Nous nous sommes réveillés secoués par la mort de Luis (« Lucho ») Sepulveda, un ami de longue date et un de nos écrivains les plus connus, qui était l’un des deux ou trois écrivains les plus lus dans le monde.

Je l’ai connu par hasard pendant les années les plus sombres de notre histoire. C’est à Hambourg que nous nous sommes rencontrés, dans la maison d’Anna Petersen, une Allemande extrêmement engagée et solidaire de la cause démocratique chilienne. Je me souviens qu’il m’avait timidement demandé si je serais intéressé par la lecture d’un de ses romans qu’il venait d’écrire et qui n’avait pas suscité l’intérêt des maisons d’édition allemandes, bien que son souhait était surtout d’être publié au Chili.

Pendant cette longue nuit, nous avons discuté de tout ce dont on parlait dans les réunions des exilés avec ceux d’entre nous qui venaient « de l’intérieur ». Sans s’en douter, à partir de là, nous avons noué une longue amitié et je suis revenu avec l’engagement d’éditer son texte « Un vieil homme qui lit des romans d’amour » sous le sceau du  magazine Análisis. C’était une édition rapide, artisanale et étrange, parce qu’en réalité très peu de gens, presque personne, ne savait qui c’était dans notre pays.

Cependant, son livre connaît un succès prometteur, si bien qu’une maison d’édition française s’intéresse rapidement à son impression. De là, Lucho lui-même et ses amis se sont mis à récupérer tous les exemplaires distribués en librairie, pour que les Français croient avoir été les premiers à découvrir cette œuvre qui a fêté il y a quelques années la vente d’un million d’exemplaires dans sa seule édition de poche.

Depuis lors, Lucho s’est imposé comme un grand romancier et un chroniqueur presque sans égal. Sa plume a dépassé les domaines de la littérature et est entrée dans le domaine du journalisme. Son engagement politique l’exigeait et très vite nous l’avons eu comme chroniqueur et ami d‘Análisis et de toutes les publications qui jusqu’à aujourd’hui luttent pour un monde meilleur. Il faisait aussi partie des organisations de défense des droits humains et s’était joint au défilé incessant de ceux qui luttent dans le monde entier pour la justice sociale.

Mais outre ses mérites, Lucho a été en plus un frère et un ami très chers. Nous nous sommes rencontrés à plusieurs reprises en France, en Espagne, au Mexique et dans son inoubliable Chili. Parce qu’il faisait partie de ces gens célèbres qui n’ont jamais renoncé à leurs convictions, à leur façon simple d’être et de vivre. Il était honnête et courageux comme nous l’avons toujours connu. Son intelligence, son imagination et sa gentillesse ont été multipliées dans de nombreux livres qui non seulement nous ont divertis, mais nous ont invités à prendre part à ses désirs et à ses efforts. Pour cela, il a consacré beaucoup d’argent, de voyages, de conférences et les écrits les plus divers.

Se distinguant de tant d’écrivains célèbres, Lucho a pratiqué la modestie et le soutien à tous les écrivains, jeunes et vieux, qui n’étaient pas encore reconnus. Comme beaucoup avant lui, c’est à sa mort qu’il reçoit une reconnaissance pleine et universelle.

C’est aussi un grand bohémien qui est mort, un bavard et fumeur invétéré, à qui les soins médicaux servirent peu si ce n’est à lui faire subir une longue et cruelle agonie, ici à Gijôn où il s’est éteint… Je remercierai toujours Dieu de l’avoir connu et d’avoir tant apprécié son talent. Ma solidarité est avec sa compagne et ses enfants.

Lucho nous quitte en période de pandémie et alors que dans notre pays soufflent à nouveau les vents de l’impunité  grâce à l’oeuvre de Sebastián Piñera, de son gouvernement et des juges abjects qui résistent à la mort. Il meurt peut-être au moment où il le devait, car je ne suis pas sûr qu’il aurait résisté au virus de l’impudeur politique. Douleur des pauvres et des exclus qui ont reçu l’héritage de sa vie et de son exemple.

 

Traduction de l’espagnol, Maryam Domun Sooltangos