Aphorisme

« S’ils ont les médias de masse, nous, nous ferons une masse de médias ;

S’ils ont les armes, nous, nous aurons des caméras ;

S’ils ont les banques, nous, nous nous aurons les uns les autres ».

Nous avons interviewé un des participants du Forum Humaniste Européen, intervenant à la table « Journalisme indépendant et engagement social ». Gunther Aleksander est philosophe, humaniste et activiste. Titulaire d’un master en Communication Audiovisuelle et d’un doctorat en Philosophie Politique. Éditeur de l’Agence Pressenza au Brésil et producteur de la chaîne QuatroV – 4V.

Quel est le rôle des médias indépendants ? Comment peuvent-ils produire des récits d’une culture plus humaine et moins violente ?

La presse alternative joue un rôle fondamental, elle doit apporter des éléments nouveaux et changer la perspective, justement dû au fait qu’elle n’est pas aussi dépendante que la presse capitaliste. Nous mettons en perspective la nécessité de construire des nouvelles matrices culturelles, au lieu de se disputer “l’hégémonie culturelle”, comme le font ceux qui ont le pouvoir ou ceux qui désirent obtenir le pouvoir.

En ce qui concerne l’hégémonie, il s’agit d’une bataille de récits pour essayer “d’installer” une “version officielle” acceptée par la majorité. Les matrices sont une voie de construction dans des “espaces abandonnés” par les puissants, où se construisent des idées et des images qui servent de modèles inspirateurs à ceux qui ont échoués, ceux qui sont poursuivis et discriminés par le système.

Il ne s’agit pas nécessairement d’essayer de se disputer l’espace informatif central, même si cela serait intéressant, le plus important des matrices informatives est d’apporter de nouveaux modèles et images qui réorientent de manière positive et intégratrice tout ce qui, jusqu’à présent, est accepté comme “vérité sociale”.

Nous soulignons la nécessité de changer l’approche journalistique nihiliste par une perspective plus possibiliste, qui ouvre à un futur, en re-signifiant les conflits et en re-dirigeant les regards vers des images cohérentes et exemplaires.

Comment peut-on atteindre beaucoup plus de gens avec les médias indépendants ?

Premièrement, c’est écouter les gens pour se connecter avec leurs nécessités et conflits, de nos jours nous disposons de beaucoup de médias pour les écouter. A travers la communication présentielle et directe “in situ”, ou bien par internet ou des enquêtes. Nous pouvons “mettre les antennes” pour “capter” profondément avant de “transmettre” massivement. Cela fait que le contenu ait plus de résonance et que les gens le partagent plus.

Aujourd’hui il y a beaucoup de chemins pour élargir la communication bidirectionnelle, avant de produire, nous pouvons approfondir et fouiller en essayant “d’écouter” ce que les gens disent et pensent. On peut utiliser des instruments de “Keywords” pour voir comment les gens effectuent leurs recherches, filtrer les commentaires qui provoquent plus de réactions et les utiliser comme accroche initiale d’une publication.

C’est important de capter ce que les gens disent, l’utiliser comme accroche au début, pour ensuite transférer la charge et produire des changements d’approche et de perspective par rapport au positionnement irréfléchi et irrationnel que les gens ont souvent l’habitude d’avoir. Ce changement élargit également la “viralisation” de chaque publication.

Quelle information ne se publie pas dans les médias hégémoniques ?

Il y a de nombreux sujets et tendances qui ne se publient pas, soit parce qu’ils vont contre les intérêts économiques qui financent la presse capitaliste, soit parce qu’ils ont été “abandonnés” du fait de ne pas être dans les espaces centraux des grands centres urbains.

Les médias hégémoniques ont presque toujours une explication matérialiste et économiciste, reniant les aspects culturels et existentiels des conflits politiques et sociaux.

En général rien n’est publié sur les mouvements sociaux qui pourraient servir “d’exemples” ou de “modèles” d’action collective pour les gens en marge du système capitaliste. Il n’y a pas de publication non plus avec une vision structurelle ou de processus, tout ce qui se publie est presque toujours conjoncturel et répond à des aspects passagers, fragmentaires et anecdotiques, ce qui rend difficile le fait que les gens aient une vision cohérente et large sur ce qui s’informe.

Cela est aussi dû, en grande mesure, au format actuel des nouveaux médias en réseau, toujours plus collaboratifs, discontinus et multifocaux. La réponse cohérente à ce phénomène est faire une “masse de médias” qui ait un certain projet en commun et des processus informatifs convergents.

Concernant la devise du forum “Ce qui nous unit”. Quelle proposition commune pourrions-nous mettre en place dans le futur ?

Face à l’absence d’un projet qui donne du sens, tout se fragmente. Nous nous proposons de faire un front avec de multiples médias, qui maintiennent leur identité et autonomie, mais qui aient des lignes éditoriales qui convergent vers la construction d’une humanité sans guerres ni frontières, une nouvelle nation humaine où la “déclaration universelle des droits humains” devienne une réalité tangible dans toutes les régions de la planète, y compris les périphéries et la campagne.

Pour cela, nous proposons une communication directe et convergente, qui ait beaucoup d’étude et de recherche, basée sur l’exposition brève d’actions exemplaires. Un front avec une participation ouverte et flexible pour tous les médias grands ou petits, qui puissent s’unir librement pour créer les nouvelles matrices culturelles du monde à venir.

Image: Joana Alomà

Si les puissants d’aujourd’hui ont les médias de masse, nous, nous pouvons organiser une masse de médias.

Quelle a été ta participation au Forum Humaniste Européen ?

Nous avons essayé de répondre aux propositions faites par le Forum Humaniste Européen à la table du journalisme, en mettant l’accent sur la différence entre la dispute pour l’hégémonie culturelle et la création de matrices culturelles qui ne peuvent être contrôlées et détenues par les puissants en place.

Nous avons commenté que, lorsqu’ils ont assassiné Marielle Franco au Brésil, ils ne savaient pas qu’elle était la graine et le fruit de ses actions exemplaires, et qu’elle est en train de se multiplier vertigineusement. Expliquer simplement, ce serait qu’au lieu de se disputer des versions des récits dans les espaces centraux de communication, nous sommes plus intéressés à créer une masse de médias pour diffuser des exemples inspirants qui servent de modèles.

Nous le faisons déjà au Brésil, depuis 2015 nous travaillons avec une boîte de production qui s’appelle QuatroV, nous avons une moyenne de 1 à 2 millions de visualisations mensuelles en portugais. Environ 20 volontaires de plus de 10 différents médias alternatifs participent à la production d’environ 28 nouvelles vidéos mensuelles.

Concrètement, nous proposons d’élargir la production audiovisuelle de l’agence Pressenza avec d’autres moyens de communication et mouvements sociaux, via le programme 4V avec l’ouverture de deux nouveaux studios, un au Chili en 2018 et un autre en Espagne en 2019. Pour réaliser ce projet, nous sommes en train de faire une campagne crowdfunding sur la page de QuatroV, où ceux qui apportent leur soutien reçoivent une bande dessinée “Le jour du lion ailé” [NDT. Il s’agit d’une des histoires du livre de Silo, qui porte le même titre]. En plus des apports, nous cherchons à ce que des volontaires s’unissent, en collaboration avec d’autres médias pour rédiger des scripts pour des capsules vidéos et produire collaborativement quelques programmes TV hebdomadaires.

Pour finir, nous allons également soutenir la création de rédactions et deux ou trois studios audiovisuels ad hoc durant les 5 mois que va durer la 2ème Marche Mondiale pour la Paix et la Non-violence, entre octobre 2019 et mars 2020.

 

Traduit de l’espagnol par Angèle Gay.