Par Muriel Ressiguier, Députée France Insoumise.

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Dans un monde où l’argent règne, son manque rend esclave, sa possession devient domination, et son accumulation tyrannie.

 

Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur, Monsieur le Ministre, Chers Collègues,

Nous sommes aujourd’hui face à une situation qui peut laisser perplexe…

La taxe de 3% sur les dividendes, instaurée sous le quinquennat de François Hollande, a été invalidée par le conseil constitutionnel.

Cette taxe visait à compenser une perte de recettes budgétaires de de près de 5 milliards (qui elle-même datait du quinquennat du gouvernement de Nicolas Sarkozy dont faisait d’ailleurs partie Bruno Le Maire).

Elle visait à encourager les entreprises à réinvestir leurs bénéfices plutôt que de distribuer des dividendes.

Assez rapidement, les spécialistes de droit fiscal avaient alerté sur l’incompatibilité de cette taxe avec le régime fiscal des sociétés-mères et de leurs filiales au sein de l’Union européenne.

Le président Hollande, avec l’appui de son fidèle conseiller économique de l’époque Emmanuel Macron, avait décidé d’introduire, une contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés.

Cela allait dans le bon sens, mais sans surprise, la mesure a été retoquée par le Conseil Constitutionnel après l’invalidation partielle de la Cour de Justice européenne.

Une façon de persister dans l’erreur qui laisse songeur…

En 2015, la Commission européenne avait mis la France en demeure au sujet de cette taxe.

À ce moment-là, la facture était seulement estimée entre 2 à 3 milliards d’euros.

On peut donc se demander pourquoi l’État a maintenu cette taxe sous sa forme aussi longtemps.

Il ne s’agit donc pas tout à fait de gérer un imprévu… mais plutôt de faire un correctif nécessaire suite à une gestion juridique que l’on pourrait qualifier, dans le meilleur des cas, d’hasardeuse ….

Peu importe si notre président actuel s’occupait précisément de la fiscalité des entreprises à cette période…

Peu importe si de nombreux membres de la majorité actuelle ont participé au vote de cette loi et ont accepté l’amendement invalide au regard de la constitution.

Et enfin, peu importe si des parlementaires devenus ministres de l’actuel gouvernement ont voté tout cela…

Nous voilà rassurés…

Désormais, en tenant compte des pénalités et des intérêts, la facture a donc grimpé à près de 10 milliards.

Voyant la douloureuse arriver, le nouveau gouvernement a décidé de simplement supprimer la taxe de 3% sur les dividendes au lieu de la remanier pour la rendre applicable.

Pour le reste, Bercy propose la solution que vous connaissez…

Au grand désespoir du Medef, la moitié sera financée par une nouvelle taxe exceptionnelle et ponctuelle pour les grandes entreprises et l’autre moitié par le contribuable.

Il est peut-être temps de réformer le Conseil Constitutionnel dont la composition et l’orientation idéologique pose question.

En effet, ses membres, que la presse qualifie curieusement de « sages », peuvent interpréter la constitution et décider de l’équilibre entre intérêts économiques particuliers et intérêt général…

Et ils semblent avoir souvent fait primer la défense de l’ordre économique établi, et donc des privilèges des multinationales, sur les objectifs de justice sociale et fiscale, empêchant de ce fait toute forme de vision alternative.

Les grands groupes en jouent […] : ces contributions informelles, qui sont commandées à d’éminents professeurs de droit constitutionnel ou à des cabinets d’avocats spécialisés, moyennant rémunération de plusieurs dizaines de milliers d’euros, et envoyées au Conseil pour tenter d’influencer sa décision.

Le conseil constitutionnel a ainsi censuré de nombreuses mesures législatives bénéfiques à l’intérêt général ces dernières années :

– la proposition de taxer les très hauts revenus à 75% sur la dernière tranche,

– la loi Florange, censée mettre fin aux « licenciements boursiers » en imposant des pénalités aux entreprises qui fermeraient des sites rentables,

– la taxe sur les dividendes,

– ils se sont également opposé aux sanctions contre les lobbyistes, qui ne respecteraient pas les obligations liées aux registres, imposant un minimum de transparence de leurs activités, à l’Assemblée ou au Sénat,

– ils ont même censuré la disposition prévoyant une aide financière aux lanceurs d’alerte.

Étonnamment, nous n’avons pas eu de réaction du Conseil Constitutionnel sur la baisse des APL, sur la casse du code du travail, sur les pertes de liberté individuelles, ou le démantèlement de la protection sociale qu’il s’agisse de l’assurance chômage ou de l’assurance maladie.

Ne nous trompons pas ! Il ne s’agit pas là d’une fatalité insurmontable pour la France comme pour l’Europe, qui nous empêche de rendre notre société plus juste mais d’un basculement idéologique !

Comme le dit très justement Emmanuel Todd :

« Dans un monde où les inégalités de revenus primaires s’accroissent dans des proportions démesurées, les riches, exigent et obtiennent que leurs impôts diminuent. Ils veulent toujours moins d’État, toujours moins de fonctionnaires. Nous n’avons plus affaire à une logique d’efficacité économique, mais à une dynamique de pouvoir. Ce glissement inquiétant, de la recherche du profit à celle du pouvoir, traduit la mutation du capitalisme, passé, par étapes, du stade industriel au stade financier. »

 

Profitons de ce projet de loi de Finance rectificative pour nous poser la bonne question :

Quelle fiscalité pour quelle société ?

De l’argent, il y en a. Mais il est capté par les uns au lieu d’être mis au service de l’intérêt général par l’impôt.

Le système fiscal doit être entièrement refondé sur des bases justes et claires, en appliquant le principe de la progressivité qui veut que plus on gagne d’argent, plus on contribue au bien public.

Nous considérons que le partage entre salariés et actionnaires est injuste et inefficace, et que la fiscalité doit davantage taxer l’économie financière.

Louise Michel avait raison : « notre plus grande erreur fût de n’avoir pas planté le pieu au cœur du vampire : la finance ! »

Ce système, non seulement ne fonctionne pas, mais il détruit des millions de vies. Vous avez sacrifié le code du travail ! Vous avez piétiné la loi qui protégeait les plus faibles, vous avez supprimé l’ISF…

Il faut renverser les perspectives et orienter l’économie vers de nouvelles valeurs.

Il est indispensable que l’accumulation des biens et la thésaurisation de capitaux financiers soient très sérieusement encadrées et qu’une fiscalité plus juste réduise les écarts extravagants qui ne cessent de se creuser.

L’argent a perdu sa vocation initiale qui était de favoriser les échanges entre les hommes pour devenir une finalité en soi.

Introduit dans tous les aspects de la vie, développé de manière démesurée, il devient un écran qui nous sépare. Accumulé, il consolide la séparation entre ceux qui le maitrisent et ceux qui en subissent le manque.

Dans un monde où l’argent règne, son manque rend esclave, sa possession devient domination, et son accumulation tyrannie.

En effet, les réalités concrètes de nos quotidiens ne peuvent se résumer aux seules lois de l’argent et du marché.

Et vous savez aussi bien que moi que cet argent ne reviendra jamais dans le circuit de l’économie réelle et qu’aucun emploi ne sera créé !

C’est clair, nous avons donc deux visions différentes de l’économie.

Comme certains d’entre vous le savent peut-être, le terme « crise » en chinois provient de l’association de deux notions : danger et opportunité.

Derrière la crise du système capitaliste débridé, il y’a aussi une opportunité : nous saisir de cette bifurcation pour redonner sa place à l’humain.

Commençons par construire une fiscalité plus respectueuse des gens et de leur environnement, une fiscalité socialement et écologiquement responsable !

Mettre l’économie au service de l’humain c’est résister à une mondialisation dé-personnalisante et destructrice, mais c’est aussi réaffirmer la volonté de partager les biens et les richesses créées par le travail.

La dérive des institutions, l’abstention de masse, l’uniformité médiatique, le rétrécissement du débat politique aux dogmes de la « pensée unique », font prévaloir les normes néolibérales.

Pour stopper la folie des marchés, il faut juste que le peuple se mette en mouvement et cela commence par chacun d’entre nous.

L’explosion des inégalités, de la précarité et de la pauvreté, les violations répétées de la démocratie, le dénigrement des rapports humains basés sur la solidarité et la coopération, tout ceci, en apparence inéluctable, dépend entièrement de nos choix politiques.

Par exemple, Vous aviez le choix d’augmenter l’ISF, mais vous l’avez supprimé.

Vous aviez le choix de renforcer les droits des travailleurs, mais vous les avez dégradés.

Vous aviez le choix de permettre véritablement l’accès au soin pour tous, mais vous avez supprimé les cotisations sociales concernant l’assurance maladie, ce qui contribue à fragiliser son financement.

Vous aviez le choix de permettre à chaque bachelier d’avoir une place dans l’université de son choix et vous laissez perdurer un système qui généralise le tirage au sort.

Des exemples parmi tant d’autres qui reflètent le délitement de l’État.

Un État qui a renoncé à protéger les plus faibles.

Un État qui abandonne peu à peu son rôle : être présent sur tout le territoire.

Un État qui permet à la population de consommer des produits alimentaires toxiques et qui recule sur le CETA et le glyphosate.

Je conclurai avec Jean-Claude Bresson-Girard :

« Après la fin du développement, la décroissance soutenable – avec la sortie de la société de marché qu’elle implique – est la réponse logique pour permettre à l’humanité d’échapper aux conséquences désastreuses de la barbarie consumériste, pour que l’humanité s’accomplisse en tant qu’humanité, si tel est son désir, en prenant conscience d’elle-même. »

Je vous remercie !

 

Source : http://www.murielressiguier.fr/2017/11/06/discours-percutant-de-muriel-ressiguier/