Dans les moments d’urgence, lorsque notre vie est en péril, nous passons en mode survie et subitement tout devient extrêmement simple et clair. Concentré sur un seul objectif – échapper au danger qui nous menace – nous savons exactement ce que nous avons à faire. Évaporées les questions superflues, envolées les pensées parasites, oublié le vagabondage mental. Quelque chose en nous sait exactement ce qu’il doit faire. Débarrassé de cet encombrant compagnon que l’on tolère à l’état normal parce qu’il nous distrait, notre attention est tout entière focalisée sur la résolution d’un seul problème et nous voilà soudain superbement intelligent, courageux et efficace. Nous n’en tirerons aucune gloire, le danger passé : c’était un réflexe naturel.

C’est un peu ce que l’on a vécu durant les premiers mois de la crise du Covid-19. Tout était ramené à une seule problématique et, du coup, chacun se positionnait par rapport à celle-ci. Ce fut un moment de grande communion, de compréhension partagée, de solidarité aussi. Une humanité réconciliée, pour quelques semaines qui furent à la fois tragiques et émouvantes. On se prêtait à rêver d’un « monde d’après » radicalement différent. La pandémie nous apparaissait comme une aubaine, un coup de poker du destin qui allait nous booster, pour enfin sortir d’une ornière dans laquelle nous semblions enlisés depuis des années.

Et puis, le retour à la normal est venu nous cueillir à la sortie du déconfinement, sans que nous ne puissions faire grand-chose pour y résister. L’alerte passée, le danger plus ou moins écarté – même s’il rode toujours comme un cyclone tournoyant de manière imprévisible autour de la planète – tout, ou presque, est redevenu compliqué. Nous ne sommes plus en mode survie et nous reprenons nos bonnes vieilles habitudes d’errance et de questionnement. La direction n’est plus claire, les signaux sont brouillés.

Le sentiment d’urgence s’étant dilué à nouveau dans quantité de problèmes – dont le mixte est différent pour chacun de nous et sa situation personnelle – voilà que nos forces aussi s’éparpillent, s’amenuisent et peuvent même aller jusqu’à se neutraliser, si la division règne vraiment au sein de nos priorités personnelles.

Je cite souvent Prem Rawat, car c’est auprès de lui que, depuis des années, je puise sagesse et inspiration pour avancer dans la vie et en tirer le meilleur profit. Son message est simple et accessible à tous, car il nous ramène à des questions fondamentales que nous avons tendance à négliger [1]. Voici deux petites maximes de son cru, parmi mes préférées :

« Une attraction c’est une attraction, deux attractions c’est une distraction. »

« Vous perdrez de nombreuses batailles, mais ne perdez pas la guerre. »

Nous devons être clair sur nos priorités et poursuivre sans relâche ce qui nous tient vraiment à cœur. Nous n’avons qu’une vie. Elle est là l’urgence, la vraie, l’urgence dans l’urgence. Pas sous forme d’une course contre la montre, que nous perdrons de toutes les façons, mais plutôt comme une nécessité à ralentir le rythme pour mieux évaluer la situation, notre situation. Se poser les bonnes questions, pas seulement sur les conséquences de nos actes, mais sur leur cause intrinsèque.

L’autre jour je tombais sur une émission dont le titre sonnait comme une provocation : « la question est de savoir si Mars a été habitée. » Un peu désœuvré et intrigué par l’argumentaire utilisé, j’ai écouté. J’ai appris beaucoup de choses sur la recherche spatiale, mais avec le sentiment que tout cela était quand même bien loin de nos préoccupations actuelles. Et bien non, figurez-vous ! Répondant à des questions d’auditeurs qui se demandaient si tout cela était bien raisonnable, compte-tenu des budgets engagés, le spécialiste a balayé les objections d’un revers de manche, arguant de prétendues retombées scientifiques qui pourraient nous aider à mieux comprendre les causes du réchauffement climatique et lutter contre plus efficacement.

Mais la cause du réchauffement climatique on la connait ! C’est nous, les êtres humains, nos agissements. La question est de savoir pourquoi nous agissons comme nous le faisons. Une fois débarrassés de nos comportements toxiques, ce sera nettement plus facile de remédier aux problèmes qu’ils engendrent. Il est quand même étonnant que nous soyons capables de le comprendre sur un plan individuel, sans jamais en déduire que cela puisse avoir une incidence quelconque sur nos comportements collectifs ?

À la question de savoir quel est le remède à l’avidité, Prem Rawat répond, « l’appréciation ». Il ne répond pas « la générosité », comme nous pourrions en avoir le réflexe, sautant une étape, celle de comment accéder à la générosité, au partage. C’est comme si à la question du remède à la maladie, on répondait : la santé !

L’appréciation. Savoir apprécier la valeur des choses qui comptent, pour avoir envie de les préserver, de les soigner, de les nourrir, de les voir prospérer. Il n’y a qu’en nous que ce sentiment peut naître et grandir. Il est le prélude indispensable à la mise en œuvre de mesures techniques, qui ne devraient pas nous poser de problèmes insurmontables. Nous sommes des techniciens hors pair, mais de piètres tacticiens !

Une autre formule aussi, que je l’ai entendu utiliser une fois et qui m’a bien fait rire : « L’homme le plus riche du monde ne voudra pas partager sa fortune. En revanche, l’homme le plus heureux du monde n’aura qu’une seule envie : partager son bonheur. »

[1] Site officiel de Prem Rawat.