L’équipe Pressenza s’est rendue récemment à l’exposition « MEMORIA. Photographies de James Nachtwey » qui a lieu à la Maison Européenne de la Photographie à Paris du 30.05.2018 au 29.07.2018. Il s’agit de la plus grande rétrospective jamais dédiée au travail de ce grand photographe qui a dédié sa vie à couvrir des sujets sociaux à travers le monde toujours avec le même dévouement.

Son travail est d’une force incroyable. Ses clichés ne laissent personne indifférent. En observant les réactions des visiteurs de l’exposition, on pouvait lire des émotions fortes, qui sans aucun doute permettent de renforcer le niveau d’empathie pour tous ceux qui souffrent dans le monde.

Bosnie-Herzégovine, Mostar, 1993 © James Nachtwey Archive, Hood Museum of Art, Dartmouth
Une chambre transformée en terrain de guerre par un milicien croate tirant sur des cibles musulmanes.

Pour plus d’information sur cette exposition et sur le photographe James Nachtwey, nous partageons le dossier de presse préparé avec soin par les équipes de la Maison Européenne de la Photographie :

Réalisée en étroite collaboration avec James Nachtwey et Roberto Koch, cette exposition est la plus grande rétrospective jamais dédiée au travail du photographe. À travers son regard personnel, elle propose une remarquable réflexion sur le thème de la guerre, dont la portée est nécessairement collective. Dix-sept sections différentes constituent le parcours de l’exposition, formant un ensemble de près de deux cents photographies.

Elles offrent un vaste panorama des reportages les plus significatifs de James Nachtwey : Le Salvador, les Territoires palestiniens, l’Indonésie, le Japon, la Roumanie, la Somalie, le Soudan, le Rwanda, l’Irak, l’Afghanistan, le Népal, les États-Unis avec entre autres un témoignage singulier des attentats du 11 septembre, ainsi que de nombreux autres pays. L’exposition s’achève sur un reportage traitant de l’immigration en Europe, aujourd’hui plus que jamais d’actualité.

Elle rassemble ainsi les photographies de celui que l’on peut considérer comme le photo-reporter le plus prolifique de ces dernières décennies, un observateur exceptionnel de notre monde contemporain et probablement l’un de ses témoins les plus clairvoyants.

James Nachtwey, dont la carrière est jalonnée par de nombreux prix et récompenses dans des domaines variés, est mondialement reconnu comme l’héritier de Robert Capa. Sa force morale et ses engagements sociaux et civils l’ont mené à consacrer sa vie entière à la photographie documentaire. Il saisit les conditions les plus extrêmes de la vie humaine – qui ne prennent que trop souvent les formes d’un enfer terrestre – se faisant ainsi le témoin épique de la cruauté de la guerre. Il n’a de cesse de photographier la douleur, l’injustice, la violence et la mort. Mais pour que jamais ne soient oubliées la souffrance et la solitude humaines, il crée des images d’une beauté vertigineuse, impeccablement cadrées et éclairées, et aux effets quasi cinématographiques. L’extraordinaire beauté et l’infinie tendresse qui en émanent sont autant de moyens de lutter et de résister.

Dans une posture toujours de compassion, il saisit des scènes et des contextes variés : en Bosnie, à Mostar, où un tireur d’élite vise à travers une fenêtre, la famine au Darfour, les malades de la tuberculose ou bien encore les terribles effets de l’agent orange au Vietnam.

Parmi ses images les plus emblématiques, on pense immédiatement à celle qui représente un jeune garçon rwandais, survivant d’un camp de concentration hutu, le visage balafré. Viennent également en tête les photographies de la deuxième Intifada en Cisjordanie, où Nachtwey était alors en première ligne. Il dépeint la guerre depuis 40 ans, montrant sans détour le sort des populations qui en font la terrible expérience. Comme le 11 septembre 2001, lorsque la guerre l’atteignit « chez lui », sur le sol américain, lors de l’attentat des tours jumelles, suivi par la guerre en Irak et en Afghanistan.

Les images de James Nachtwey révèlent une humanité mutilée par la violence, dévastée par les maladies et la faim, une humanité qui, par nature, semble se fourvoyer.

« J’ai voulu devenir photographe pour saisir la guerre. Mais j’étais poussé par le sentiment inhérent qu’une image qui dévoilerait sans détour le vrai visage d’un conflit se trouverait être, par définition, une photographie anti-guerre ». James Nachtwey

 

James Nachtwey. Le devoir de mémoire

« La mémoire est la chose la plus essentielle que nous ayons pour imaginer le futur et prévenir des erreurs du passé ». À travers ses photographies et ses paroles, James Nachtwey nous rappelle ainsi que si nous sommes incapables de nous souvenir du passé, nous serons condamnés à sa perpétuelle répétition. Depuis près de quarante ans, James Nachtwey photographie la douleur, l’injustice, la violence et la mort. Cette mort si particulière qui ne connaît ni la plénitude de la vieillesse ni la chaleur des êtres chers, mais qui a les yeux d’un enfant, les mains émaciées d’une femme ou le visage d’un homme que la pauvreté a ravagé. Ce qui le fait tenir, coûte que coûte, au sein de cette “communauté affligée” que forme notre condition humaine, dans ce tourbillon “d’éternelle douleur”, c’est cette conviction infaillible que le photojournalisme, dans ce qu’il a de plus abouti, peut encore influencer l’opinion publique, comme les premiers jalons d’un livre d’histoire qui resterait à écrire.

Né à Syracuse dans l’État de New York en 1948, James Nachtwey grandit dans les années 1960. Ses yeux s’inondent des images de la guerre du Vietnam et des marches pour les droits civiques. Rapidement, il sent combien il est important de témoigner et, à travers son propre travail, il s’engage dès lors à combattre l’hypocrisie, celle qui si souvent nous fait détourner notre regard, tout autant que notre conscience. Le reportage réalisé en Roumanie, qui suit la chute du mur de Berlin puis l’effondrement de l’URSS, marque un point de non-retour. Des portes commencent à s’ouvrir. Comme celles d’un enfer terrestre, un orphelinat où un dramatique crime contre l’humanité venait d’être commis.

L’insupportable réalité le bouleversa jusqu’à la moelle : “Je voulais m’enfuir, je ne voulais pas regarder plus loin. Mais c’était devenu un test. Devais-je me dérober ou bien assumer l’entière responsabilité d’être là, avec mon appareil photographique ?”

Ces regards paniqués, saisis en gros plan, se succèdent comme autant de cercles infernaux : celui par exemple de la famine en Somalie, “où la privation de nourriture est utilisée comme une arme de destruction massive et où, depuis le milieu de l’année 1992, les épidémies et la faim ont causé la mort de plus de 200 000 personnes”. Le Soudan également, dévasté par la guerre et la famine, ainsi que la Bosnie en 1993, le Rwanda en 1994, le Zaïre ou bien encore la Tchétchénie.

L’objectif de James Nachtwey vise aussi la pauvreté en Inde et en Indonésie, le fléau du sida, de la drogue ou de la tuberculose, mais aussi les actes d’amour des proches qui restent au chevet des malades. Puis vient le 11 septembre 2001. La guerre, qui n’avait pas touché la partie plus riche du globe depuis soixante ans, retourne à l’Ouest. Cette histoire marque un nouveau tournant. Nachtwey documente les guerres qui s’ensuivent en Afghanistan, en Irak, et qui rappellent amèrement les erreurs du passé.

New York, 2001 © James Nachtwey Archive, Hood Museum of Art, Dartmouth

Sa compassion lui inspire un sentiment indéfectible d’empathie envers ceux qui souffrent, des populations traumatisées par les tremblements de terre, comme au Népal, en Haïti ou au Japon, et par le tsunami qui frappe l’Indonésie. Puis il côtoie la terrible tragédie contemporaine des migrants en Europe, chez nous, où des centaines de milliers de personnes sont obligées de fuir pour essayer de survivre dans un ailleurs qu’ils imaginent terre d’espoir et d’accueil.

Nachtwey écrit : “Mon travail photographique est fondamentalement lié à l’instinct humain, celui qui l’emporte lorsque les règles de la civilisation et de la socialisation volent en éclat. À ce moment-là, la loi de la jungle prend le dessus. Violence et revendications territoriales s’imposent alors, charriant avec elles leur lot de cruauté, de terreur et de souffrance, mais aussi un esprit de survie ancestral. C’est un mécanisme sombre et terrifiant, et je tente à travers mon travail d’y apporter une part de spiritualité. Essentiellement de la compassion.” 

Un regard compassionnel est un regard de connaissance, de conscience et de mémoire : le seul antidote possible contre cette obscure étendue, ce cœur des ténèbres qui prend sa charge horrifique à l’aune de ce dont tout l’homme est capable. Nous regardons les images de Nachtwey et nous le savons désormais : nous ne pouvons plus jamais oublier. »

Roberto Koch, Co-commissaire de l’exposition

 

Biographie

James Nachtwey est né en 1948 à Syracuse dans l’État de New York (USA). Il étudie l’histoire de l’art et les sciences politiques au Dartmouth College de 1966 à 1970. En 1976, il travaille comme photo-reporter pour un journal au Nouveau-Mexique puis, en 1980, il s’installe à New York en tant que photographe indépendant pour différents magazines.

C’est à partir de 1981 que James Nachtwey va se consacrer pleinement à photographier la guerre et les troubles sociaux majeurs. Il couvre les conflits dans le monde entier, convaincu que la sensibilisation du public demeure essentielle pour provoquer le changement, et que les photographies de guerre diffusées par les médias peuvent déclencher une réelle prise de conscience pour agir en faveur de la paix. En Europe, il documente l’éclatement de l’ex-Yougoslavie, la guerre en Tchétchénie et les troubles civils en Irlande du Nord. En Afrique, il photographie le génocide au Rwanda, la famine qui devient une « arme de destruction massive » en Somalie et au Soudan et la lutte pour l’émancipation en Afrique du Sud.

Il documente les guerres civiles qui engloutissent l’Amérique centrale dans les années 1980, du Salvador au Nicaragua en passant par le Guatemala, ainsi que l’invasion du Panama par les États-Unis. Au Moyen-Orient, il couvre le conflit israélo-palestinien depuis plus de vingt ans ainsi que les guerres civiles au Liban et, plus récemment, la guerre en Irak, où il est blessé par l’explosion d’une grenade. Il commence à travailler en Afghanistan pendant les années 1980, photographiant la résistance face à l’occupation soviétique, puis la guerre civile afghane et l’offensive contre les Talibans en 2001. En 2010, il photographie les combats militaires américains dans le Helmand, province du sud de l’Afghanistan.

Ailleurs, en Asie, il documente la guérilla au combat au Sri Lanka et aux Philippines ainsi que la répression militaire sanglante contre des manifestants à Bangkok en 2010. Il a récemment témoigné de la crise des réfugiés en Europe, du tremblement de terre au Népal et de la « guerre contre la drogue » extrajudiciaire aux Philippines. James Nachtwey couvre les sujets sociaux à travers le monde avec un dévouement toujours égal. Les sans-abris, la toxicomanie, la pauvreté ou bien encore le crime et la pollution industrielle se trouvent parmi les principaux sujets qu’il a largement photographiés. Depuis le début des années 2000, il porte un grand intérêt aux questions de santé à travers le monde, notamment dans les pays en développement, attestant ainsi du ravage des maladies dont les effets dévastateurs touchent un plus grand nombre de personnes que la guerre. En 2007, il reçoit le prix TED pour sa campagne mondiale de sensibilisation à la Tuberculose, fondée sur sa croyance que la prise de conscience collective peut encourager la recherche, faciliter le financement, mobiliser les donateurs et motiver la volonté politique.

De nombreuses distinctions sont venues couronner sa carrière de photojournaliste, mais aussi pour récompenser ses contributions à l’art et aux causes humanitaires. En 2001, il reçoit le Common Wealth Award. En 2003, il reçoit le prix Dan David et, en 2007, le Heinz Family Foundation Award. En 2012, il est lauréat du Prix de la Paix de la ville de Dresde pour l’ensemble de ses reportages effectués depuis plus de 30 ans sur tous les conflits du monde. En 2016, James Nachtwey obtient le prix Princesse des Asturies. Il remporte cinq fois la Médaille d’or Robert Capa, pour son courage et son travail exceptionnels. Il reçoit le titre de Photographe de l’Année à huit reprises ; le premier prix de la World Press Photo Foundation à deux reprises ; l’Infinity Award en Photojournalisme à trois reprises ; le Prix Bayeux-Calvados des correspondants de guerre à deux reprises et le Prix Leica à deux reprises.

Récompensé par l’Overseas Press Club, par le TIME Inc., et par l’American Society of Magazine Editors, il reçoit également le Henry Luce Award, le prix de la Fondation de Leipzig pour la liberté et l’avenir des médias et le Prix de citoyenneté mondiale Dr. Jean Mayer. En 2001, War photographer, un long-métrage documentant la vie et l’œuvre de James Nachtwey, est nominé pour l’Oscar du meilleur documentaire. Ses livres incluent Deeds of War et L’enfer.

Les photographies de James Nachtwey figurent dans les collections permanentes du Museum of Modern Art et du Whitney Museum of American Art à New York, du San Francisco Museum of Modern Art, du Getty Museum à Los
Angeles, du musée des Beaux-Arts de Boston, de la Bibliothèque nationale de France ou bien encore du Centre Pompidou. Ses images ont fait l’objet de nombreuses expositions personnelles dans le monde entier.

Il a été invité à présenter son travail lors de plusieurs événements internationaux, dont les TED Talks, la conférence Bill et Melinda Gates Grand Challenges, le Pacific Health Summit, la conférence mondiale sur la tuberculose à Rio de Janeiro, la réunion annuelle de la Young President’s Organization à Sydney et, à l’occasion de la Journée de la Paix en 2011, devant le Comité International Olympique. Le titre de Docteur honoris causa lui est décerné par quatre universités américaines, y compris le Dartmouth College, qui a récemment acquis l’ensemble des archives de son œuvre.