Le réchauffement climatique observé crée les conditions pour la génération de feux intenses tels que ceux qui se produisent en Australie depuis septembre.

Par Jérôme Duval

Début 2019, l’Organisation météorologique mondiale (OMM) nous rappelait que les années 2015, 2016, 2017 et 2018 avaient été les quatre années les plus chaudes jamais enregistrées… et que 2019 semblait poursuivre la tendance. Et, en effet, en 2019, la température a battu des records de chaleur en juin, juillet et octobre, les mois les plus chauds jamais enregistrés sur la planète. Pourtant, l’inertie politique ne permet aucune amélioration significative, et ce en dépit du doublement des émissions de gaz à effet de serre (GES) depuis 1980 qui ont déjà entraîné une hausse des températures mondiales moyennes d’au moins 0,7 °C. Le réchauffement du globe, ainsi observé, crée les conditions propices à la génération d’incendies intenses tels ceux qui sévissent en Australie depuis le mois de septembre.

En ce début 2020, à l’heure où le feu embrase des hêtres vieux de plus de 3 000 ans dans les forêts subtropicales les plus anciennes du monde, le long de la côte sud-est de l’Australie, des chercheurs de l’université de Sydney estimaient récemment que près de 480 millions de mammifères, oiseaux et reptiles auraient déjà été tués, blessés ou forcés de fuir les flammes. Une estimation revue à la hausse, puisqu’on parle dorénavant d’un milliard d’animaux qui pourraient avoir perdu la vie.

Une sécheresse précoce qui a asséché le bush australien (maquis, brousse, savane sèche) et les forêts, des vents violents et des canicules inhabituelles depuis le mois d’octobre, sont autant de facteurs dus au dérèglement climatique à l’origine de ces incendies dévastateurs. En effet, d’après le Bureau de la météorologie (Bureau of Meteorology), 2019 était à la fois l’année la plus sèche et la plus chaude jamais enregistrée en Australie.

Par rapport à la période 1961-1990, la moyenne nationale des précipitations pour 2019 était de 40 % inférieure et la température moyenne de l’Australie était de 1,52 °C supérieure, dépassant l’ancien record de +1,33 °C en 2013. Le 18 décembre, le pays a connu sa journée la plus chaude avec une température maximale moyenne de 41,9 °C.

Un pouvoir politique insouciant qui semble pris au dépourvu

Pendant ce temps, au milieu des flammes, le gouvernement temporise et le vice-Premier ministre, Michael McCormack, pour qui le changement climatique n’est qu’une préoccupation de « tarés de gauche dans les centres urbains », relativisait la catastrophe en déclarant en novembre : « Nous avons des incendies en Australie depuis la nuit des temps. » Mais, le mécontentement de la population est à son apogée face à un gouvernement qu’elle considère incompétent, voire contre-productif sur ce dossier. Le Premier ministre climatosceptique Scott Morrison devra finalement écourter ses vacances à Hawaï, alors que les fumées toxiques étouffent Sydney où vivent de plus de cinq millions d’habitants, pour aller enfin sur le terrain, le 22 décembre, et rendre visite aux pompiers. Le 4 janvier, il annonce l’appel de 3 000 réservistes de l’armée pour prêter main forte aux pompiers volontaires exténués, dont au moins trois ont perdu la vie en combattant les flammes. Une mesure sans doute bien tardive de la part d’un homme, fervent défenseur de la lucrative industrie minière australienne qui représente 70 % des exportations nationales et 7 % des émissions mondiales de carbone (l’Australie est quatrième producteur et le premier exportateur de charbon au monde).

Un pouvoir politique insouciant qui semble pris au dépourvu. Pourtant, il y a douze ans, une étude indépendante commandée par le gouvernement australien, parue en 2008 et mise à jour en 2011, pointait les émissions de dioxyde de carbone qui, si elles n’étaient pas réduites, auraient des conséquences importantes et coûteuses sur l’agriculture, les infrastructures, la biodiversité et les écosystèmes de l’Australie. Dirigée par l’économiste Ross Garnaut, le rapport visant à évaluer l’impact du changement climatique sur l’économie australienne, alertait : « les saisons des incendies démarreront plus tôt, s’achèveront légèrement plus tard et seront globalement plus intenses. Cet effet va s’accroître au fil du temps, mais il devrait être directement observable dès 2020. » La sentence coupe le souffle tant elle est prémonitoire. Les feux qui sévissent depuis septembre, se sont en effet déclarés un mois avant le début de la saison officielle des incendies en Australie (d’octobre à fin mars). Mais, force est de constater que ce rapport n’a pas eu l’impact espéré pour infléchir la politique du gouvernement en matière de lutte contre le changement climatique. Une superficie de plus de 10 millions d’hectares, soit plus de trois fois la surface de la Belgique a déjà été réduite en cendres tuant au moins27 personnes.

Le printemps social australien s’annonce subversif

Alors qu’à la frontière des États les plus touchés de Nouvelle-Galles du Sud et de Victoria au sud-est du pays, trois feux finissaient par se rejoindre pour se transformer en incendie géant de 600 000 hectares, des milliers de personnes sont descendues dans la rue le 10 janvier pour condamner la gestion catastrophique de cette crise sans précédent et réclamer la démission de Scott Morrison à la tête de la coalition conservatrice au pouvoir.

Déjà, avant ces événements dramatiques, le rapport de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), l’équivalent du GIEC pour la biodiversité, prévenait : « les forêts tropicales abritant une grande biodiversité continuent de décliner et la superficie forestière mondiale représente aujourd’hui environ 68 % de son niveau préindustriel estimé ». Des données qui devront être réactualisées et qui vont donner une flèche supplémentaire à l’arc du mouvement pour une justice climatique. Le printemps social australien s’annonce subversif.

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