Quelle est la situation du Gouvernement après la mobilisation qui a eu lieu mardi (14/07) dans tout le pays pour exiger que les élections générales prévues pour septembre soient confirmées ? La présidente de fait Áñez essaie de se protéger derrière la menace de la pandémie tandis que ses opposants dénoncent un climat de persécution et de menaces envers les opposants. Quelle est la situation du mouvement indigène et de la Centrale Ouvrière Bolivienne (COB) ? Voici quelques questions que nous avons posées au journaliste Antonio Abal. La crise en Bolivie a débuté le 10 novembre 2019 quand les forces Armées ont abandonné Evo Morales, concrétisant le coup d’Etat qui avait commencé par 20 jours de protestations contre la fraude électorale face à l’éventuelle réélection de Morales et bien qu’il ait annoncé l’organisation de nouvelles élections.

ANRed: Que penses-tu de la mobilisation de mardi dernier dans tout le pays et qui l’a organisée ?

Abal: Les marches ont été très importantes mais il faut souligner que ce sont les peuples originaires qui ont manifesté le plus de discipline et d’organisation en mobilisant sur leurs territoires. Par exemple, dans la marche du nord de Potosí qui a été impressionnante et qui a fixé la position. A Chuquisaca, San Lucas, une des municipalités les plus pauvres de Bolivie, il y a eu une marche très fréquentée et organisée. Nous pouvons dire que c’est l’âme. C’est à dire que dans le flux et le reflux de la politique, nous dirions que nous sommes à un moment de croissance et de renforcement. Il n’a pas été facile que les directions naturelles s’organisent. Que la COB récupère le rôle primordial a beaucoup coûté. Le pacte d’unité est moyennement consolidé mais avec encore certains problèmes et les gens de la base jouent des rôles essentiels. Par exemple, à partir de ce qu’on appelle les mouvements « auto-convoqués » qui sont des citoyens ordinaires qui, face à l’absence de dirigeants de voisinage dans les centres urbains, se sont convoqués eux-mêmes. C’est arrivé à Cochabamba, à El Alto.

Le mouvement a été décapité. On a arrêté 3 dirigeants principaux mais une autre sorte de direction a vu le jour, plus collective. Alors, ce processus s’est réalisé à Cochabamba, où nous avons une force paramilitaire qui s’appelle « les motards. » Et avec tout ce qui sort du Gouvernement central. Alors, il y a un processus très rapide de réorganisation et de volonté. Nous espérons que ce ne sera pas un simple changement de Gouvernement mais que ce qui s’est passé il y a 10 ans se renforce.

Il y a des choses qu’on n’ a pas pu expliquer comme ce qui s’est passé dans le centre urbain de Potosí, une ville traditionnellement rebelle, contaminée par la présence de mineurs. J’ai mon idée sur ce que les politiques d’ajustement structurel ont réussi à faire. Ce que le néolibéralisme a réussi à faire. Dans le cas de Potosi, retourner la conscience des mineurs et la remplacer par les coopératives minières qui, au fond, sont des entreprises capitalistes d’exploitation. Alors, c’est la base qui s’est mobilisée pour s’opposer au Gouvernement du MAS et ils ont gagné ce qu’Alvaro Linera appelle le sens commun du centre urbain de Potosi. Ce sont des phénomènes nouveaux du travail politique qui, en Bolivie, se sont présentés comme une nouvelle forme de coup d’Etat aussi dans le sens commun des Boliviens.

Comment a réagi le mouvement indigène dans ces dernières mobilisations ?

Le mouvement indigène originaire, en particulier dans la zone occidentale où vit la population Aymara et Quechua est le plus discipliné. Même Felipe Quispe a déclaré qu’il ne reste plus qu’à soutenir le MAS et Quispe a beaucoup de force à La Paz. Je pense que le noyau dur reste parce que la conscience de l’organisation est surtout dans la base, c’est à dire dans les syndicats, les fédérations. Même s’il y a eu des problèmes, maintenant, il bouge de façon solide et unie. Il y a eu des problèmes avec des dirigeants au niveau de confédérations mais la base ne marche pas fermement seulement dans la voie électorale, elle a fait sentir son poids quand ils ont proposé David à la présidence. Cela a marqué une augmentation de son pouvoir. Et elle a été la première à réagir face à la crise politique et maintenant, elle a beaucoup de force.

Les peuples indigènes joueront un rôle essentiel dans le scénario politique à venir. Pas seulement dans les questions d’organisation mais avec des propositions idéologiques jusqu’aux brèches qui sont ouvertes dans la structure de l’Etat en tant que pouvoir. Nous verrons comment ce mouvent va se traduire.

Comment vois-tu la Centrale Ouvrière de Bolivie COB ?

La COB n’est plus celle des années 60. Elle a commencé à s’affaiblir dans les années 80 avec les programmes d’ajustement structurel. Disons qu’elle est dans un processus de renforcement. Si les dirigeants sont lucides, cette crise va les aider à diffuser plus. La COB a ses représentants départementaux et c’est là qu’il y a des faiblesses. Par exemple : la COB à Cochabamba, à Chuquisaca ou à Potosí s’est opposée au MAS. Ils ont toujours été sur une position d’opposition. Aujourd’hui, la COB soutient l’organisation des élections mais ne soutient pas nécessairement le MAS. Ils soignent la forme et ont une position favorable aux institutions pour éviter les représailles du gouvernement. Mais cette position est très importante parce qu’elle peut coïncider avec celle de nombreux syndicats de base qui ne soutiennent pas nécessairement le MAS mais qui veulent des élections. Cette exigence est stratégique.

Dans cette situation de pandémie et d’augmentation des mobilisations, comment est ressenti le Gouvernement de Jeanine Añez ?

Le Gouvernement actuel n’a pas de soutien. Les sondages ne lui donnent même pas 6% de soutien et c’est ce qui a fait monter l’idée de retarder les élections et de chercher des prétextes. Le plus utilisé a été la pandémie, ils ont laissé les chiffres augmenter en ne mettant pas en place de politiques de prévention et cela, la population le voir clairement. On manque de médicaments de base, il n’y a pas de contrôles dans les pharmacies, et les médicaments coûtent cher. Tout est fait pour que le nombre de personnes infectées augmente.

Le seul soutien que le Gouvernement a, c’est celui de la Police et de l’Armée. L’armée a fait pression et le Gouvernement a réalisé une série de promotions de généraux par décret bien que ce soit interdit par la Constitution. C’est la base d’un Gouvernement qui n’arrive pas à construire un projet politique parce qu’ils n’en ont pas les conditions. Il y a un mois, ils ont réussi à réunir l’intelligence néolibérale de partis comme le MNR, le MIR, etc… Les vieux partis ont convoqué tous leurs idéologues mais ils n’ont pas pu mettre un projet sur pied. Et c’est parce que la situation mondiale ne le permet pas. Nous pensons qu’ils n’ont déjà presque plus d’aide des Etats-Unis. Les Etats sont préoccupés par la façon dont ils traverseront la crise économique : on pense à nationaliser des secteurs stratégiques, c’est à dire, à une plus forte présence de l’Etat. Ce serait la voie qui se présenterait après le coronavirus pour remettre à flot les économies et dans ce contexte, aucun projet néolibéral ne va être mis à flot. Alors, il y a ces limites. Ils veulent rester jusqu’en 2021 et ils tisseront leurs réseaux. C’est une cleptocratie et leur prolongation au pouvoir est fonction de 2 choses : faire tout leur possible pour détruire le MAS et ses candidats, si c’est possible, les interdire. S’ils y arrivent, il y aura certainement une coordination avec tout le bloc de droite représenté par Mesa et la vieille démocratie convenue reviendra. C’est le scénario dans la politique officielle. Dans la politique souterraine, on continuera à terroriser les gens avec des persécutions et des menaces sélectives et à faire baisser le flot de voix du MAS. Il y a une politique officielle et une politique souterraine.

Source en espagnol :

https://www.resumenlatinoamericano.org/2020/07/20/bolivia-que-pasa/

Traduction Françoise Lopez pour Bolivar Infos

L’article original est accessible ici