Par Riccardo Petrella, Roberto Morea, Roberto Musacchio, respectivement Agora des Habitants de la Terre, transform.eu, transform.it

Le système qui domine le monde aujourd’hui est inspiré et guidé par la logique du pouvoir et de la domination. L’Autre Agenda Mondial doit être inspiré et guidé par la logique de préservation et de régénération de la vie, c’est-à-dire la préservation, le soin et la promotion de la vie de tous les membres de la communauté globale de la Terre.  Changer de cap implique d’avoir des idées claires sur les nouvelles routes à emprunter et sur la manière d’acquérir la capacité de modifier, ne serait-ce que partiellement, les rapports de force sociaux.

Quelles nouvelles routes ?

Aujourd’hui, pour aller à la racine des problèmes, l’Autre agenda signifie essayer de démolir les piliers sur lesquels le système de pouvoir actuel est construit, et de délégitimer les principes qui alimentent la force des groupes sociaux dominants.

La finance privée mondialisée (pensez aux fonds d’investissement, dont le Black Rock Fund est l’exemple le plus brutal mais le plus éloquent) et la technologie conquérante (dont, par exemple, les sociétés GAFAM-Google-Apple-Facebook-Amazon-Microsoft sont l’incarnation concrète) sont les deux piliers de la puissance mondiale à démanteler. La propriété privée de toute forme de vie matérielle et immatérielle et la revendication d’une artificialisation irrépressible de la vie sont les deux principes à abandonner. Le cas des brevets sur les vaccins et le refus violent des pouvoirs publics et privés d’accepter ne serait-ce que la suspension temporaire de l’application des brevets (pourtant prévue par les traités OMC-TRIPs) en dit long sur le caractère totalitaire de ces deux principes.

Les routes de l’Autre Agenda identifiées ci-dessus révèlent un fait stratégique fondamental. A la base du pouvoir des deux principes et de la force des groupes sociaux dominants, il y a l’appropriation privée, le contrôle politique et l’hégémonie culturelle sur et de la connaissance. C’est pourquoi les groupes dominants s’appellent eux-mêmes « knowledge based societies and driven economies »

Le système actuel a réduit la connaissance à la seule technoscience. Toutes les autres formes et dimensions de la connaissance ont été négligées, discréditées et marginalisées. Les groupes sociaux dominants ont emprisonné la connaissance dans des concepts mystificateurs tels que : efficacité, analyse coûts-avantages, concurrence, mérite, productivité, marchés de la connaissance, ROI (retour sur investissement), utilité, gains, compétitivité, ressources humaines, économie intelligente, numérisation, transition écologique, résilience.

Est-il possible de changer les rapports de force sociaux ?

Comme l’ont montré les conquêtes sociales des 19ème et 20ème siècles par les ouvriers, les paysans, les femmes et les peuples colonisés, les routes  vers l’Autre Agenda doivent passer par une profonde transformation (et non transition) de la perception, de la conception et du vécu de la connaissance. La connaissance doit être réinventée comme l’esprit de la vie, l’expression intégrale, collective et consciente de la vie, parce qu’elle est la conscience, le sentiment de responsabilité commune et la re-connaissance de l’autre, de tous les autres que nous sommes.

À cette fin, le point de départ doit être une dénonciation claire des actions inadmissibles des prédateurs notoires de la vie d’aujourd’hui et la délégitimation de leur hégémonie culturelle, qu’ils ont acquise avec le soutien d’une grande partie des pouvoirs publics. Ces travaux doivent être menés avec détermination dans trois domaines en particulier : celui des coûts et des bénéfices (au-delà du principe d’utilité), celui des ressources et de leur gestion (au-delà de la gouvernance technico-financière et des « stakeholders »), et celui des valeurs (au-delà de la survie des résilients).

Des travaux dont le fil conducteur est de favoriser les liens pour une connaissance visant à la libération de l’humanité de la logique du pouvoir et de la domination. Trois domaines, où il est aujourd’hui concevable et indispensable de reconstruire de solides relations de coopération et de solidarité entre les agriculteurs, les ouvriers, les travailleurs des services « publics », les universités, les jeunes, les femmes, les populations autochtones, les migrants, les travailleurs pauvres, les nouveaux damnés de la terre.

Les groupes sociaux dominants s’avèrent de plus en plus incapables de résoudre les problèmes du monde. L’humanité sera-t-elle capable de se re-connaître ?