Il y a plus de 50 ans, les nations du monde, comprenant la grave menace existentielle que constituaient les armes atomiques, s’unirent par ce Traité de Non-Prolifération pour arrêter l’extension de ces armes et s’engagèrent à les éliminer le plus tôt possible.

Par Ira Halfand

Pendant plus de cinq décennies, les nations du monde dans leur grande majorité ont honoré leurs engagements en ce sens. Mais neuf nations, incluant cinq qui étaient membres de ce Traité, ont choisi d’ignorer leurs obligations.
Au contraire, elles ont conservé d’énormes stocks d’armes nucléaires, aptes à détruire la civilisation moderne et à tuer la plus grande partie de l’espèce humaine, et elles se sont toutes engagées dans un processus extrêmement coûteux de modernisation et d’augmentation de cet arsenal.
Ces pays ont continué à jouer aux dés avec le destin de la terre, prenant l’humanité en otage, et ils nous ont souvent amenés au bord d’une apocalypse nucléaire.

Une récente déclaration faite en commun avec nos collègues de l’Association médicale mondiale, du Conseil international des infirmières, de la Fédération mondiale des associations de santé publique, et la Fédération internationale des associations d’étudiants en médecine a prouvé de façon incontestable que les conséquences de l’utilisation des armes nucléaires seraient mondiales, catastrophiques, et sans remède.

Ce n’est pas grâce à la sagesse supposée des dirigeants de ces pays, ni à la solidité de leurs doctrines militaires ni à l’infaillibilité de leur technologie, que nous avons survécu. Nous avons survécu au contraire en dépit d’eux. Nous ne sommes là que parce que, comme l’ancien secrétaire américain à la Défense Robert McNamara l’avait dit, « nous avons eu de la chance. C’est la chance qui a évité la guerre nucléaire ».

Le danger extrême dans lequel nous avons vécu à cause du comportement irresponsable de ces neuf États a encore augmenté avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie en début de cette année. Au cours de ce conflit, la Russie a menacé de façon répétée d’utiliser ses armes nucléaires, et l’OTAN, qui représente la France, le Royaume-Uni et les États-Unis, a répondu avec ses propres menaces nucléaires.

En réponse 18 prix Nobel de la Paix ont émis une déclaration demandant à la Russie et à l’OTAN de s’engager à ne pas faire usage de l’arme atomique dans le conflit actuel. Cet appel a été approuvé par plus d’un million de personnes dans le monde et présenté ici aux Nations-Unies et aux gouvernements de Russie et de l’OTAN. Leur réponse : un silence assourdissant.

Ces pays sont maintenant ici à la Conférence de révision et réclament à nouveau de la part des autres nations un engagement à ne pas acquérir d’armes nucléaires alors qu’ils ne promettent même pas de ne pas atomiser le monde avec les armes qu’ils possèdent déjà.
Ils ne devraient pas être autorisés à quitter cette Conférence sans prendre un tel engagement.
Et nous devons aller plus loin pour leur demander des comptes.

En juin 2017, 121 nations se sont réunies à l’ONU pour adopter le Traité d’Interdiction des Armes Nucléaires TIAN, réaffirmant leur volonté d’éliminer ces armes et s’engageant à nouveau à ne pas les acquérir. Les États dotés ont-ils soutenu ce nouveau Traité ? Non. Menés par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, ceux-là même liés par le TNP pour éliminer les armes nucléaires, ils attaquent le TIAN au prétexte qu’il est une menace pour le TNP.

Leur attaque n’est pas autre chose qu’une tentative éhontée de détourner l’attention de ce qui constitue la menace réelle à la non-prolifération — leur incapacité persistante à éliminer leurs propres arsenaux.
Ces armes constituent un danger immédiat et sans cesse grandissant pour la civilisation humaine et ils détournent notre attention des autres grands problèmes auxquels nous sommes confrontés.
Nous affrontons aujourd’hui une deuxième menace existentielle — la crise climatique qui empire chaque jour. Nous sommes en train d’épuiser les ressources de la planète, d’en polluer l’air, l’eau, la terre. Nous faisons face à des pandémies émergentes, et notre population subit le scandale quotidien d’une injustice sociale, économique et raciale qui gâche la vie de millions de gens.

Mais plutôt que de s’occuper de ces menaces réelles, les dirigeants des grandes puissances continuent à pratiquer un jeu dangereux de « roi de la montagne » pour voir qui arrivera le premier dans la compétition mondiale pour toujours plus de pouvoir et de richesse, apparemment inconscients du fait que le « gagnant » de ce jeu finira assis, non pas sur une montagne, mais sur le tas de cendres qui resterait de la civilisation humaine.

Cet avenir-là ne doit pas être.
Nous ne sommes pas condamnés à l’autodestruction d’une guerre nucléaire ni à la destruction de l’environnement dont nous dépendons tous. Nous ne sommes pas condamnés à vivre dans un monde où à la plupart des gens se voient refuser l’accès à une nourriture, un toit, des soins médicaux, une éducation, adéquats.

Mais si nous voulons survivre, et nos populations pouvoir jouir de la vie à laquelle elles ont droit, nous devons changer de cap. Les grandes puissances doivent comprendre que leur propre sécurité, comme celle de toute l’humanité, exige qu’ils coopèrent pour faire face aux réels problèmes auxquels nous sommes confrontés.

Et ils devraient commencer par la menace la plus urgente — la menace que constituent leurs armes nucléaires. Les cinq pays nucléaires parties au TNP devraient entamer dès à présent — ici à cette réunion — des négociations pour un accord d’élimination de ces armes — accord sous contrôle et contraignant dans le temps, et inviter les quatre autres pays nucléaires à se joindre à eux, afin de se mettre en conformité avec le Traité d’Interdiction des Armes Nucléaires et l’article 6 du TNP.

Notre survie et celle de nos enfants n’exigent rien de moins.

 

L’auteur

Ira Halfand (5/08/22)

Ancien co-président de l’Association internationale des médecins pour la prévention de la guerre nucléaire, IPPNW, a fait cette intervention au nom de l’association, lors de la Conférence de révision du TNP, à l’ONU à New York.