Entretien avec Eric Castex, sur la mécanisation de l’exploitation de la forêt des Landes pour répondre à des besoins de rentabilité, ou d’une approche en sylviculture irrégulière et résiliente.

Eric Castex, président du réseau Alter-Landes, a été interviewé à l’occasion de la programmation de « Paysages In Marciac » 2019.

Aujourd’hui on part du constat que notre forêt, on est parti maintenant dans une forêt de production, une production de masse, et cette forêt tend à aller vers des peuplements mono-spécifiques, que l’on installe à grand renfort de machinisme, de jeunes pins issus de pépinières et pour faire ces installations, on détruit les sols, on détruit toute la biodiversité, tous les écosystèmes présents. Cette forêt a une utilité, parce que l’on est demandeur de bois, de produits pour la construction, pour l’emballage, pour la papeterie. Mais au lieu de se servir des sujets, des peuplements présents, on importe de nouvelles essences pour satisfaire nos besoins.

Et moi je suis parti de ce constat, j’ai regardé le sol, cela fait plus de 20 ans que je travaille dans le massif forestier landais, et les insectes et les oiseaux qui petit à petit disparaissaient, tous ces écosystèmes qui partaient… Je me suis posé une question en m’asseyant sur un tronc de chêne, il y a quelques années : comment peut-on faire pousser du vivant sur du mort, sur un sol mort ?

Alors je me suis formé, j’ai rencontré des personnes qui m’ont ouvert les yeux, qui m’ont expliqué que telle plante devait sa dormance parce que ce sol était comme ça, l’autre devait sa dormance parce que le sol était comme ça, mais surtout parce que le sol était vivant. Donc je me suis dit : mes forêts, d’abord je vais les observer, voir comment elles fonctionnent, voir comment elles vivent, ce qui pousse dessus, et puis je vais assortir ma sylviculture à ce vivant qui est présent. Si ça se passe bien, je l’habiterai, et puis si ça ne pousse pas, et moi je suis forestier, j’ai un objectif de production de bois quand même, mais par des petites interventions, j’améliorerai mes peuplement.

Aujourd’hui, il se trouve que ces forêts en mélange d’essences, en sylviculture irrégulière, montrent des accroissements et une productivité assez importante. Pourtant, pour certains, l’association d’un chêne pédonculé avec un pin maritime ne fait pas bon ménage, parce qu’ils se gênent, schématiquement, dans leur progression et dans leur avenir.

Or sur le terrain, on se rend compte que pas du tout. On sait que, maintenant grâce à des travaux scientifiques, les systèmes mycorhiziens, en interaction avec les racines, les systèmes mycorhiziens en synergie entre différentes essences, amènent un mieux et du pouvoir à l’arbre, donc je me dis : je vais travailler là-dessus et voir évoluer cette forêt.

Donc depuis les années 60, la sylviculture a évolué, on a mis en place des nouvelles méthodes pour installer la monoculture et puis en 99 puis en 2009, on a eu des tempêtes assez catastrophiques au niveau des dégâts opposés aux peuplements forestiers, dégâts en partie liés à la mise en culture de ces peuplements : on s’est rendu compte, après la tempête, en étudiant les peuplements qui étaient tombés que, proportionnellement, en volume, ce sont des gros bois qui ont représenté le plus de volume mais en surface, ce sont des petits bois qui sont tombés, donc des bois où la mise en culture avait été différente ; la mise en culture se fait maintenant avec du labour profond, à grand renfort de mécanisation, avec de l’engrais, avec de jeunes plants issus de pépinières dans lesquels dans le godet, il y a quand même des néonicotinoïdes pour les protéger, des engrais, donc c’est de jeunes pins qui sont assez gonflés, la mise en culture fait que on les installe sur des sols qui sont très très meubles.

On est dans les Landes de Gascogne, nos sols sont du podzol, du sable quand même assez souple, et ce jeune pin qui pousse n’a pas besoin de développer de gros pivots racinaires pour se développer, pour aller chercher sa nourriture, parce que, déjà il l’a dans le godet. Il ne va faire que des racines aériennes, pour la plupart et au moindre coup de vent, il n’a pas de stabilité.

Alors, ces vieux peuplements qui avaient été installés dans les années 60, 50/60, souvent c’était de la régénération naturelle, donc c’était issu de graines, et ces graines pour commencer à vivre, il fallait qu’elles développent un pivot. Il fallait qu’elles aillent chercher leur nourriture, elles n’étaient pas dans les mêmes conditions de sol quoi, et donc il y avait une résilience, ces peuplements, ils étaient solides.

Maintenant beaucoup moins. Mais le massif forestier landais a été dédié à deux ou trois produits industriels, donc du caissage, donc des caisses pour le vin, pour tout un tas de petits emballages, de la palette et du papier, donc on n’a pas besoin de faire du bois de qualité. Tout le tissu industriel qui produisait du lambris, du parquet avec nos gros bois de haute qualité en pin maritime, qui faisait du lambris et du parquet de très bonnes factures, a disparu ; le massif forestier landais est maintenant dédié à la palette et au papier, donc la qualité en elle-même, ça n’intéresse pas.

Et puis, il y a aussi une volonté des investisseurs qui achètent des forêts qui ont besoin de rentabilité, ces forêts ne sont plus des forêts, il faut dire les choses comme elles sont. Ce sont une agriculture industrielle de bois pour servir nos desseins. Tout ce qui est biodiversité, tout ce qui est respect des écosystèmes et tout ça, c’est pour la majorité des coopératives, c’est un petit peu de la poésie, quoi !

Or, aujourd’hui on se rend compte que la biodiversité, les écosystèmes face à tous ces changements globaux, qu’ils soient sociétal, qu’ils soient climatiques, qu’ils soient économiques, qu’ils soient démographiques, et bien la forêt, on en a besoin, cette multifonctionnalité de la forêt, l’arbre, c’est quoi ? il fait quoi ? Que fait-il l’arbre ?

En premier lieu, il purifie l’air, il fabrique de l’oxygène, il fabrique de l’eau, et en ces périodes caniculaires, on se rend compte que c’est un super climatiseur aussi, et puis la matière bois c’est quoi en premier lieu, quand tu vois un arbre ? Un arbre, c’est une usine de recyclage, de recyclage de l’air, puisque lui, il stocke, il capte le CO2, il le transforme, on peut dire que, tout ce qu’il a autour de lui, lui, il n’est que carbone, beaucoup de carbone, donc comment on pourrait se passer d’une usine de ce type, en la coupant ? Elle est gratuite, on n’a pas besoin de la construire, elle est là pour notre bien. Et on a décidé de s’en séparer.

Alors moi j’ai créé une jeune association qui s’appelle Alter-Landes, cette association qui comporte un comité d’éthique, avec un expert forestier, une herboriste, un botaniste, un vieux propriétaire qui a toujours fait du conventionnel, maintenant qui se pose des questions concernant ses propriétés en conventionnel : (…) chaque fois qu’il y a un coup de vent, elles tombent alors que chez monsieur Castex – il nettoie beaucoup moins, il mélange les essences, et tout tient en place, et tout ça, donc, j’ai créé cette association pour faire passer des messages et créer des liens entre les différents acteurs ou les différentes personnes qui cherchent à comprendre aussi bien en agriculture qu’en élevage, qu’en foresterie, comment aller mieux et se sentir mieux, parce que, j’en reviens à la multifonctionnalité : Quel plaisir d’aller se promener dans une forêt multi-essence, dans laquelle on rentre spontanément ! (Tandis) que dans une forêt monospécifique, on n’a pas envie d’y passer, tu n’as pas envie d’y entrer, et donc dans ces forêts, il se passe plein de choses assez intéressantes.

Et moi dans mon cheminement professionnel, il y a quelques années, et j’y travaille toujours, mais il y a quelques années, j’ai travaillé sur une problématique concernant les prairies inondables, en bord de ruisseau, des grosses haies d’aulnes qui sont là pour protéger ces prairies, pour faire vivre une biodiversité et j’ai travaillé avec une petite fleur, qui s’appelle la succise des prés.

La succise des prés, elle est l’hôte d’un papillon qui s’appelle le damier de la succise et ce papillon, il vient pondre ses œufs dans cette plante. Pendant la première partie de leur vie, ces œufs mangent la lignine de la plante, se transforment en chenilles et puis lorsque la chenille n’a plus rien à manger, elle sécrète des phéromones qui font penser aux fourmis, et les fourmis qui sont là se disent : mais on a une de nos congénères qui est là et qui n’a pas à faire là. Il faut la ramener à la fourmilière.

Et donc les fourmis prennent la chenille, l’amènent dans la fourmilière, la nourrissent et puis quand la chenille voit qu’elle va arriver, qu’elle a besoin de sortir pour aller faire sa chrysalide , elle choisit son moment et s’en va vite fait avant d’être mangée par les fourmis, et elle s’en va un petit peu plus loin faire sa chrysalide, finir cette étape là et puis après sortir en papillon, et je trouve cette histoire très intéressante, c’est pas la seule, beaucoup… toutes les plantes sont inféodées avec un insecte, on pense souvent aux abeilles mais il n’y a pas que les abeilles comme insectes pollinisateurs, en tout cas il y a cette connivence, et tout ça pour dire que moi je pense que tout fait un, et que si on enlève un élément, les bugs arrivent, et je crois qu’on est en train d’arriver dans certains bugs et on en a conscience et on sait qu’il faut aller rapidement maintenant pour corriger ce bug et grâce aux nouveaux informaticiens, on va aller très, très vite, je suis optimiste en tout cas (…)

Je suis Eric, je suis forestier et gestionnaire forestier au cœur du massif forestier landais, depuis vingt ans maintenant, et petit à petit ma sensibilité s’est approchée du vivant. Donc moi je me suis formé aussi bien sur la partie gestion forestière mais pas la gestion de masse d’un peuplement en masse mais de la gestion d’arbres, savoir l’arbre, qui il est, dans son groupe d’arbres qui il est, puisque on a souvent dans les groupes d’arbres un protecteur, un éducateur, un semencier, un arbre sénescent, cette notion d’arbres qui m’a amené petit à petit vers le vivant, et le vivant ou le sol, c’est pas comme on a l’habitude de dire, et de voir, le sol c’est la strate supérieure, non ! Le sol ça commence en dessous et tout part de là, et le vivant doit commencer en dessous, et si on ne fait pas attention à ce vivant, c’est compliqué de faire pousser du vivant sur du mort, et moi je préfère faire pousser du vivant sur du vivant.

Remerciements au réseau « Paysage In Marciac », à Eric Castex pour sa disponibilité, et à Marguerite pour sa transcription.

Crédits Photo / Vidéo : Xavier Foreau

 

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