On devrait bientôt voir des avions électriques. Interview de l’ingénieure en aéronautique Gökçin Çınar.

Jo Adetunji pour le journal en ligne INFOsperber

Cette interview a été publiée pour la première fois le 19 septembre 2022 sur The Conversation. Infosperber l’a traduite dans le cadre de la licence Creative Commons.

Les avions électriques peuvent sembler futuristes, mais ils devraient bientôt être utilisés au moins pour les courtes distances. Des biplaces Velis Electros survolent déjà silencieusement les pays d’Europe, des hydravions électriques des hydravions électriques sont testés en Colombie-Britannique, et des avions plus grands vont suivre. Air Canada a annoncé le 15 septembre 2022 l’achat de 30 avions régionaux hybrides électriques auprès de la société suédoise Heart Aerospace, qui prévoit de mettre en service son avion de 30 places d’ici 2028. Les analystes du Laboratoire National Nord Américain des Énergies Renouvelables indiquent que la première navette aérienne hybride-électrique proposant entre 50 et 70 places pourrait être prêt peu de temps après. Dans les années 2030, disent-ils, l’aviation électrique pourrait vraiment décoller.

Environ 3 pour cent des émissions mondiales proviennent aujourd’hui de l’aviation, et comme on s’attend à ce que la croissance démographique entraîne une augmentation du nombre de passagers et de vols, l’aviation pourrait, d’ici 2050, émettre entre trois et cinq fois plus de dioxyde de carbone qu’avant la pandémie de COVID-19.

Gökçin Çınar, ingénieure en aérospatiale et professeure assistante, développe des concepts d’aviation durable à l’Université du Michigan, notamment des avions hybrides électriques ou utilisant de l’hydrogène comme carburant. The Conversation l’a interviewée sur les principaux moyens de réduire les émissions dans le domaine de l’aviation, et sur le développement de technologies telles que l’électrification et l’utilisation de l’hydrogène.
 

Pourquoi est-il si difficile d’électrifier l’aviation ?

Les avions font partie des véhicules les plus complexes, mais le plus gros problème pour pouvoir les électrifier est le poids des batteries.

Si l’on essayait d’électrifier complètement un 737 avec les batteries existantes, pour voler juste une heure, il ne faudrait embarquer ni passager, ni fret, et remplir tout l’espace avec des batteries.

Si l’on compare une batterie et du kérosène, le kérosène peut stocker environ 50 fois plus d’énergie par unité de masse. On peut donc utiliser 1 livre de kérosène ou 50 livres de batterie. Pour combler cette différence, nous devons soit alléger les batteries au lithium-ion, soit développer de nouvelles batteries qui stockent plus d’énergie. De nouvelles batteries sont en cours de développement, mais elles ne sont pas encore adaptées aux avions. L’hybrides constitue une alternative électrique.

Même si nous ne sommes peut-être pas en mesure d’électrifier totalement un 737, nous pouvons utiliser des systèmes de propulsion hybrides sur des avions plus grands et réduire la consommation de carburant. Nous essayons d’atteindre cet objectif à court terme, avec un objectif pour 2030-2035 pour les petits avions régionaux. Moins on brûle de carburant pendant le vol, moins on produit d’émissions de gaz à effet de serre.

 Comment l’aviation hybride contribue-t-elle à la réduction des émissions ? 

Les avions électriques hybrides sont similaires aux voitures électriques hybrides, dans la mesure où ils utilisent une combinaison de batteries et de carburant d’aviation. Le problème est qu’aucun autre secteur que l’industrie aérospatiale ne doit faire face aux restrictions de poids. Nous devons donc réfléchir très précisément à la manière et à la mesure de l’hybridation du système de propulsion.

L’utilisation de batteries pour la phase de décollage et de montée en altitude est une option prometteuse. Le roulage vers la piste en utilisant uniquement une propulsion électrique pourrait également permettre d’économiser une quantité considérable de carburant et de réduire les émissions aux alentours des aéroports. Il existe un point critique entre le poids supplémentaire de la batterie et la quantité d’électricité que l’on peut utiliser pour obtenir un avantage net en terme de carburant. Ce problème d’optimisation est au cœur de mes recherches.

Les hybrides consommeraient toujours du carburant pendant le vol. Mais cela serait nettement moins que si l’on se reposait exclusivement sur le kérosène.

Je vois l’hybridation comme une option à moyen terme pour les plus gros appareils, mais comme une solution à court terme pour les avions régionaux.

Dans les années 2030 à 2035, nous nous concentrerons sur les avions hybrides à turbopropulseurs, en général des avions régionaux de 50 à 80 passagers ou destinés au transport de marchandises. Ces hybrides pourraient réduire la consommation de carburant d’environ 10 %.

Les avions hybrides électriques permettraient également aux compagnies aériennes d’utiliser davantage d’aéroports régionaux, ce qui réduirait la congestion et le temps passé par les avions plus gros à tourner au ralenti sur la piste.

 Comment voyez-vous l’aviation durable dans un avenir proche ?

À court terme, nous voyons une utilisation accrue de carburants d’aviation durables. Avec les moteurs actuels, il est possible de verser du carburant d’aviation durable dans le même réservoir et de le brûler. Des carburants à base de maïs, d’algues, d’oléagineux et d’autres graisses sont déjà utilisés.

Les carburants d’aviation durables peuvent réduire les émissions nettes de dioxyde de carbone d’un avion d’environ 80 %, mais l’offre est limitée et l’utilisation de biomasse pour fabriquer du carburant pourrait entrer en concurrence avec la production alimentaire et entraîner la déforestation.

Une deuxième possibilité est d’utiliser des carburants synthétiques durables pour l’aviation, en capturant le carbone de l’air ou d’autres processus industriels et en le synthétisant avec de l’hydrogène. Par contre, il s’agit d’un processus complexe et coûteux qui ne peut pas encore être utilisé à grande échelle.

Les compagnies aériennes peuvent également optimiser leurs opérations à court terme, par exemple en planifiant leurs itinéraires de vol de manière à ne pas voler avec des avions presque vides. Cela aussi peut réduire les émissions.

L’hydrogène est-il une option pour l’aviation ?

L’hydrogène en tant que carburant existe depuis très longtemps, et s’il s’agit d’hydrogène vert, c’est à dire qu’il est produit avec de l’eau et de l’électrolyse issues d’énergies renouvelables, il ne produit pas de dioxyde de carbone. Il peut de plus stocker plus d’énergie par unité de masse que les batteries.

Il y a deux façons d’utiliser l’hydrogène dans un avion : soit à la place du carburéacteur ordinaire dans un moteur, soit en combinaison avec de l’oxygène pour alimenter des piles à combustible à hydrogène, qui produisent alors de l’électricité qui permet de propulser l’avion.

Le problème est le volume car l’hydrogène gazeux prend beaucoup de place. C’est pourquoi les ingénieurs cherchent des méthodes pour le maintenir très froid afin de pouvoir le stocker sous forme liquide jusqu’à ce qu’il soit brûlé sous forme de gaz. L’hydrogène prend toujours plus de place que le kérosène, et les réservoirs de stockage sont lourds. Des recherches sont encore en cours sur le stockage, la manipulation et la distribution dans les avions.

Airbus opère des recherches intensives sur la combustion de l’hydrogène avec des turbines à gaz modifiées sur la plateforme de l’A380 et souhaite disposer d’une technologie mature d’ici 2025. La compagnie aérienne australienne Rex veut commencer à tester dans les prochaines années un avion de 34 places à hydrogène électrique pour les courtes distances. En raison de la diversité des possibilités, je pense que la propulsion à l’hydrogène est l’une des technologies clés pour une aviation durable.

 Ces technologies permettront-elles d’atteindre les objectifs de l’industrie aéronautique en matière de réduction des émissions ?

Le problème avec les émissions de l’aviation n’est pas le niveau actuel, mais la crainte que les émissions augmentent rapidement avec une demande en croissance. D’ici 2050, les émissions de dioxyde de carbone liées à l’aviation pourraient être entre trois et cinq fois supérieures aux émissions d’avant pandémie.

L’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (OACI), agence des Nations-Unies, définit les objectifs du secteur en général dans le but de vérifier ce qui est faisable et comment le transport aérien peut repousser les limites.

Son objectif à long terme est de réduire les émissions nettes de dioxyde de carbone de 50 % par rapport aux niveaux de 2005, d’ici 2050. Pour atteindre cet objectif, il est nécessaire de mettre en œuvre différentes technologies et des optimisations. Je ne sais pas si nous pourrons atteindre cet objectif d’ici 2050, mais je pense que nous devons tout faire pour que l’aviation du futur soit respectueuse de l’environnement.

Traduction de l’allemand, Frédérique Drouet