Reporterre revient sur les conférences sur le climat les plus marquantes et sur leurs limites : sont-elles encore utiles ?

Greta Thunberg ne va pas à Charm-El-Cheikh, Égypte à la COP27 (6 au 18 novembre), l’activiste suédoise a dénoncé « une opportunité pour les dirigeants […] d’obtenir de l’attention pour toutes sortes de greenwashing ou d’opérations de communication pour prétendre agir contre la crise climatique ». Le secrétaire général de l’ONU António Guterres n’est guère plus enthousiaste : « Nous nous dirigeons vers une catastrophe mondiale. Nous avons besoin d’action climatique sur tous les fronts et nous en avons besoin maintenant », a-t-il dit fin octobre [1]. Avant de dénoncer les « engagements pitoyables » des États dans la lutte contre le changement climatique.

En effet, depuis trente ans, alors que les réunions s’enchaînent, les émissions de gaz à effet de serre ne cessent de croître : en 2021, la concentration de CO2 dans l’atmosphère a atteint un nouveau record (414,7 parties par million (ppm) en moyenne). Fin 2021, la COP26 s’est achevée sur les larmes et les excuses de son président Alok Sharma qui dévoilait un Pacte de Glasgow décevant, fruit de deux semaines de négociations intenses. Sans cesse décevantes, les COP sont-elles vraiment utiles ?

1 – Des engagements forts lors de la COP3 et de la COP21

Les conférences des parties (COP) rythment les négociations internationales sur le climat depuis trente ans. Chaque année, les représentants des 197 États signataires de la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques et leur délégation prennent part aux négociations, sous l’œil de nombreux observateurs. « C’est le seul espace où tous les acteurs se retrouvent ensemble à la table des négociations », dit à Reporterre Clément Sénéchal, porte-parole de Greenpeace. « Les États les plus vulnérables au changement climatique discutent avec les nations les plus émettrices. Le changement climatique implique des conflictualités intenses. Ce canal de communication important doit rester ouvert. »

L’évènement est parfois porteur. En 1997, lors de la COP3, à Kyoto (Japon), les pays développés se sont engagés à réduire de 5 % leurs émissions de gaz à effet de serre en signant le protocole dit de Kyoto. Certes, les États-Unis n’ont jamais ratifié l’accord et la Chine alors considérée comme en voie de développement a émergé comme un nouvel émetteur majeur de gaz à effet de serre. Mais des jalons ont été posés. Souvent qualifiée d’échec, « la COP de Copenhague de 2009 a pourtant permis de poser certains principes, assure Lola Vallejo, directrice du programme climat du Réseau Action Climat. Les pays développés ont promis de mobiliser 100 milliards d’euros par an à partir de 2020 pour aider les pays en développement à faire face au changement climatique. Est née aussi l’idée de créer un fonds vert pour le climat destiné à financer les projets d’adaptation au changement climatique, ainsi que le principe de « contribution déterminée au niveau national » » [2]. La conférence de Copenhague a aussi posé le niveau de réchauffement de 2°C comme un seuil à ne pas franchir.

Bien plus ambitieuse, la COP21 s’est traduite en 2015 par la signature de l’Accord de Paris, le premier traité engageant l’ensemble des États à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Objectif : limiter le réchauffement climatique bien en deçà des 2 °C, et si possible de 1,5 °C. Le traité stipule aussi que la neutralité carbone doit être atteinte dans la seconde moitié du siècle et invite les États à rehausser leurs ambitions tous les cinq ans.

2 – Des promesses non tenues

Si certains engagements sont ambitieux, « il existe un fossé entre la réalité physique et humaine du changement climatique et les engagements qui sont pris lors des COP, analyse Clément Sénéchal. Et cela apparaît d’autant plus clairement que le changement climatique s’accélère. On a l’impression d’un instrument conservateur qui peine à faire sa place. »

Dans son évaluation annuelle, l’ONU a indiqué que les engagements pris par les États aboutiraient à « 66 % de chances de limiter le réchauffement à environ 2,6 °C à la fin du siècle ». Car ces engagements ne correspondent pour l’heure qu’à une baisse des émissions mondiales de 5 %. Elles devraient diminuer de 30 % d’ici 2030 pour tenir l’objectif des 2 °C, et de 45 % pour celui de 1,5 °C.

En 2021, face à l’insuffisance des engagements pris par les États, le Pacte de Glasgow leur a laissé une année supplémentaire. Seuls vingt-quatre pays ont joué le jeu, déplore l’ONU. « Les progrès réalisés depuis la COP26 représentent un recul d’environ 0,5 gigatonne d’équivalent CO2 (Gt eq CO2) par an, résultant principalement […] de l’Australie, du Brésil, de l’Indonésie et la République de Corée », est-il précisé dans l’analyse des contributions publiée début novembre. Pour contenir le réchauffement en dessous de 1,5 °C, ces nouvelles contributions auraient dû atteindre 23 Gt eq CO2 !

3 – Les législations nationales doivent ensuite prendre le relais

« Ce n’est pas lors des COP en tant que telles que les Etats décident des réductions de leurs émissions, explique Alexandra Deprez, spécialiste en gouvernance internationale pour l’Iddri. Ils le font en amont, dans un contexte politique domestique qui leur est particulier et où doit être retranscrite la mise en œuvre. » Si les États-Unis ont promulgué le plus grand plan jamais engagé pour le climat, le pays n’est toujours pas en mesure d’atteindre ses objectifs de réduction de 50 à 52 % des émissions pour 2030. De même, l’Australie qui a voté une nouvelle loi climat à la faveur d’un changement de gouvernement continue pourtant de soutenir des projets sur le charbon et le gaz.

Et en France ? Alors que l’Union européenne s’est engagée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 55 % à l’horizon 2030, seul un objectif de réduction de 40 % des émissions de GES est inscrit dans la loi française. « La loi Climat Énergie de 2019 était l’occasion de rehausser l’ambition de la France », de même que la loi Climat et résilience de 2021. Mais, dénonce Clément Sénéchal, « tous les amendements qui permettaient d’insérer cet objectif dans la loi ont été considérés comme des cavaliers législatifs et n’ont donc même pas été discutés au Parlement ». Dans un jugement rendu fin 2021, la France a même été condamnée par le tribunal administratif de Paris pour ne pas avoir rempli ses engagements. Comment demander aux pays en développement de faire des efforts quand les pays riches, ayant historiquement davantage contribué aux émissions de gaz à effet de serre, ne remplissent pas leur part du contrat ?

4 – Les politiques énergétiques : un sujet tabou

Pour Nicolas Haeringer, de l’association 350.org, il existe un autre angle mort : « La question des politiques énergétiques — et de l’extraction des hydrocarbures — ne fait pas partie du mandat des COP. Ces questions restent discutées au niveau national. » Dans son rapport de 2021, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a clairement indiqué qu’il fallait cesser le déploiement de nouveaux projets pétroliers afin d’atteindre l’objectif de l’Accord de Paris. « Continuer ces projets, c’est délibérément choisir de ne pas respecter l’Accord de Paris », dénonce l’activiste.

Les pays sont de plus en plus accros aux énergies fossiles. La production d’énergie fossile (charbon, gaz et pétrole) a même bondi en 2022. Et celle de pétrole n’a jamais été aussi élevée. Les subventions pour ces productions restent massives. Lors de la COP26, pour la première fois, le Pacte de Glasgow a appelé « à intensifier les efforts vers la réduction du charbon sans systèmes de capture (de CO2) et à la sortie des subventions inefficaces aux énergies fossiles ». Les deux COP à venir risquent de rester timides sur le sujet : l’Égypte pourrait vouloir protéger ses productions de gaz et de pétrole de même que les Émirats arabes unis leur production de pétrole, observe Nicolas Haeringer.

5 – Des COP sous pression des multinationales ?

Autre point de tension pour les activistes, la présence envahissante du secteur privé et des lobbies. À l’instar du festival d’Avignon, deux espaces cohabitent : un in où l’on négocie les termes de l’accord, et un off — sorte de « foire expo du climat ». « Cela décrédibilise les COP », juge Clément Sénéchal. Le fait que Coca cola soit sponsor officiel de l’évènement a profondément choqué l’opinion publique. Pour Nicolas Haeringer, l’accès aux entreprises climaticides devrait être interdit, « comme l’OMS l’avait fait pour l’industrie du tabac ».

D’autant que de nombreux acteurs privés profitent des COP pour communiquer sur leurs engagements climatiques. De l’écoblanchiment, selon certains observateurs. Alexandra Deprez explique ainsi que « les entreprises peuvent choisir de compenser leurs émissions en achetant des crédits carbone ou en misant sur la séquestration du carbone sans opérer de réelles réductions des émissions ».

Notes

(1) Extrait d’une allocution vidéo diffusée fin octobre.

(2) Il convient que chaque État détermine nationalement les efforts qu’il consent à faire pour réduire ses émissions et s’adapter aux effets du changement climatique.

L’article original est accessible ici