« Le Venezuela à l’agonie » nous dit France Inter. Il y a quelque chose de réconfortant dans le fait que les tigres de papier soient obligés depuis vingt ans de s’accrocher aux dix principes de la propagande de guerre pour nous convaincre que le Venezuela est une dictature doublée d’une faillite du socialisme, où tout effet aura fait fuir les causes.

A part les quelques fake news ponctuelles de Marie Delcas du « Monde » (comme les « 18000 morts du régime », resucée du « charnier de Timisoara » , ou des « charniers sandinistes » de De la Grange dans le même journal), démontées en leur temps par Maurice Lemoine, la méthode aura été aussi bête que peut l’être toute propagande. Les journalistes français basés dans les quartiers chics de l’Est de Caracas, ou.. à Bogota, ont tout simplement occulté la majorité de la population, les 80 % de secteurs populaires, la base sociale du chavisme. Ils ont repeint en « peuple » substitutif les insurrections périodiques de l’extrême droite et en « répression » les affrontements générés. Ils n’occultent pas le peuple par pure morgue idéologique ou par mépris de classe, comme ils le font en France face à la colère sociale. Il leur faut aussi cacher la mise en place par une révolution de gauche d’une participation citoyenne comme ressort démocratique renforçant la forme représentative. Car on pourra rappeler cent fois que Jimmy Carter, le Conseil des Juristes Latino-américains, Rodriguez Zapatero, Lula, ou Rafael Correa, avec tant d’observateurs internationaux et de médiateurs entre gouvernement et opposition démocratique, ont insisté sur la transparence, sur la légitimité, et sur le nombre record d’élections, que cela resterait insuffisant. C’est en fin de compte l’avènement d’une démocratie participative depuis vingt ans qui aura permis d’endiguer assez vite, pour l’heure en tout cas, l’épidémie.

Nous venons d’étrenner « Temps de Lutte », chronique documentaire réalisée pendant plus d’un an aux côtés des citoyen(ne)s construisant une de ces communes invisibles dans les médias. Ces photos prises dans les dernières heures en sont la suite. Les personnages du film ont pris en main la prévention, le dépistage, la remise d’aliments à la population qui a rapidement accepté, avec un grand niveau de conscience, les instructions gouvernementales sur le confinement et la prévention. Au 19 mars, on compte dans tout le pays 42 cas détectés (34 de personnes voyageant d’Europe et 8 venues de Colombie) et suivis médicalement. Aucun décès. Le réseau de remise d’aliments gratuits créé face au blocus des USA sert à recenser les symptômes et, notamment, à préparer 320.000 examens grâce aux 4015 kits arrivés de Chine, avec laquelle un pont aérien vient d’être installé, et bientôt de Russie. Cuba aussi est présent, agit sur le terrain avec 130 nouveaux médecins qui renforceront le système de santé dans les quartiers populaires, ainsi qu’avec ses experts, dont le créateur du puissant Interféron, qui sera produit sur place.

Alors que la destruction du secteur public vendue depuis des décennies par les mêmes médias au nom de l’«efficacité du privé », génère aujourd’hui chaos, détresse, hécatombes en Europe ou aux Etats-Unis, le Venezuela récolte un travail sui generis de construction d’une double alliance : Etat-organisation populaire, et union civico-militaire. Les deux convergent en cet instant, dans un contexte de guerre économique et de blocus occidentaux. Car bien sûr les Etats-Unis redoublent leurs sanctions, empêchant des avions et des bateaux d’apporter de la nourriture ou des médicaments, tentant d’attiser le feu de l’épidémie. Face à quoi des soldats des forces armées bolivariennes aident avec les citoyen(ne)s à fermer des commerces privés, à arrêter des accapareurs qui cachent ou spéculent sur le matériel médical, à organiser la remise de tonnes de nourriture gratuite aux quartiers populaires via les Comités Locaux d’Approvisionnement, quand ce n’est pas à désinfecter les sols des marchés populaires.

Au blocus bancaire occidental, aux sanctions états-uniennes, à l’impossibilité d’acheter des médicaments essentiels, répond un travail invisible, essentiellement féminin, de recensement des besoins des familles, repris ensuite par le « Carnet de la Patria » pour faire arriver à des millions de bénéficiaires une alimentation mensuelle quasi gratuite mais aussi des allocations. C’est ce système du www.patria.org.ve qui a permis à chacun de remplir un questionnaire en ligne sur ses symptômes. Au 21 mars plus de de 10 millions de personnes ont participé à l’enquête en ligne du gouvernement. Grâce à cette carte 16336 personnes ont été visitées chez elles.

Tout cela explique – avec le confinement organisé par le gouvernement, la réduction des déplacements au strictement vital pour le métro, les routes, le maillage des centres de santé populaire renforcés récemment dans leur capacité d’accueil, et la capacité politique de Nicolas Maduro (toujours méprisé et sous-estimé en tant qu’ex-ouvrier)-, pourquoi le Venezuela bolivarien freine fortement la progression du virus, alors que des gouvernements voisins, d’extrême droite, laissent filer l’épidémie, comme le rappellent les concerts de casserole à Brasilia ou à Bogota.

Thierry Deronne, Caracas, le 19 mars 2020

Photos: Giuliano Salvatore, Jesus Garcia, Commune socialiste d’Altos de Lídice.

Mise à jour 21 mars: depuis le début de l’épidémie dans le monde on compte 70 cas (20 mars 2020), pas de décès, deux états critiques, 15 guérisons. Tous sont suivis et soignés à l’hôpital.

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