Entretien avec M. Ernst Zürcher, le 07 juillet 2019, à l’occasion d’une journée artistique en forêt des Arbailles dans le cadre du mouvement Back To The Trees.

Dans ce second opus, M. Zürcher traite de la Longévité des arbres et de leur Résilience.

Monsieur Ernst Zürcher, ingénieur forestier PFFZ, professeur en Sciences du Bois est l’auteur du livre « Les Arbres, entre visible et invisible » (Actes Sud).

Crédits Photo / Vidéo : Xavier Foreau

Transcription de l’Entretien :

Pressenza : Quel enseignement peut-on tirer de la longévité des arbres par rapport à la frénésie des hommes ?

Ernst Zürcher : J’aime bien cette pensée que les arbres sont souverains par rapport au temps, sont les maîtres du temps, le temps qui passe.

Vieillir pour les arbres ce n’est pas un problème. Vieillir, plus un arbre est capable de vieillir, capable de tenir le coup, plus en fait il s’est enrichi de solutions de réussite parce qu’il a traversé des ravageurs, traversé des maladies, des attaques microbiennes, pas tellement les bactéries plus tous les champignons, et chaque fois, s’il est encore en vie, il réussit à les surmonter.

Donc il a quelque part les antidotes, il a les anticorps.

Il s’est développé un système immunitaire, avec toute une flore. Un arbre creux est très riche en flore microbienne et c’est très important de respecter ces anciens qui ont des solutions de facilité dans leur matière physique, organique.

Et c’est important d’avoir une foresterie où l’on respecte quelques arbres anciens qui vivent encore, et pas seulement les arbres morts : c’est des arbres vieux qu’on laisse finir vraiment jusqu’au bout de leur vie naturelle, comme source de santé pour la forêt.

C’est quelque part le système immunitaire de la forêt qui continue de vivre.

Si chaque fois vous rasez la forêt en prétendant remettre une forêt en place, cette forêt commence à 0 et le pire c’est de remettre une forêt en place d’une seule espèce.

Une plantation mono-spécifique, ça ne peut pas marcher.

Il n’y a plus ces interactions entre arbres, il n’y a plus ces mémoires des anciens qui sont transmises aux jeunes parce que la flore microbienne des champignons est ensuite omniprésente.

Ces arbres anciens développent aussi l’ionisation, une charge électrique de l’air qu’on n’a plus lorsqu’on a coupé la forêt. Lorsque la forêt est dévastée, il n’y a plus de qualité ionique particulière.

Donc là, on est en train de montrer à quel point c’est important de gérer les forêts en maintenant leurs structures naturelles, et leur diversité en espèces, mais aussi leur structure en âge, et garder toutes les générations.

Le gros des forêts naturellement produira du bois, mais il y a une génération à laquelle on ne touchera pas, et c’est là la possibilité d’avoir un autre rapport au temps lorsque on a des forêts où les arbres vont pouvoir traverser les siècles.

Là, c’est les arbres qui sont calmes, vue de manière anthropomorphique, c’est des arbres qui n’ont aucun souci à se faire, même lorsque la tronçonneuse s’approche parce qu’on aura décidé de les garder. Et cette décision devrait avoir lieu ensemble avec la société civile parce que les gens sont parfois très attachés à des arbres, et ce serait très facile pour les forestiers de dire « cet arbre d’accord on vous le garde, celui-ci aussi » et il y aurait un réseau d’arbres, on pourrait dire d’arbres sacrés, d’arbres intangibles, qu’on garde pour des buts autres qu’utilitaires, mais qui sont d’un côté aussi des retombées possibles positives pour la santé de la forêt.

Mais là on aura une nouvelle connexion de la foresterie qui a parfois des méthodes qui choquent les gens et la société civile, où ensemble on déciderait de la forme de la forêt.

Pressenza : Quel est le rôle de la compétition, et que signifie la compétition par rapport aux partenariats ?

Ernst Zürcher : Regardons les systèmes naturels les plus résilients, les plus abouties qui sont arrivées jusqu’à chez nous jusqu’à maintenant 300 millions d’années d’évolution : donc ces systèmes forestiers.

En principe, c’est très rarement des peuplements purs. Plus le système est complexe, plus c’est mélangé en l’espèce, surtout les forêts tropicales, et là c’est extrêmement intéressant parce que les essences sont en synergie, elles s’entraident mutuellement.

Un exemple très simple c’est l’une des dernières forêts primaires d’Europe.

C’est la forêt de Bialowieza, entre la Pologne et la Biélorussie. Il y a les derniers bisons.

C’est une forêt très complexe, très ancienne, avec souvent le chêne mélangé ou le tilleul.

C’est en basse altitude continental, de chaleur en été, ce qui convient aux tilleuls et aux chênes aussi.

Et bien, un institut de botanique appliquée de Minsk, en Biélorussie, a compris ça, et il s’est posé la question face à ces forêts : pourquoi mélanger ce qu’elle ne ferait pas plus simple (NDE : de faire de la monoculture).

Alors ils ont fait une expérimentation, ils ont planté des arbres à un espacement donné, peuplement pur chênes, peuplement pur tilleuls, et avec les mêmes espacements, mélange chênes et tilleuls.

Donc chacun avait toujours la même surface à disposition, ils ont vu comment poussait le peuplement pur de chêne, et après un certain nombre d’années ils ont pris ça comme référence 100 %.

Ils ont vu comment poussée la forêt de tilleul pur, après ils ont pris ça comme référence 100 %, la même hauteur parce que chacun à sa manière

Ils ont regardé la forêt mélangée tilleul et chêne, et bien les chênes dans le mélange avaient 123 % de hauteur et les tilleuls dans la forêt avaient 132 %.

Si c’était la même surface à disposition pour chacun, pourquoi ces pourcentages différents ? Parce qu’il faut penser chimiquement. Chaque arbre avait un autre feuillage, d’autres litières, une autre formation des sols ; ils ont besoin d’autres éléments nutritifs, d’autres éléments tracés. Et ce que fait l’un profite à l’autre et inversement.

Lorsque l’on isole les arbres, on isole des solutions de vitalité.

Je compare ça un peu à la manière de manger la salade ou bien de ne surtout pas la manger.

Lorsqu’on fait dans une forêt un peuplement, comme si l’on voulait manger d’abord toute la verdure, et ensuite on boit le vinaigre, ensuite on boit l’huile et puis ensuite on mange le sel… donc la bonne salade qui fait du bien c’est le mélange, la forêt c’est un peu comme ça.

Et maintenant, une fois que l’on comprend ça, l’on comprend que ces forêts artificielles qui prennent la place de forêts naturelles qu’on a coupé pour les remplacer par des monocultures, on remplace ce système de synergies et de partenariat extrêmement efficace qui a traversé des millions d’années d’adaptation et de co-évolution, par un système que la nature ne veut pas, ou n’a lieu que la compétition. Ce sont tous des arbres de la même espèce, ils ont tous les racines de la même dimension, ils ont tous le même âge, donc l’implantation ; ils ont tous les racines au même niveau, à se battre pour les mêmes substances minérales.

C’est des arbres qui sont carencés par le programme, ils sont programmés de cette manière, avec cette manière de pousser pour être carencés dès le début. C’est pour ça que la qualité du bois est moindre, avec des arbres comme ça. Lorsqu’ils sortent d’une forêt mixte, la résistance aux champignons est bien moindre parce que ces bois n’ont pas eu toutes les substances dont ils auraient eu besoin.

C’est comme les animaux produits industriellement, il faut des antibiotiques, il faut tout arsenal de béquille chimique pour maintenir les animaux à peu près en santé.

C’est la même chose pour la forêt : lorsqu’on arrête le mélange naturel, ces peuplements artificiels à outrance ne sont pas faits pour fonctionner longtemps

Je ne veux pas dire que le peuplement à l’état pur soit un grand problème. Pour l’agriculture l’on change chaque année en principe la culture, donc là, vous équilibrez les dégâts et il faudrait mettre tout ça dans un maillage naturel, dans des bocages naturels compatibles aux machines aussi actuellement.

C’est ce que veut faire l’agroforesterie.

Pour les forêts, c’est quand même un problème plus grand, parce que notre peuplement, il est là pour 50 ans. S’il est carencé pendant 50 ans, il va y avoir pas mal d’attaques. Il n’y a pas la récolte à la fin de la première année déjà.

Donc là, il faut vraiment réfléchir, et si des gens ont fait des peuplements purs, il faut que ce soit à très petite échelle, enveloppés dans beaucoup de forêts naturelles, très saines, qui alimentent donc les arbres, chimiquement et même électriquement.

Voilà ce qu’on peut dire de la compétition et maintenant qu’est-ce que ça signifie pour nous ?

Ça commençait dans les écoles, on met les élèves en compétition pour avoir la meilleure note en jouant des coudes, en fait, on apprend beaucoup plus facile ou beaucoup plus rapidement lorsque l’enseignant par exemple, ou demande en tant qu’élève de transmettre le savoir à des plus jeunes

C’est ce qu’on faisait dans notre école, il y avait des degrés inférieures, degrés moyens, degrés supérieurs. Le degré moyen devait aider à apprendre à lire et à écrire aux degrés inférieurs et les degrés supérieurs aider à calculer à des moyens. Une situation avec différents élèves, il y avait toutes, toutes les âges.

C’était la mise en pratique, non pas de la concurrence mais de la synergie, de l’entraide, et naturellement celui qui avait dû expliquer comment faire une équation à deux inconnues, et qui ne savait pas encore… ou bien l’on sait expliquer on bien l’on ne sait pas.

Mais une fois qu’il aura su expliquer, il aura assimilé de manière absolue, c’est bien meilleur que de devoir apprendre pour soi.

Apprendre pour les autres, c’est quelque chose d’intéressant que l’on pratique.

 

Un grand merci à Patricia et José sans qui l’entretien dans cette forêt magique du Pays Basque n’aurait pu être possible.

 

Liens aux Entretiens avec Monsieur Ernst Zürcher :

1ère partie : les Arbres, les Hommes et le Cosmos
2ème partie : Les Arbres, leur Longévité et Résilience

3ème partie : Arbres Sacrés et Spiritualité vécue par les Hommes
4ème partie : Les Arbres et les Actions pour protéger le Vivant
5ème partie : Message à la jeune génération [sur les Arbres, la Forêt, et « Qui nous sommes vraiment »]

 

Liens vers quelques un des contributeurs de la journée :

Revue HAU :http://hau.eklablog.com/
Angeli Primitivi :https://angeliprimitivi.weebly.com/
Arbrassons, sculpture sonore à caresses sur bois : https://joselepiez.wixsite.com/pulsar/emotional
Donatien Garnier, poésie contemporaine :http://arbre-integral.net/
Back To The Trees :http://www.backtothetrees.net/fr/