Interview d’Antonio Carvallo réalisée pour l’ouverture de la réunion internationale de Pressenza en juin 2021. Cette interview a été menée par Nelsy Lizarazo et traduite simultanément en 6 langues.

Nelsy Lizarazo est co-directrice de Pressenza et Colombienne, vivant à Quito, Équateur. Expérience professionnelle en philosophie, littérature, sciences politiques et relations internationales.

Antonio Carvallo est chilien, interprète professionnel et vit actuellement à Truro, Royaume-Uni. Formé en droit à l’université chilienne, il rejoint en 1968 le Mouvement Humaniste naissant fondé par Silo, argentin, auteur et guide spirituel. Au cours des années suivantes, il a développé ce courant au Pérou, au Venezuela, au Sri Lanka, en Australie et au Royaume-Uni. Depuis 1991, en tant que secrétaire général de l’Internationale humaniste, il s’est rendu en Zambie pour développer des liens avec le gouvernement de Kenneth Kaunda dans son transit vers des élections multipartites ainsi qu’avec l’Union soviétique à l’époque de la Perestroïka. Il est père de quatre enfants.

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Transcription de l’interview

Nelsy: Bonjour Antonio

Antonio: Bonjour Nelsy, comment vas-tu?

Nelsy: Bien, merci et merci d’avoir accepté notre invitation à ce dialogue entre amis, un dialogue informel

Ce que nous aimerions c’est de prendre l’opportunité vraiment de partager avec toi tes points de vue sur le contexte actuel, évidemment d’un point de vue général, parce que nous n’avons pas beaucoup de temps. Mais nous pensons que c’est important pour nous en tant que Pressenza, parce que nous travaillons avec l’information. Prenons ce moment pour réfléchir et expliquer notre contexte, nous pensons que tu peux nous donner quelques commentaires et opinions qui seront certainement très intéressants.

Antonio: Eh bien merci beaucoup.

Nelsy: Commençons. Nous savons, chacun de nous sait, qu’il y a des forces, différentes forces, qui influencent les changements dans les relations multilatérales et certaines forces sont plus fortes que d’autres. Evidemment la tension entre la Chine et les Etats-Unis… le conflit, c’est est un. Mais nous pensons que ce n’est pas la seule. Quelles sont les plus significatives pour toi en ce moment?

Antonio: Ce qui a introduit dans le jeu un facteur différent c’est la COVID-19, bien sûr, parce que la COVID a créé une série de phénomènes sans précédent, en mettant en péril les vies de pratiquement toute la population de la planète d’un coup. Cela ne veut pas dire que nous allons tous mourir, mais nous sommes tous exposés et certains sont plus exposés que d’autres comme les anciens, nous avons vu la plus grande majorité de victimes parmi eux, ainsi que les pays pauvres parce qu’ils ne peuvent pas se permettre les vaccins. Ce qui est terrible, c’est que lorsqu’ils tombent malades, ils vont dans les hôpitaux ou les centres médicaux et ceux-ci ne peuvent rien faire pour eux. Et les gouvernements ont été très irréguliers dans leur façon de gérer ça, au début ils ont essayé de politiser les réactions et d’en tirer avantage, ensuite ils ont compris que ça faisait un grand flop, surtout les gouvernements conservateurs et néo-libéraux, par exemple Donald Trump, par exemple Bolsonaro, par exemple Johnson, ils ont commencé à dire que c’était une chose qui se passait en Chine. Quand la Chine a détecté qu’elle avait l’épidémie, immédiatement, en utilisant tout le pouvoir d’organisation de l’Etat et la discipline du Parti communiste, ils ont complètement bloqué les villes et le moindre appartement ainsi que chaque individu, etc. Ils avaient la capacité de mettre en place un système préventif, qui vraiment au final a prouvé son efficacité, mais tous les autres étaient en train d’hésiter et d’exagérer, en disant:”oh! Ce sont des choses chez les chinois”. J’ai entendu le premier ministre ici [Royaume-Uni] dire: “Oh, nous ne gérons pas les problèmes de cette façon”, entre-temps le nombre de victimes a augmenté et ils ont eu un résultat très mauvais… Maintenant ils font bien sûr des commissions royales pour enquêter sur la responsabilité des gouvernements et ce genre de choses qui sont repoussées à temps…

La chose intéressante, selon moi, c’est que l’être humain normal a assisté à ce spectacle dantesque et grotesque d’inefficacité, d’indifférence pour la vie des gens et d’incompétence.

Et nous avons vu d’incroyables formes de solidarité, car ce sont les pays qu’on attendait le moins qui ont secouru les plus désespérés, par exemple, le premier soutien reçu par les italiens venait de la Russie et de la Chine, parce que personne ici en Europe n’était capable de leur fournir une aide quelle qu’elle soit.

Puis dans un deuxième temps, ils ont essayé de faire du profit avec les vaccins, quand les vaccins ont commencé d’être prêts et qu’ils ont décidé de se risquer à leur utilisation massive, ils voulaient faire des affaires, donc vous voyez la mentalité des sociétés derrière, essayant d’en tirer profit.

Ils ont très vite, sous l’impulsion de l’Organisation mondiale de la santé, libéré ces vaccins, ne les ont pas facturés et ont facilité l’achat de ces vaccins par les pays pauvres. Mais il y a encore un énorme déficit, certains pays n’ont encore vu aucun vaccin, et en Amérique du Sud, par exemple c’est un gros problème en Argentine et je sais que c’est toujours un gros problème en Equateur, au Pérou et au Brésil, ils ont commencé la vaccination mais c’est loin d’être suffisant.

Et ainsi, c’est quelque chose qui se multiplie dans des proportions différentes partout dans le monde et c’est sans précédent, mais cela crée une autre dimension, non seulement au niveau des conflits et des tensions qui existent entre les superpuissances, du point de vue économique, mais aussi en raison de la perception du public de ces choses, qui deviennent maintenant beaucoup plus évidentes pour eux et les gens font pression sur les gouvernements, bien qu’ils ne puissent pas circuler librement en ce moment. Et de nombreux gouvernements changent de position, ce qui prouve que les gouvernements n’ont pas de politique permanente, ils sont inconstants dans leurs réactions et on ne peut pas leur faire confiance.

Maintenant, le problème est toujours en cours et nous ne savons pas ce qui va se passer dans le deuxième ou le troisième acte. C’est donc comme une pièce, horrible. Dans ce contexte, bien sûr, nous avons vu que d’un côté, les tensions mondiales entre superpuissances ont diminué, parce qu’elles ne pouvaient pas menacer avec des guerres, elles ne pouvaient pas façonner complètement l’endroit, la situation étant très instable à l’intérieur. Et nous ne savons pas exactement quel sera le résultat quand nous commencerons à compter le coût de toute cette crise, les vies des gens et tous les mécanismes de production qui ont été complètement détruits. Nous ne savons donc pas vraiment, peut-être que quelque chose de beaucoup plus terrible va apparaître et il y a toujours la possibilité qu’en raison des dommages que nous causons à l’environnement, il y a toujours la possibilité que cette sorte de virus continue à se transformer en d’autres, peut-être plus mortels, et donc le niveau d’incertitude n’est pas encore réglé.

Nelsy: Donc, Antonio, penses-tu que les relations entre les pouvoirs sont en train de changer dans ce contexte de pandémie, penses-tu que ça change?

Antonio: Je pense que les gens croient moins aux structures, à la grandeur du pouvoir impérial que les États-Unis ne cessent de montrer, de menacer et de prétendre qu’ils ont les grands moyens, qu’ils ont l’autorité morale et l’influence absolue pour régenter les situations. Ce n’est pas le cas, ils sont incompétents, ils sont dans des conflits internes très forts, comme ils ne l’ont jamais montré auparavant. Il y a beaucoup de gens, des faiseurs d’opinion et d’autres, qui parlent de la possibilité d’une guerre civile. Trump annonce sans arrêt qu’il sera peut-être de retour avant même que les gens ne l’imaginent, donc je peux envisager des scénarios où vous pouvez faire une erreur qui peut produire une réaction, une réaction immédiate, parce que les populations sont plus à cran et comprennent qu’à cause de l’échec des gouvernements, elles doivent protester directement, elles doivent prendre le contrôle des rues et manifester.

Nelsy: Mais d’un autre côté, ce que nous voyons c’est que, par exemple, les sociétés pharmaceutiques, les entreprises technologiques et tout ce genre d’acteurs, ont de plus en plus de pouvoir, qu’est-ce que tu en penses?

Antonio: pas nécessairement parce que ces sociétés peuvent être démantelées en une minute, en c emoment ils parlent du G7 qui se réunit ici en Angleterre, en Cornouailles, dans deux ou trois jours, où ils vont discuter de quelques mesures symboliques qu’ils sont en train de prendre, comme faire payer une taxe aux plus grandes entreprises mondiales, comme Amazon, Google ou d’autres, qui échappent à l’impôt parce qu’elles installent leurs sièges là où c’est préférable pour elles, et la différence d’impôt c’est pour elles, et avec cette taxe qu’ils collecteront, au début c’était 20%, mais maintenant ils se contentent de 10%, au final ça aura surtout un effet démonstratif, mais pour moi, cela montre que les pouvoirs, le pouvoir établi, le pouvoir de l’État est prêt à prendre des mesures contre les entreprises quand c’est nécessaire, parce que ce que vous dites est vrai, à un moment donné, nous aurons la confrontation entre les entreprises, qui sont le pouvoir souterrain, le pouvoir caché qui manipule l’État, et le gouvernement en place dans les États-nations, qui devront prendre des mesures parce que les gens sont furieux et cela pourrait générer des conflits que nous ne pouvons pas envisager, mais peut-être plus internes aux pays que des conflits internationaux.

Nelsy: Maintenant Antonio, parlons du Grand Sud. Comment vois tu ces pays du Grand Sud? Que penses-tu de la situation ici en Amérique latine, aux Caraïbes et en Afrique, en Asie, etc.? Que penses-tu de notre position dans tous ces pays?

Antonio: Je pense que l’Amérique du Sud en ce moment… il est possible que Lula revienne au pouvoir l’année prochaine, je veux dire, les gens au Brésil, qui est le pays le plus puissant d’Amérique latine, changent complètement d’avis sur leur soutien à Bolsonaro et cela, bien sûr, pourrait rééquilibrer la relation de pouvoir en Amérique latine, mais d’un autre côté, nous avons le problème que tous les modèles de gouvernement testés ont été très incompétents et les gens sont laissés pour compte, les populistes, les péronistes n’ont pas été capables d’aider la population, de créer des emplois, de donner les ressources, les droits humains de base aux gens, et le pays passe derrière… Derrière, derrière, la même chose s’est produite au Chili, les multimillionnaires ont concentré toutes les ressources du pays et nous prêchons ici et là que le modèle chilien… je ne sais quoi ! Ils ont eu cette incroyable explosion sociale et les gens sont descendus dans la rue de manière non violente et ils sont restés cohérents, ils ont résisté à la violence physique que le gouvernement exerçait et à la fin ils ont gagné.

Le peuple l’a emporté et les demandes visant surtout à changer la constitution, selon laquelle les néolibéraux pouvaient faire ce qu’ils voulaient avec l’économie, comme privatiser l’eau par exemple, qui est une monstruosité, cette constitution va être changée et c’est quelque chose que nous, les humanistes, avons réclamé depuis la fin du gouvernement Pinochet. C’est donc très gratifiant pour nous, car ce ne sont pas les nôtres qui réécrivons la constitution, mais les idées que nous avons prôné montrent à quel point elles étaient cohérentes et justes, et les gens s’en sont finalement aperçus et vont dans cette direction.

Je sais qu’il est difficile de généraliser les situations en Amérique latine, car il y a beaucoup de spécificités, mais ce que je vois comme facteur commun, c’est que les gens deviennent beaucoup plus conscients de ce qu’ils veulent.

Par exemple, l’élection au Pérou, dont nous avons parlé, ce que les deux candidats ont en commun, c’est d’être populistes. Les populistes arrivent avec des slogans, normalement pour dire aux gens: nous sommes là pour vous, nous comprenons votre souffrance et nous allons répondre à vos demandes. Les deux ont le même message. Pourquoi? parce qu’ils comprennent que les gens en ont plus qu’assez et sont très clairs dans leur esprit sur ce qu’ils veulent faire. Ce n’est plus un clivage entre droite et gauche. Ce n’est pas ça. Il y a les besoins fondamentaux des gens à satisfaire. Je doute qu’aucun des deux n’ait la capacité d’y arriver, dans le cas du Pérou, mais la même chose se produit dans de nombreux pays. Il est donc possible que les gens cherchent des alternatives ou se présentent directement et forment des gouvernements, des coalitions ou des groupes représentatifs de la base sociale, qui ne sont pas les groupes politiques traditionnels. C’est possible, une réorganisation de tout le spectre politique.

Nelsy: Et que penses-tu, par exemple, de l’Afrique en tant que région, ou d’un pays comme l’Inde ?

Antonio: L’Afrique est différente, c’est un autre type de région. C’est un continent qui connaît de nombreux changements très rapides et très positifs. En ce moment, ils sont environ 1,5 milliard de personnes, mais c’est le seul endroit. C’est le seul continent au monde qui se développe à vitesse normale. Et ils estiment que dans 30 ans, ils auront environ deux milliards et demi d’habitants. Et selon la Banque africaine de développement, une de ces banques qui est une institution financière générale, mais qui recueille des données plus ou moins réalistes parce qu’elle accorde des prêts de développement aux pays, pour l’avancement des infrastructures, les niveaux d’éducation de la population en général, le respect de la loi et l’ordre, le respect de l’ordre institutionnel, qui est fondamental pour que les pays se reprennent, les niveaux d’éducation, les niveaux des jeunes dans les universités, etc. C’est un indicateur très positif, il semble donc que ce continent a trouvé sa voie et se trouve sur la voie du développement.

Et il y a un autre angle d’observation concernant l’Afrique, c’est  que les pays européens ne se développent pas, les populations ne grandissent pas. J’ai une approche, quand je cherche à comprendre les processus. Les créateurs de richesse, c’est nous, les êtres humains, pas les États, pas les entreprises, pas le gouvernement, rien de tout cela. Et quand vous voyez, que la croissance démographique en Europe est presque nulle. Si vous prenez l’Allemagne, zéro virgule quelque chose, et ils estiment que dans 30 ans, la population sera devenue si âgée qu’ils n’auront pas assez de travailleurs, pour faire marcher tous les appareils de production, même pour nourrir les retraités et les gens au chômage et ils estiment qu’ils devront faire venir d’Afrique environ 70 millions de personnes, pour accomplir toutes ces tâches.

Pour moi c’est un indicateur, d’abord toutes ces forces positives en Afrique, l’intérêt que tous ces autres gens ont pour que l’Afrique réussisse et se développe. Ils pensent en termes de main-d’œuvre, mais aussi de personnes capables de prendre la relève, sinon je ne sais pas ce qui se passera, il y aura une grande crise dans la vieille Europe avec les vieux systèmes de gouvernement, les vieilles institutions, etc. Il y a donc quelque chose vraiment spécial dans l’exemple africain et il y aura probablement des modèles qui pourront aussi être suivis dans certains cas en Amérique latine.

Nelsy:  Antonio, nous pouvons voir combien, je ne sais pas si c’est beaucoup, mais certains conflits, qui sont des conflits historiques, continuent. Il semble qu’il n’y ait pas de solutions pour eux. Que penses-tu de cela ? Et selon toi, quels sont les conflits les plus importants à résoudre? Je sais que tous les conflits sont importants, même en Afrique, il y a le Congo…

Antonio: oui, il y a le Congo où les musulmans ont subi un colonialisme terrible de la part de la Belgique, etc.,

Nelsy: oui, mais nous savons que certains conflits nous affectent tous ou affectent une grande région. Que penses-tu de cela?

Antonio: il y a les conflits au Moyen-Orient et tu sais que c’est une région très sensible en raison de la capacité de production de pétrole, cela a également été le point de friction entre l’Est et l’Ouest, et ce depuis longtemps. Et je pense que la Chine et la Russie y ont des intérêts stratégiques très solides et clairement exprimés. Et elles ont, à ce stade, une alliance militaire et économique très forte avec la Chine, ce qui leur donne le pouvoir de compenser et de rééquilibrer si la situation se dégrade.

Bien sûr, ils font également pression pour un règlement de la situation en Iran. Pour l’instant, il semble qu’ils vont s’asseoir à la table des négociations et que les Américains vont revenir à l’accord et dire qu’il est possible de progresser, cela réduira le prétexte et les tensions en Israël, et il y a un changement de gouvernement imminent en Israël, ce soir en fait ils doivent voter. Si la nouvelle coalition peut être acceptée, cela ouvrira une nouvelle possibilité, parce que Netanyahou avec cette mentalité et le parti Likoud qui est très obsolète, ultra-conservateur, ils ne contribuent pas à la solution du problème, ils traînent les pieds et je pense qu’il y a une possibilité d’ouverture, en particulier les Américains qui commencent à faire pression et il y a aussi la Russie et la Chine, ce qui signifie que le Conseil de sécurité des Nations Unies exige l’application de l’accord de restitution des terres et les accords des deux États comme cela avait été approuvé il y a de nombreuses années et il y a donc de l’espoir.

Et le troisième conflit selon moi très urgent, est le conflit au Yémen. Le Yémen est alimenté par l’industrie militaire des États-Unis et l’industrie de la défense du Royaume-Uni qui sont partenaires à parts égales et il fournit des armes à l’Arabie Saoudite et l’Arabie Saoudite envoie des pilotes qui sont formés en permanence. Il y a un grand contingent de personnel fournissant des « services », disent-ils, aux forces armées britanniques, aux services de sécurité ici et aux États-Unis et qui maintiennent la capacité de combat contre le Yémen, mais cela a déjà coûté la vie de 250 000 enfants, familles, etc. Je pense donc que ces conflits doivent être réglés et je soupçonne que nous ne nous rendons pas compte des relations croissantes, sur le plan économique, entre l’Asie et l’Europe qui tendent à s’intégrer économiquement, à recréer la route de la soie et qui ont tellement de contacts entre eux. Le nombre de trains de marchandises qui circulent de la Chine vers l’Europe est d’environ vingt mille par an. Ils ont augmenté de 50 % en l’espace d’un an, ils transportent plus de marchandises et de conteneurs par voie terrestre, ils ont quatre canaux différents à travers l’Asie et le Japon également, donc l’Eurasie devient vraiment ce qu’elle aurait dû être depuis longtemps. Le gaz, le pétrole et le fioul viennent de Russie et maintenant ils ont accepté les pipelines. Avant, ils disaient que les Américains allaient s’y opposer, ils les ont ignorés et maintenant tout fonctionne à merveille.

Donc nous sommes face à un nouveau phénomène d’intégration et de rééquilibrage du pouvoir entre les grandes nations, l’Afrique est, non pardon, l’Inde est prise au milieu mais les besoins de développement de l’Inde doivent être assez similaires à ceux des autres pays asiatiques et dans cette optique l’Inde sait qui seront ses vrais partenaires. Le résultat de tout cela, c’est que même territorialement, les États-Unis et l’Australie vont rester des îles, peut-être pas demain ou la semaine prochaine, mais dans les 10, 15, 20 prochaines années, ce qui en terme historique n’est rien, je pense que ça va arriver. Et ils devront revenir à la table et jouer comme de simples joueurs, ils ne sont plus la puissance impériale. Ils vont devoir s’intégrer et voir quelles seront leurs parts et de quelle manière jouer avec les autres. Nous avons donc un système multilatéral, avec un équilibre des forces sociales, mais les grands problèmes doivent être résolus, la pauvreté et la concentration du capital dans les mains d’une minorité, c’est indécent et cela ne peut plus être toléré.

Nelsy: Antonio, quelles sont les forces de l’avenir ?

Antonio: Je pense que c’est la Nation Humaine Universelle. Je pense que cela arrive de facto. Je pense que les gens sont conscients qu’ils partagent le même type de situations, cette intégration économique et autre, que je viens de mentionner, signifie que les races et les cultures vont se rapprocher, dans deux générations, les enfants de nos enfants seront un mélange de couleurs, de cultures et de tout le reste et à cause de l’intégration géographique, toutes les autres choses vont en découler. L’éducation sera assez homogène, la culture sera assez homogène, en gardant les différences. Il n’y aura pas une seule caractéristique mais les gens comprendront que la différence aussi est commune parce que ce que nous aurons en commun, c’est ce que nous partageons en tant qu’êtres humains. Et ensuite, la focalisation de l’attention sera placée sur d’autres types d’acteurs et je pense que dans ce contexte, si le message du Nouvel Humanisme peut être entendu correctement, il sera le point de référence autour duquel la nouvelle façon de penser, de regarder ce nouveau moment historique, sera intégrée. Et, bien, cela dépendra de nous, c’est notre responsabilité. Nous devrons apporter notre contribution, dans ce nouveau monde à venir, qui est déjà là, nous pouvons le toucher, nous pouvons le sentir.

Nelsy: Bien, dernière question parce que dans ce contexte, c’est une question importante. Il s’agit du rôle de la science et du nouvel horizon qu’elle ouvre. Nous avons pu sentir cette année comment les sciences peuvent être le meilleur ou le pire, mais nous pensons que les sciences sont si importantes pour le futur et nos nouvelles conditions. Qu’en penses-tu? Que penses-tu du rôle de la science, de ses objectifs, de ses perspectives et que pouvons-nous faire à ce sujet ?

Antonio: Je suis d’accord, dans les demandes des gens il y a le respect d’un des droits fondamentaux de l’homme qui est le droit à la santé comme nous l’avons vu, vraiment devant nos yeux pendant la pandémie. Je voudrais, j’exigerai une réorientation, de la prévention, des soins et de l’assistance de base partout et pour chaque être humain. Donc au minimum, les sciences médicales devront aller dans cette direction. D’autre part, l’intelligence artificielle progresse aussi très vite, de manière instrumentale dans la plupart des processus de production, mais en même temps elle peut être intentionnellement mise au service des êtres humains, des populations. Il y a une dimension de la science qui est bien sûr celle qui intéresse les Américains, que les Russes font aussi et les Chinois, c’est la conquête de l’espace, très rapidement les grandes entreprises, les Amazon de ce monde etc. investissent dans ce domaine pour vendre de gros contrats à l’État américain et aux autres États. Ils ont signé des contrats de plusieurs millions qui étaient auparavant réservés à la production et à la vente d’armes, mais comme la guerre devient un peu obsolète, dans ce nouveau paysage que nous pouvons percevoir, s’il n’y a pas de guerres, ils ne pourront pas vendre des armes et s’ils ne peuvent pas vendre d’armes, toutes ces sociétés ne feront plus d’affaires, donc ils se jettent très vite dans quelque chose dont personne ne sait combien ça peut coûter, ces voyages galactiques, les voyages ne sont probablement pas parmi les questions les plus urgentes dans le monde, donc nous devons consulter les gens, si pour eux il est si important que les Besos ou autre gars des voitures Tesla ou autre, voyagent dans les galaxies. Personnellement je ne me soucie pas tellement des galaxies, aller sur la lune et revenir, ça prendra combien d’années et qu’est-ce qu’ils vont faire, ils vont prendre des minéraux sur la lune et les apporter ici, c’est un peu… c’est un gadget, c’est un peu absurde à ce stade, étant donné les conditions que nous devons affronter et les vrais problèmes à résoudre.

Nelsy: Antonio merci beaucoup.

Antonio: Nous avons tout le temps d’aller dans les étoiles

Nelsy: Merci beaucoup Antonio, cet échange va nous être si utile et tu es invité à notre rencontre Pressenza, donc nous te verrons bientôt.

Antonio:  super, merci beaucoup à toi.