Par Olivier Bonfond pour  le CADTM, Comité pour l’abolition des dettes illégitimes

Depuis quelques semaines, le mouvement des Gilets Jaunes a remis sur le devant de la scène la question des référendums. En France, le référendum d’initiative citoyenne (RIC) est réclamé sur de plus en plus de ronds-points. En Belgique, l’intégration du référendum dans la constitution est également une revendication qui prend de l’importance. Le 25 novembre 2018, dans l’émission C’est pas tous les jours dimanche sur RTL TVI, Stéphanie Servais, gilet jaune de Wandre, a défendu la nécessité de pouvoir sanctionner les représentants politiques qui ne respectent pas leurs engagements via le référendum révocatoire. Le référendum ne constitue pas une solution miracle. Il doit se combiner avec une série d’autres mesures visant à renforcer la démocratie [1]. Mais les Gilets Jaunes ont raison : le référendum peut constituer un élément positif pour avancer vers une démocratie digne de ce nom.

Un outil de démocratie directe à mettre en œuvre intelligemment

En permettant aux citoyen-ne-s de s’impliquer et se positionner sur des enjeux importants, le référendum populaire peut être un outil important de démocratie directe. Au-delà de l’organisation de débats publics et démocratiques, le peuple doit pouvoir directement se prononcer sur toute une série de questions. Bien sûr, il n’est pas envisageable de faire des référendums pour toutes les décisions (d’où l’intérêt d’avoir un régime représentatif efficace). Cependant, pour les décisions qui sortent du mandat qui a été confié aux représentants et qui ont des conséquences importantes et durables sur la vie des gens, un référendum peut se justifier, qu’il soit d’initiative populaire ou convoqué par les mandataires politiques en place.

Selon ses pourfendeurs, le référendum serait dangereux car la population ne serait pas suffisamment éduquée. Consulter le peuple sans lui avoir fourni les outils nécessaires à la compréhension des enjeux, c’est effectivement prendre le risque de favoriser l’irrationnel et le simplisme. Mais il est important de ne jamais envisager les alternatives de manière isolée. Afin de permettre aux citoyens et citoyennes de se positionner en connaissance de cause, organiser un référendum nécessite un débat public argumenté et approfondi, et donc du temps. Dans certaines situations, des référendums peuvent s’organiser relativement vite. La Grèce nous fournit un bon exemple. Le 27 juin 2015, Alexis Tsipras annonçait un référendum pour le 5 juillet, soit un délai d’une semaine. Ce référendum s’est pourtant très bien organisé et la participation fut très forte (62,5 %). Dans tous les cas, refuser le référendum en utilisant l’argument d’immaturité du peuple revient en réalité à refuser le principe même de démocratie et de citoyenneté participatives, et dès lors refuser la démocratie elle-même (même si le peuple a tort, n’est-ce pas à lui de décider ?). C’est aussi nier qu’un référendum constitue justement une occasion d’informer la population, et de l’impliquer dans la gestion de la Cité.

Le référendum pose plusieurs autres problèmes auxquels il faut être attentif. Une question fermée (réponse par oui/non ou pour/contre) n’est pas sans danger pour les questions complexes. La formulation de la question (ou ce qu’elle implique de manière implicite) est également importante et peut influencer fortement la réponse des sondés. De plus, il ne s’agit pas de permettre de faire des référendums sur tout et n’importe quoi. Comme le souligne le CRISP [2], il n’est pas rare que la constitution ou la loi interdise d’organiser un référendum sur certains sujets (comme par exemple la peine de mort ou les droits humains fondamentaux) parce que trop fondamentaux pour être mis en jeu ou susceptibles de provoquer des controverses trop importantes.

Est-ce trop demander de respecter la volonté populaire ?

Par ailleurs, c’est bien beau de demander l’avis au peuple, encore faut-il que cet avis soit respecté a posteriori. Or, trop souvent, les gouvernements ne se gênent pas pour passer outre la volonté du peuple.

UE : « NON » N’EST PAS UNE BONNE RÉPONSE

Les dirigeants ont en général peur de l’avis du peuple

Même si, comme on le voit dans le tableau précédent, nos dirigeants se permettent de contourner la volonté populaire, on constate néanmoins que la plupart des institutions et dirigeants européens supportent très mal que les peuples donnent leur avis par voie référendaire. En octobre 2011, après avoir saigné son peuple aux quatre veines, le Premier ministre grec George Papandreou, sous pression, propose d’organiser un référendum populaire sur l’application ou non d’un deuxième plan d’ajustement structurel. Cette seule proposition a suffi pour que celui qui était jusqu’alors soutenu par la finance et la Troïka soit considéré comme fou, que l’on crie au scandale et à la rupture de la « solidarité » européenne. Trois jours plus tard, il était invité à démissionner par le G8 qui obtenait gain de cause. En juillet 2015, après cinq mois de négociations avec ses créanciers, le Premier ministre Alexis Tsipras décide d’organiser un référendum pour vérifier si le peuple accepte un troisième plan de « sauvetage ». Les « partenaires » européens jugent immédiatement très durement la décision de s’en remettre au peuple, et plusieurs tentatives sont faites pour contraindre Tsipras à renoncer. Malgré la propagande massive des institutions européennes [3] et de tous les médias privés en faveur du oui, tant au niveau national qu’international, le peuple grec s’est prononcé de manière très claire en disant « oxi » (non en grec) à la poursuite des politiques d’austérité. Malheureusement, quelques jours plus tard, Tsipras cédait au chantage des créanciers contre l’avis du comité central de son parti et en contradiction totale avec le résultat du référendum…

Référendum en Italie contre la marchandisation de l’eau : une double victoire

Les 12 et 13 juin 2011, le peuple italien a voté « non » (à 95%) par référendum à la marchandisation de l’eau. Ce référendum populaire est né de l’initiative de nombreux mouvements sociaux et comités citoyens pour l’eau publique, qui se sont organisés pour récolter les signatures nécessaires pour imposer un référendum sur le retrait de la loi du gouvernement Berlusconi visant la privatisation du secteur de l’eau. La constitution italienne prévoit en effet que pour proposer un référendum abrogatif, il est nécessaire de recueillir 500.000 signatures. En moins de trois mois, ces comités ont recueilli 1,4 million de signatures. En réussissant,
via des conférences, des débats, des forums, des fêtes, à créer un véritable débat national et à faire comprendre au peuple italien l’importance de s’impliquer et
de se prononcer sur cette question, ce référendum constitue tout autant une victoire contre la marchandisation de l’eau que pour la démocratie participative.

Renforcer la révocabilité des élus via le référendum révocatoire

Le caractère irrévocable des mandats signifie que tout dirigeant politique, une fois élu, n’a plus de comptes à rendre jusqu’aux prochaines élections. Comme l’explique Cornélius Castoriadis : « Dire que quelqu’un va me représenter pendant cinq ans de manière irrévocable signifie implicitement que je me défais de ma souveraineté au profit de cet élu » [4].

Il est tout à fait normal qu’un élu qui ne respecte pas ses engagements vis-à-vis du peuple puisse être démis de ses fonctions, tant par le parti dont il est membre que par ses électeurs. La non révocabilité des élus est profondément antidémocratique. 
 
Une des manières de résoudre ce problème est d’appliquer le principe du référendum révocatoire. Il s’agit de donner la possibilité au peuple de convoquer, sur base d’un nombre déterminé de signatures, un référendum qui se prononce sur le travail réalisé par le représentant concerné. Soit le « oui » l’emporte, et le représentant est révoqué, soit le « non » l’emporte, et le représentant peut continuer son mandat.

Plus largement, il s’agit de poursuivre et sanctionner les représentants politiques qui ne respectent pas la loi. Dans de nombreux pays, des sanctions sont prévues pour les responsables politiques qui ont des comportements répréhensibles : abus de pouvoir ou de biens publics, infractions, mépris des règles ou principes de bonne gestion, fraude, népotisme, etc. En plus de sanctions pénales, ils peuvent perdre leur éligibilité et la faculté d’occuper une fonction publique. Malheureusement, il existe une fois de plus un gouffre entre ce qui est prévu par la loi et ce qui se passe dans la réalité. Les responsables politiques soupçonnés de fraude arrivent souvent à passer au travers des mailles du filet de la justice. Les procédures aboutissant à un jugement peuvent durer plus de dix ans. La levée de l’immunité relève en général de l’impossible. Et lorsqu’ils sont tout de même condamnés, ils arrivent souvent à ne pas être inquiétés et à continuer à exercer des mandats publics importants. Comment espérer que les dirigeants politiques soient réellement incités à se comporter de manière responsable s’ils savent pertinemment que leurs abus ou trahisons resteront impunis ?

 

Notes

[1Dans le chapitre 15 de mon livre Il Faut Tuer TINA, 200 propositions pour rompre avec le fatalisme et changer le monde (Cerisier, 2017), je développe 27 propositions pour renforcer la démocratie.

[2CRISP : Centre de recherche et d’information sociopolitiques (Bruxelles).

[3Jean-Claude Juncker ira même jusqu’à faire une déclaration d’une rare intelligence : « Quelle que soit la question, il faut voter oui ». Source : STROOBANTS Jean-Pierre, « Pour Juncker, un non des Grecs au référendum serait un non à l’Europe », Le Monde, 29 juin 2015.

[4CASTORIADIS Cornélius dans l’émission radiophonique « Là-bas si j’y suis », disponible sur www.la-bas.org

Auteur

Olivier Bonfond est économiste et conseiller au CEPAG (Centre d’Éducation populaire André Genot). Militant altermondialiste, membre du CADTM, de la plateforme d’audit citoyen de la dette en Belgique (ACiDe) et de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015.
Il est l’auteur du livre Et si on arrêtait de payer ? 10 questions / réponses sur la dette publique belge et les alternatives à l’austérité(Aden, 2012) et Il faut tuer TINA. 200 propositions pour rompre avec le fatalisme et changer le monde (Le Cerisier, fev 2017). Il est également coordinateur du site Bonnes nouvelles

L’article original est accessible ici