Par Karla Mijangos Fuentes

La série « Des féministes qui humanisent » est une séquence d’entretiens dans laquelle des personnes impliquées dans différents aspects de la construction d’une santé intégrale racontent comment le féminisme a changé leur vision, leur manière d’agir et leur conception des pratiques de santé. Cette série vise à susciter des réflexions sur le genre, le féminisme et la santé, en plus d’être un espace de réflexion et d’autonomisation.

On peut lire les articles précédents de la série ici :

Des féminismes qui humanisent. 01- Nidia Kreig

Des féminismes qui humanisent. 02- Diana Bañuelos González

Des féminismes qui humanisent. 03- Alejandra Romo Lopez

Des féminismes qui humanisent. 04- Entretien avec María Belén Echavarría

Des féminismes qui humanisent. 05- Entretien avec Sara Cruz Velasco

Des féminismes qui humanisent. 06- Entretien avec Jacob Sifuentes

 

Sociologue de 27 ans, avec des tendances philosophiques, éthéré (un peu dispersé), flirtant avec les marginaux, Jacob a participé à des projets collectifs et universitaires visant à créer des espaces libres de lesbo-homo-bi-transphobie et de violence sexiste.

Il est membre d’une organisation étudiante appelée MIELGBTT+, qui mène des activités pour rendre visible la dimension LGBTT+ au sein de l’Université Autonome de l’État du Mexique ; il participe également à l’Auto observatoire des Masculinités, un groupe d’hommes au sein duquel ils analysent leurs pratiques, attitudes et croyances afin de revoir les missions de genre qui leur ont été imposées, et qu’ils ont intériorisées et reproduites.

Rehuno : Bonjour Jacob, c’est un plaisir de vous saluer et en même temps de vous demander comment vous vous définissez.

Jacob : Je voudrais d’abord vous remercier pour l’initiative et l’espace que vous m’accordez, et pour répondre à votre question, je voudrais m’interroger sur mon identité et ma présentation dans le monde ; ensuite je me présenterais comme une personne intéressée par des causes justes. Je suis sociologue, j’aime beaucoup la danse, en fait, j’étudie un peu la danse contemporaine, et je m’intéresse aux questions de diversité sexuelle, de participation à l’université, de genre entre autres sujets qui m’interpellent, et pour ainsi dire « je pense que les expériences me définissent davantage ».

Rehuno : Concernant ces dernières pourriez – vous développer davantage ?

Jacob : Disons que tout au long de ma vie, j’ai vécu des expériences qui définissent mon existence en ce monde, et je me réfère avant tout à ce monde social. Disons que, pendant toutes ces années, je me suis rendu compte que face à toute éventualité ayant trait au préjudice de la dignité humaine, à l’exploitation de tout type et/ou à la discrimination et aux actes de violence envers toute personne, cela se présente à moi comme un courage intérieur, je ne sais pas comment l’expliquer, je crois que c’est quelque chose que je porte qui fait que, face à tout acte de ce type, j’élève la voix. Je crois que je ne suis pas resté mutique jusqu’à présent.

Rehuno : Qu’appelez-vous « causes justes » ?

Jacob : Toutes les causes qui sont orientées vers la dignité de la vie humaine pour le bénéfice social, pour améliorer les conditions de bien-être, améliorer la qualité de vie et qui contribuent à nous améliorer en tant que personnes ; et aussi celles qui sont basées sur le soulagement de la souffrance humaine, et pas seulement de la souffrance humaine, mais aussi de celle d’autres espèces. Donc, sans me dire « anthropocentriste », je m’identifie aussi à ces causes qui ne mettent pas seulement les problèmes humains au centre, mais qui les dépassent.

Rehuno : Considérez-vous que les féminismes contribuent à la formation de ces causes justes ?

Jacob : Totalement. Tout d’abord, elles rendent visible le fait historique qu’il existe chez les femmes et les hommes une profonde inégalité entre ces deux identités historiques, c’est-à-dire qu’elles rendent visibles des dimensions qui n’étaient pas envisagées auparavant dans l’imaginaire social, par exemple les conditions de violence et de discrimination que subissent les femmes et les groupes de diversité sexuelle et de genre. Le terme de féminismes, ne stipule pas dogmatiquement qu’il n’y a qu’un seul féminisme valable, mais qu’il y a différentes façons de rendre visibles les différentes conditions des femmes, donc, je crois qu’en nommant d’une manière ou d’une autre différents problèmes, cela contribue à générer une image, un panorama plus pluriel, plus diversifié, et surtout, à y travailler, en essayant de réduire ce fossé d’inégalité, entre nombre de gens que finalement nous vivons tous.

Rehuno : considérez-vous que le féminisme soit contre les hommes ?

Jacob : Non, au contraire, je considère que les féminismes font référence à cette idée basée sur la justice sociale, sur le fait de ne pas opposer les hommes aux femmes, mais plutôt de rendre visibles les conditions dans lesquelles tant les hommes que les femmes sont touchés et affectés ; et que nous participons de la même atteinte négative que sont nos pratiques patriarcales envers les femmes et envers nous-mêmes en tant qu’hommes.

En ce sens, je crois qu’une personne qui se considère comme anti- féministe, puisqu’elle est respectable, je crois qu’elle irait aussi à l’encontre de tous les acquis que la lutte des femmes a obtenus pour le bien de l’humanité, qui ont été très représentatifs, très profonds, et que peut-être nous ne pourrions pas parler de notre réalité actuelle sans ces luttes antérieures, comme, par exemple, le vote des femmes et la visibilité de la diversité sexuelle. Il me semble que le mouvement féministe a eu un impact fondamental sur l’organisation des personnes non-hétérosexuelles, donc je pense que la reconnaissance est là.

Rehuno : Alors ces autres mouvements seront favorables à la lutte féministe ?

Jacob : Comme j’appartiens à la population LGBTT+, j’aime bien la citer. Aller à l’encontre des luttes féministes, c’est aller à l’encontre de nos propres principes en tant que populations LGBTT+.

Rehuno : Considérez-vous qu’un homme puisse se dire féministe ?

Jacobo : L’idée qu’un homme puisse se dire féministe, je dirais respectueusement que je m’abstiens de répondre, je ne pourrais pas me dire féministe, tout d’abord par respect pour le mouvement, cependant, je sympathise avec le mouvement, c’est-à-dire que plus que d’être féministe c’est plutôt avec un certain respect que j’observe ces discussions, parce que je suis en faveur de nombreuses luttes et discussions que le mouvement féministe nous offre.

Rehuno : Une stratégie que vous proposez pour que les hommes puissent ouvrir davantage ces espaces de discussion sur les féminismes

Jacob : En premier lieu, je crois que nous devons renoncer à cette stratégie « très virile » du « nous allons faire quelque chose », car historiquement les hommes ont eu les conditions qui nous permettent de dire « agissons » ; je crois plutôt, comme le dit Rita Segato, « que nous devons céder aux missions qui nous ont été imposées en tant qu’hommes ». Et disons que l’une de ces stratégies serait, avant d’agir, de prendre conscience, de devenir sensible, de nous écouter en tant qu’hommes sur les problèmes ou les sentiments que nous avons, avant de nous organiser en tant qu’hommes. Une idée fondamentale est de créer ces espaces pour parler de nos pratiques machistes et violentes, avant de créer des espaces masculins, car ceux-ci existent en nombre dans l’espace public.

Rehuno : À quels secteurs stratégiques faites-vous référence ?

Jacob : Ici au Mexique, il existe de nombreux espaces de sociabilité masculine (billard, bars, stades), cependant, nous devrions réfléchir à une stratégie différente ; et je propose de commencer par nos relations les plus proches, nos amis, nos parents, nos oncles, et de commencer à générer cette préoccupation, en questionnant cette masculinité, en questionnant nos pratiques et nos interactions avec les femmes.

Je pense donc qu’avant d’entreprendre une action, nous allons faire une marche, je pense que la première chose est de faire appel à notre espace le plus proche, c’est-à-dire notre famille. La famille est un espace politique et à partir de là, il faut commencer à susciter cette discussion et cette sensibilisation, surtout, nous sensibiliser et commencer à repenser un autre type de masculinité

 

Traduit de l’espagnol par Ginette Baudelet