« Le droit au froid, c’est le droit des peuples inuits de protéger leur mode de vie face à la menace climatique », Sheila Watt-Cloutier.

Invitée d’honneur au Salon du livre de Montréal, Sheila Watt-Cloutier présentait le 23 novembre dernier une conférence sur le thème : les impacts des changements climatiques sur le mode de vie des Inuits. Madame Watt-Cloutier est l’auteure de « Le droit au froid »(1) (traduction de The Right to Be Cold paru en 2015). Au fils de ses engagements, elle devient un modèle de leadership écologique. Elle a passé sa vie à défendre les droits des Autochtones du Canada, du Groenland, en Russie et en Alaska. Elle est née en 1953 à Kuujjuaq au Nunavik, autrefois appelé Fort Chimo.

Comme le climat se réchauffe, plus les glaces en arctique disparaissent, et plus il y a des impacts sur la vie arctique. Depuis quelques années, la glace ne se reforme plus autour du Pôle Nord pendant l’hiver. Ainsi, la vie des Inuits et de toute la faune nordique est menacée. Le 14 juillet dernier, la température consignée à la base canadienne d’Alert (le point habité le plus au nord de la planète, à 817 km du pôle nord) a battu son record absolu atteignant 21 degrés Celsius, soit 1 degré de plus que le record précédent enregistré le 8 juillet 1956. C’est la température la plus haute jamais relevée au-dessus du 80e parallèle nord.

Images satellites 15 années de changements et fonte des glaces en Arctique

Lors de la conférence, Sheila Watt-Cloutier a expliqué : « Avec le réchauffement climatique, le mode de vie des Inuits, déjà fragilisé par la vie moderne, est davantage menacé. Dans les médias quand on parle de l’arctique, c’est des animaux, on nous dit qu’il faut sauver les phoques et les ours polaires. Vous vous souvenez de la visite du chanteur Paul Macartney et de sa femme, ils avaient dénoncé la chasse au phoque, sans la moindre compréhension de la vie inuite. On parle peu des impacts des changements climatiques sur leur mode de vie. Lorsqu’on vit dans un environnement où il n’y a pas de végétation, il y a de grandes chances qu’on devienne chasseur. Les Inuits sont des chasseurs.»

En 2015, lors de sa visite Paul Macartney et l’organisation Humane Society International (HSI), avaient demandé au gouvernement canadien d’interdire la chasse aux phoques. Les médias ont cités plusieurs fois l’enjeu, mais le gouvernement canadien a finalement refusé de l’interdire. Par conséquent, certains se souviendront de ces images de blanchons qui avaient donné le ton au cours des années 70 à une campagne de dénonciations internationales. Ces images avaient été diffusées dans plusieurs médias et à la télévision. Pourtant, elles n’ont pas été tournées au Nunavut, mais au Sud du Québec et à Terre-Neuve-et-Labrador. L’abattage des blanchons au gourdin a frappé l’imaginaire collectif, mais elle n’a jamais eu lieu sur le territoire des Inuits.

En fait, les communautés d’Inuits ont été totalement ignorées dans le débat sur la chasse au phoque, et leur économie a été presque anéantie par l’interdiction de la vente des produits dérivés du blanchon décrétée par l’Europe dans les années 80. Le gouvernement Canadien s’est adressé à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) en février 2011 pour contester la politique européenne. La Norvège a également porté plainte devant l’organisme. Mais l’OMC a refusé de renverser la décision européenne. L’interdiction est toujours en règle. Face au désastre économique des Inuits, certains groupes écologiques ont fait leur mea culpa dans les années 80’. Greenpeace Canada a présenté des excuses publiques une première fois en 1985 et une seconde fois en 2014.

Aujourd’hui 80% de la population inuit pratique encore la chasse et la pêche.La chasse leur fournit leur alimentation et joue un rôle important dans leur économie, surtout par la vente de la viande et des peaux à d’autres marchés que l’Europe. Récemment, les Inuits ont commencé à considérer la chasse comme un travail à temps partiel, plusieurs d’entre eux sont maintenant salariés dans l’industrie minière, gazière ou encore pétrolière. Le Canada on compte une population de 55.000 Inuit.

« C’est difficile pour les populations du Sud de saisir la situation des Inuits, ils sont détachées. Mais dans le contexte des changements climatiques, l’Arctique est le climatiseur de la planète et les populations en prennent conscience et les médias comprennent mieux la fragilité et l’importance de l’Arctique, » Sheila-Watt-Cloutier.

 

Sheila Watt Cloutier (crédit photo Felix Audette

(photo crédit Felix Audette)

À propos de Sheila Watt-Clouthier (2)

Sheila Watt-Clouthiera vécu selon le mode de vie traditionnel inuit jusqu’à l’âge de dix ans, moment où elle part étudier en Nouvelle-Écosse. Sheila effectue ses études en sociologie et en psychologie à l’université Mc Gill à Montréal. De 1995 jusqu’en 1998, elle est secrétaire exécutif de la Société Makivik, elle écrit Silatunirmut: la voie de la sagesse (Silatunirmut: The Pathway to Wisdom) ainsi que Capturing Spirit: The Inuit Journey, un vidéo sur la vie inuite. Elle est également présidente de la section canadienne de la Conférence circumpolaire Inuit de 1995 à 1998 et porte-parole d’une coalition nordique qui obtient l’interdiction de l’utilisation et de la production de polluants organiques persistants dans l’environnement, particulièrement la chaîne alimentaire nordique.

En 2002, elle devient présidente de la Conférence circumpolaire inuit qu’elle occupe jusqu’en 2006. Le Conseil regroupe aussi les Yupiks de l’Alaska et de la Sibérie. C’est en constatant l’influence de la pollution et du réchauffement climatique sur le mode de vie traditionnel des Inuits qu’elle s’engage dans la lutte écologique. En 2005, elle dépose avec 62 autres Inuits une plainte sous la forme d’un rapport de 167 pages à la Commission interaméricaine des droits de l’homme qui démontre comment les changements climatiques causés par la pollution des gaz à effet de serre causent des préjudices à son peuple. En 2007, elle est conjointement nominée avec Al Gore pour le prix Nobel de la paix par les parlementaires norvégiens Børge Brende (ancien ministre de l’Environnement) et Heidi Sørensen (écologiste).

En octobre 2015, elle reçoit le Prix Nobel alternatif (Right LivelihoodAward) pour son perpétuel travail de protection des Inuits de l’Arctique, et notamment leur droit à conserver ce qui constitue leurs moyens de subsistance et leur culture, gravement menacés par le changement climatique.

(1) Le droit au froid, Sheila Watt-Cloutier, écosociété, 360 p., Montréal, 978-2-89719-478-9

(2) Vidéo tiré du site de la NASA  : 

(3) Biographie tiré du site de l’éditeur Écosociété