Il y a dix ans, le 25 septembre 2011 disparaissait la scientifique et militante kényane Wangari Maathai. Surtout connue pour son combat en faveur de l’environnement, cherchant à réconcilier protection de celui-ci et développement humain, elle avait reçu le prix Nobel de la Paix en 2004, faisant d’elle la première femme du continent africain à recevoir ce prix. Pourtant ses engagements sont allés bien-delà. En effet, elle a œuvré continuellement en faveur des grandes causes de son temps : pour l’éducation et la science, pour la promotion des femmes, pour la démocratie.

Pressenza s’intéresse à la vie de cette militante qui a inspiré de nombreuses femmes du continent, mais aussi au-delà, dans son combat pour l’environnement et les droits humains. Nous avons rencontré l’historien et militant panafricaniste Amzat Boukari-Yabara qui nous présente son histoire. Nous nous intéressons aujourd’hui à son action gouvernementale, son attitude sur la santé publique et son héritage.

Wangari Maathai, du Kenya à l’universel – 1ère partie : Jeunesse et premiers combats

Wangari Maathai, du Kenya à l’universel – 2ème Partie : Féminisme et démocratie

Entre janvier 2003 et novembre 2005 elle est vice-ministre de l’environnement dans le gouvernement du président Mwai Kibaki1.

Quel est son bilan en tant que ministre ?

Toute la vie de Wangari Maathai a été politique. Elle a construit un système alternatif en partant du reboisement porté par les femmes, puis elle a intégré des enjeux liés aux politiques publiques et à la justice sociale, en ayant toujours à l’esprit le bien-être des populations. Wangari Maathai est une personnalité politique qui ne cherchait pas le pouvoir mais qui s’est battue pour un véritable changement.

En 1992, aux côtés du président Moï qu’elle combat localement, elle est la seule personnalité kényane invitée à la Conférence de Rio sur l’environnement et le développement. Avec une dimension internationale renforcée par sa rencontre avec le vice-président américain Al Gore qui partage ses réflexions sur l’enjeu climatique, Wangari Maathai se retrouve ainsi au carrefour de plusieurs mouvements citoyens et démocratiques qui contribuent à la fin du parti unique en 1992 et au départ de Daniel Arap Moï dix ans plus tard. Le fait qu’elle soit reconnue à l’international masque parfois des positions plutôt clivantes au niveau local.

Ainsi, en 1997, elle se présente à l’élection présidentielle mais sa campagne qui mobilise l’instrument ethnique Kikuyu est un désastre. Elle est suspectée de vouloir diviser plutôt que réunir les partis d’opposition. Sur ce point, elle souffre aussi de l’absence d’une véritable organisation politique pour l’aider à déjouer les pièges du régime. Les médias interrogent également le bien-fondé de toutes ses activités militantes passées en insinuant que son bénévolat et sa cause pour la défense de l’environnement et des femmes n’étaient que des tactiques pour préparer son entrée en politique. La veille du scrutin, un parti adverse annonce à tort qu’elle s’est retirée du scrutin ce qui lui vaut un très faible score le lendemain.

En 2002, elle décide de briguer le poste de député dans la circonscription de Tetu, correspondant à sa localité d’origine d’Ihithe. Avec le soutien de Mwai Kibaki qui remporte aussi l’élection présidentielle, elle est largement élue au parlement, mais elle entre finalement au gouvernement en tant que secrétaire d’état à l’Environnement. La greffe ne prend pas véritablement car l’action dans la société civile ne répond pas aux mêmes codes que l’action gouvernementale et elle peine à s’entendre avec Kibaki. Wangari Maathai doit également revoir sa proximité avec les agences des Nations-Unies qui lui est parfois reprochée. De manière générale, l’expérience politique de Wangari Maathai est très mitigée et sans véritable succès.

En 2004, son nom est mêlé à des controverses autour de l’origine du SIDA.

Qu’en est-il réellement de ses prises de position sur cette maladie ?

Wangari Maathai était une personnalité libre et clivante dans ses prises de position. Sa défense de l’excision au nom de la défense de l’identité kikuyu lui vaut par exemple les attaques des milieux féministes. Par ailleurs, l’exposition médiatique du prix Nobel exige que des personnalités comme elle prennent position sur absolument tous les sujets, même ceux sur lesquelles elles sont incompétentes. Après la réception de son prix Nobel, elle a effectivement émis des doutes sur la thèse de la transmission du SIDA à l’homme par le chimpanzé en se demandant pourquoi la pandémie n’apparaît que maintenant alors que les humains ont toujours vécu aux côtés des singes.

Si on peut lui donner crédit au regard de sa formation scientifique d’avoir une connaissance du fonctionnement du système immunitaire du singe, son interrogation sur le fait que le SIDA puisse résulter d’une manipulation scientifique humaine dans le cadre d’une guerre bactériologique est mise en parallèle avec ses doutes sur l’existence d’armes de destruction massive dans l’Irak de Saddam Hussein. Soulignons que la thèse « complotiste » d’une création scientifique du VIH dans le cadre d’une guerre bactériologique contre les Africains doit beaucoup à la réalité des programmes scientifiques et militaires développés par le régime sud-africain d’apartheid contre les populations noires.

Maintenant, est-ce que l’empressement des autorités américaines à la féliciter pour son prix Nobel et à lui reprocher ses paroles controversées sur l’origine du SIDA ne serait pas davantage lié au fait qu’elle a justement établi un parallèle avec la propagande sur les armes de destruction massive, armes dont on sait qu’elles n’ont jamais existé ? Quoi qu’il en soit, Wangari Maathai se défendra en invoquant de toute façon des propos sortis de leur contexte. Dans les faits, elle a pris position évidemment en faveur de la lutte contre la pandémie du VIH en demandant à ce qu’il y ait plus d’éducation notamment à destination des jeunes femmes mais elle a toujours indiqué qu’elle n’était pas une experte sur ce sujet. Elle a récusé l’idée brandie dans certains milieux religieux qui assimilent le SIDA à une malédiction divine et elle a appelé à une réponse médicale et scientifique par la production de médicaments génériques.

Elle reçoit le prix Nobel de la Paix en 2004.

En quoi son combat a-t-il pris une portée universelle et que reste-il de son héritage aujourd’hui ?

Le prix Nobel de la Paix reçu en 2004 récompense une vie de combats pour la défense de l’environnement, des femmes, de la justice et de l’égalité. C’est aussi la première femme africaine à recevoir une telle récompense donc elle est vraiment une figure pionnière. C’est aussi la reconnaissance de l’action menée par les dizaines de milliers de femmes au sein du Green Belt qui est visible derrière ce prix. Trente millions d’arbres ont été plantés par plus de cent mille femmes et la dynamique s’est étendue et poursuivie. Elle est au cœur des enjeux pour la justice environnementale et réparatrice.

Lorsqu’elle décède le 25 septembre 2011 d’un cancer, Wangari Maathai est saluée unanimement comme une personne qui aura contribué à obtenir des avancées dans tous les domaines où elle a lutté. Si son nom est donné à des lieux publics ou des espaces, son héritage reste en revanche assez flou en dehors des mouvements de femmes actifs sur la reforestation. Elle n’a pas forcément laissé de véritable corpus idéologique et encore moins un appareil partisan. En revanche, en rédigeant ses mémoires, elle est devenue une icône pour des millions de femmes africaines qui trouvent dans la palette de son activisme des références pour mener leurs propres combats.

Notes :

1 Mwai Kibaki est le troisième président du Kenya, entre 2002 et 2013. Sa réélection en décembre 2007 a été entachée de forts soupçons de fraudes entraînant des affrontements interethniques qui ont fait des centaines de morts. Il a été contraint de partager le pouvoir en nommant premier ministre son principal rival à l’élection présidentielle, Raila Odonga.