en Ukraine par de nouvelles livraisons d’armes.

Un contrepoids

Cela fait déjà un moment que les Pays du Sud réclament une solution via des négociations et ceci avec une intensité accrue. En septembre par exemple, le ministre des Affaires étrangères indien Subrahmanyam Jaishankar avait affirmé que son pays se tenait « aux côtés » de ceux qui exigeaient « le dialogue et la diplomatie comme seule issue à la guerre ».[13] La Turquie négocie depuis longtemps et a en partie remporté un net succès – comme par exemple lors de la négociation de l’accord sur la livraison de céréales via la mer Noire. Mardi, le ministre des Affaires étrangères égyptien Sameh Shoukry a confirmé que son pays continuait lui aussi « à chercher des solutions diplomatiques à la guerre ».[14] Hier, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a déclaré être en principe prêt à servir de médiation entre les deux belligérants.[15] Il devient ainsi évident qu’avant tout dans les Pays du Sud, un contrepoids voit le jour contre les efforts – explicitement allemands – de vouloir faire subir une claire défaite à la Russie et de subordonner à cet objectif tout effort de paix. Une défaite russe serait, du point de vue de l’Occident, une étape importante dans la défense de sa domination mondiale dépassée.

[1] V. à ce propos Die Weltordnung und ihre Profiteure und „Ein Ausdruck des Neokolonialismus“.

[2] V. à ce propos  Die Lateinamerika-Offensive der EU.

[3] Zelensky tells Brazil’s Bolsonaro: „You can’t be somewhere in the middle” on Russia-Ukraine war. edition.cnn.com 20.07.2022.

[4] Lars Petersen: Munitionsproblem gelöst? Brasilien will deutsche Gepard-Panzer für Ukraine mit 300.000 Schuss ausstatten. businessinsider.de 27.04.2022.

[5] Mario Schenk, Anne Hellmund: Deutscher Rüstungskonzern verhandelt mit Brasilien über Gepard-Munition für Ukraine. amerika21.de 04.05.2022.

[6] Alexander Schmitt: Zoff vor Scholz-Besuch: Brasilien lehnt Lieferung von Panzermunition an die Ukraine ab. rnd.de 28.01.2023.

[7] Lula verweigert Scholz Panzer-Munition für die Ukraine. faz.net 31.01.2023.

[8] V. à ce propos  Die Weltordnung und ihre Profiteure.

[9] Colombia Refuses To Donate Russian Weaponry To Ukraine. telesurenglish.net 25.01.2023.

[10] Conférence de presse du chancelier allemand Scholz et du président argentin Alberto Ángel Fernández le 28 janvier 2023 à Buenos Aires.

[11] Erich Saumeth: Colombia, Brasil, México y Argentina rechazan el pedido de EEUU de transferir armamento a Ucrania. infodefensa.com 30.01.2023.

[12] Conférence de presse du chancelier allemand Scholz et du président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva le 30 janvier 2023 à Brasília.

[13] Russia’s Allies China and India call for negotiations to end Ukraine war. theguardian.com 24.09.2022.

[14] Lavrov praises Egypt’s ‘balanced stance‘ after FM Shoukry delivers Blinken message on Ukraine crisis. english.ahram.org.eg 31.01.2023.

[15] Israeli premier says willing to mediate between Ukraine and Russia, if asked. arabnews.com 01.02.2023.

 

Traduit de l’allemand par Laurence Wuillemin, Munich