En France, nous avons malheureusement la très fâcheuse tendance à réduire la démocratie directe à l’exercice du référendum, national ou local. On oublie la pratique de l’assemblée locale d’habitants, comme pouvoir législatif local, qui, loin d’être un leurre ou quelque chose d’infaisable, fonctionne en Suisse dans les 4/5èmes des communes (dont 36 communes de plus de 10 000 habitants) et dans 2 cantons (assemblée populaire cantonale comme organe décisionnel principal du canton) !!!

Ce que nous montre la Suisse c’est que la démocratie directe, c’est aussi – et de manière complémentaire, harmonieuse – la pratique de l’assemblée d’habitant comme mode de gouvernement. C’est-à-dire qu’à l’échelle locale (de la commune, ou en Suisse également du canton), ce n’est pas, comme en France, un petit nombre d’élus (une fois tous les 6 ans !) qui dirige et prend les décisions concernant la communauté, mais l’ensemble de la population, après débats, discussions, et par votes.

Ainsi dans toute la Suisse, dans les communes et les cantons, ce sont les décisions les plus importantes qui sont décidées par l’ensemble de la population locale – soit par la voie du référendum, soit par celle de l’assemblée d’habitants (Gemeindeversammlung, assemblea di comune) -, et les décisions sans importance ou administratives laissées entre les mains du pouvoir exécutif. Les Suisses savent depuis longtemps que chacun d’eux non seulement est capable de participer aux décisions politiques, mais doit le faire.

En France, de manière assez extraordinaire, c’est le contraire ! : plus une question est « pointue » ou importante et plus le citoyen ordinaire est considéré comme incompétent pour décider des affaires qui le concernent. Les gens normaux, ordinaires, sont considérés par les élites et les gens au pouvoir comme bêtes, idiots, incapables de comprendre les mécanismes économiques. Quelle dérision ! Chez nous, il est considéré comme moderne et démocratique qu’un maire « demande leur avis » aux habitants sur un projet d’aménagement urbain : bonjour la « démocratie participative » !

Nous écrirons plusieurs articles sur la Suisse. Elle reste en effet dans le paysage mondial comme une lanterne clamant la possibilité, même dans les grands pays (la Suisse est un petit État mais ses mécanismes sont transposables à des États plus grand, comme la France par exemple), d’une véritable démocratie directe, tant locale que nationale, et des assemblées locales d’habitants comme organe prenant les principales décisions politiques.

Pour une vue complète de la démocratie directe communale en suisse, on lira avec profit : www.c2d.ch/files/Report_Micotti_Butzer_2003.pdf

En Suisse, l’organe décisionnel est l’assemblée des habitants dans 4/5 ème des villes et 2 cantons !!!!!

La Suisse, qui compte quelques 8 millions d’habitants (et dont la devise est « Un pour tous, tous pour un ») est un État fédéral composé de 26 cantons (allant de 15 000 à 1,2 million d’habitants). Contrairement à un État unitaire et centralisateur comme la France, c’est historiquement dans les cantons (donc très localement) en Suisse que réside la souveraineté populaire, et que donc les choses se décident.

Historiquement, les assemblées populaires communales et cantonales constituent les cellules premières de la démocratie directe helvétique. Le système des assemblées locales (communales) de citoyens (à l’origine, seulement les bourgeois, c’est-à-dire les propriétaires, et uniquement les hommes) existe aujourd’hui dans tous les cantons, sauf 2 (Genève et Neuchâtel). Dans 95 % des 2900 communes suisses le système politique est basé sur un régime d’assemblée des citoyens. Les grandes villes ont pour la plupart abandonné ce système pour un conseil d’élus (comme en France); aussi, la majorité de la population suisse vit désormais dans un système sans assemblée.

Mais, que l’organe décisionnel communal soit l’assemblée ou un conseil d’élus, les communes suisses utilisent toutes, et énormément, des mécanismes de démocratie directe, au moins pour les décisions les plus importantes :

1) « le droit de référendum, défini comme la sanction populaire, exprimée par les urnes, d’un acte émanant d’une autre autorité ;

2) le droit d’initiative, compris comme le droit d’un ou plusieurs citoyens de proposer l’adoption d’un acte particulier à l’autorité compétente, sous réserve en principe d’un vote populaire » ; (1)

3) et le contre-projet (contre proposition), formé selon les cas par une autorité exécutive ou un certain nombre de citoyens, et soumis au vote populaire.

Les 3 catégories majeures d’institutions démocratique (référendum, initiative, contre-projet) se trouvent d’ailleurs à la fois au niveau national, cantonal et local.

LE DÉROULEMENT D’UNE ASSEMBLÉE

Le système de l’assemblée populaire comme organe législatif local (en vigueur dans les 4/5ème des communes et dans les 2 cantons ayant conservé le système) permet à l’ensemble des citoyens de se rendre sur la place communale pour prendre ensemble les décisions politiques les plus importantes. L’assemblée se réunit en principe deux fois l’an (ou plus si besoin est) pour se prononcer sur les objets portés à l’ordre du jour. De plus, un groupe de citoyen a toujours la possibilité d’exiger la convocation d’une assemblée extraordinaire.Les « citoyens réunis en assemblée ne se contentent pas de voter, mais prennent part activement aux décisions, intervenant dans le débat, ou soulevant les questions relatives aux domaines de la compétence communale » (2). Ces jours là, les transports publics sont généralement gratuits, et les associations organisent des garderies pour les enfants. Seuls les électeurs (dès 16 ou 18 ans selon les cas) munis d’une carte de vote ont droit de participer à l’assemblée. Les écoliers et les jeunes qui ne jouissent pas encore du droit de vote ont cependant souvent le droit de prendre place à côté de la tribune des orateurs.

« Bien entendu, la participation à l’assemblée communale confère à chaque citoyen le droit – sinon le devoir – de s’exprimer sur les domaines mis à l’ordre du jour ; s’il appartient parfois à un organe exécutif de dresser la liste des points qui seront discutés, et d’en informer les citoyens communaux avant la tenue de l’assemblée, pour que ceux-ci y prennent part en connaissance de cause, il faut admettre que chacun d’entre eux puisse aussi disposer d’un droit de faire des propositions (droit de motion), soit devant l’assemblée, pour modifier l’ordre des débats ou leur contenu même (en ce cas, la motion est forcément soumise à un vote préalable d’entrée en matière), soit pour faire porter à l’ordre du jour de la prochaine assemblée un objet particulier » (3)

Les décisions se prennent par vote de tous les participants, à la majorité des voix. Traditionnellement, les votes se font à main levée. Mais de plus en plus, et parfois seulement pour certains sujets, il est procédé à un vote par les urnes, après débats de l’assemblée.

Enfin, il est à noter que le système d’assemblée populaire permet en lui-même de dépasser les traditionnels blocages dogmatiques partisans. Ainsi, et même si la Suisse connaît bien évidemment le phénomène des partis politiques, dans les assemblées populaires des cantons : « chaque printemps, les partis politiques des cantons pourvus de Landsgemeinde organisent des meetings, donnent des consignes de vote sur les questions importantes. En outre, beaucoup des orateurs qui haranguent la foule sont membres d’un parti politique et mettent en valeur le point de vue de leur parti. Et pourtant l’obédience partisane s’affaiblit au point de disparaître dans les Landsgemeinden. Dans le lieu des séances, les votants ne se groupent jamais selon leur parti ; les parents, les voisins, les amis se mettent souvent ensemble, mais aucune faction, aucun groupement partisan n’est décelable. Bien plus, le débat ne suit plus la ligne des partis et un tribun convaincant peut retourner l’assistance, si bien que sur une question controversée, l’issue du scrutin est souvent imprévisible, même quelques minutes avant le vote à main levée. Il serait exagéré de dire que les partis politiques n’y ont aucune influence : à l’occasion, le partage des opinions sur telle question peut recouper la ligne des partis. Mais ce n’est pas une attitude caractéristique de ces assemblées » (4).

DE QUOI DÉCIDENT LES ASSEMBLÉES LOCALES D’HABITANTS ?

La Constitution fédérale suisse prévoit que les cantons ont l’obligation de faire adopter par le peuple (par référendums ou par système d’assemblée populaire) leurs textes fondamentaux (art. 51 al. 1 de la Constitution fédérale). Un point dont on pourrait utilement s’inspirer en France !

Ainsi, concernant les assemblées populaires des 2 cantons utilisant toujours ce système (Glaris et Appenzell Rhodes-Intérieures), elles décident, en plus du choix des membres du pouvoir exécutif du canton, des affaires dévolues par la Constitution fédérale aux cantons : ainsi, entre autres, des impôts et du budget, de certains pans du système social, de l’éducation, de la gestion des hôpitaux (sauf les hôpitaux communaux et privés), la construction et l’entretien de la majorité des routes (sauf les autoroutes et routes nationales), la police (mais pas l’armée)…

Chaque canton (dans sa constitution) décide lesquels de ces pouvoirs/compétences appartiendront seront de la compétence des communes, et donc des assemblées communales. Les situations sont donc très diverses selon les communes.

« Concrètement, l’étendue de l’autonomie communale varie considérablement entre les différents cantons, qui sont libres de décider de leur structure interne : certains cantons laissent une marge de manœuvre extrêmement vaste à leurs communes alors que d’autres définissent en détail tant les compétences communales que la manière dont ces compétences devront s’exercer » (5)

Voici, en vrac, les domaines dans lesquelles les assemblées communales d’habitants décident :

1) système d’organisation politique : chaque assemblée communale d’habitants le détermine, dans le respect du cadre imposé par son canton : ce sont les règlements communaux. C’est la constitution communale, le règlement interne de la commune, qui peut, par exemple, prévoir que tel type de décision, au lieu d’être prise à main levée par l’assemblée, sera prise par un vote à bulletin secret.

2) domaine financier et économique (impôts, budget, dépenses, etc.) : c’est le domaine par essence dévolu aux assemblées communales d’habitants :

-approbation des comptes, vote du budget, vote du taux maximal d’imposition ou du montant total des impôts,

– votes sur toute dépense dépassant une certaine somme,

– votes sur toute dépense nouvelle ou sur toute dépense d’investissement,

– votes sur toute création d’une entreprise publique,

– votes sur la création de nouveaux emplois par la commune,

– votes d’autorisation des emprunts et des cautionnements faits par la commune,

– votes sur les prêts et participation financière à une entreprise,

– votes sur l’octroi de concessions ou de privatisation de la gestion des services publics,

– votes sur les dépenses de fonctionnement de la commune, càd les dépenses liées à l’exécution de tâches publiques,

3) domaine social, environnemental, aménagement du territoire :

– votes sur l’organisation scolaire,

– votes sur l’utilisation et l’existence des biens communaux,

– votes sur l’autorisation de constructions immobilières,

– votes sur le règlement de construction et le plan local d’urbanisme,

– votes autorisant la commune à participer à telle ou telle association,

– votes sur les statuts des fonctionnaires, ou sur leur traitement (salaires)

LE SYSTÈME D’ASSEMBLÉES POPULAIRES à l’ÉCHELLE d’un PAYS : LES CHOSES DÉCIDÉES D’EN BAS, EFFERVESCENCE ET NON CHAOS POLITIQUE

Même s’il n’est pas parfait, le système politique fédéral suisse, conséquence de son histoire passionnante, permet à ses citoyens de participer directement aux décisions politiques importantes qui les concernent.

Cantons et communes sont la source du pouvoir politique, et disposent d’une liberté extraordinaire pour décider de comment ils veulent que soient prises les décisions politiques, et par qui. Ainsi, les communes suisses et leurs assemblées populaires disposent d’une autonomie très vaste, en rien comparable à celle des communes françaises. Non seulement les communes détiennent (la plupart du temps) la faculté d’aménager les institutions que le canton leur impose, mais certaines d’entre elles font preuve d’une créativité remarquable dans le domaine des droits politiques, en innovant par la modification – décidée en commun en assemblée (ou, dans le cas des villes fonctionnant avec un conseil d’élu, décidée par ce dernier) – de leur constitution communale. « C’est ainsi que, de manière générale, se dénomme le texte fondamental qui régit l’organisation de la commune, désigne ses autorités, énonce leurs compétences et précise les droits populaires. Sorte de constitution communale, toute proportion gardée (deux cantons baptisent en effet de cette appellation les règlements d’organisation communale), le règlement contient du droit propre ou reproduit au contraire des règles que le canton – parfois la confédération – lui impose » (6)

Cette créativité n’est pas étonnante : le pouvoir appartient en Suisse, et depuis des siècles, aux citoyens ordinaires. C’est le fruit de l’histoire, et la manière dont l’État suisse est né, qui explique ce haut degré de démocratie. Contrairement à la plupart des pays (comme en France) où l’État a été constitué par les conquêtes royales afin d’agrandir et d’unifier son pouvoir, et où en conséquence et par la suite, au gré des révolutions ou combats sociaux, cet État central tout puissant a accordé de plus en plus de « droits » à ses citoyens ou à ses communes, la naissance de l’État suisse part des assemblées populaires locales (il, est vrai, à l’époque, réservés aux hommes bourgeois) du Moyen-Age, et de leur entente les unes avec les autres, au fur et à mesure, pour coopérer et former une entité politique plus vaste, une confédération, en respectant la liberté et l’autonomie (le pouvoir de faire ses propres lois) de chacune.

Ainsi, pour qu’une décision à l’échelle confédérale soit adoptée, il fallait que chaque canton l’approuve au préalable. « Ainsi en allait-il dans la Confédération des 13 cantons des décisions de la diète [l’assemblée confédérale], soumises à l’approbation des communautés locales, ainsi que dans les Grisons et le Valais, qui fonctionnaient également de manière fédérative. Là où une telle approbation passait par un vote de la Landsgemeinde [l’assemblée populaire], l’expression tendait à se colorer déjà de l’idée qu’elle incarne aujourd’hui : celle du scrutin populaire (…) Dans les villes de Berne, Lucerne, Soleure et Zurich, notamment, l’habitude s’était prise, dès le 15ème siècle, d’organiser des «Volksanfragen », réunissant la population active pour lui faire avaliser certaines décisions importantes, comme en matière militaire ou financière, ou des questions soulevées par l’administration des baillages communs » (7).

Si c’est son histoire qui explique le caractère hautement démocratique de la Suisse, cela ne veut pas dire que nos États modernes unitaires et centralisés ne peuvent pas s’inspirer de son système politique, de manière à pouvoir, petit à petit, permettre aux citoyens ordinaires de réellement (re)prendre en main les affaires qui le concernent, et à la créativité et la solidarité des français de s’exprimer. Un certain pluralisme politique et juridique (à l’opposé du centralisme et de l’uniformisme extrême de l’État français) est pour cela nécessaire, sans aller forcément jusqu’au cas suisse ou chaque commune – ou peu s’en faut – présente une situation différente.

Ce qui est tragique, en France (comme d’ailleurs, et malheureusement, sur l’essentiel de la planète), ce n’est pas que nos élus, nos gouvernants et nos élites nous considèrent majoritairement comme incapables et trop bêtes pour décider des choses importantes qui nous concernent, mais que nous-même nous en soyons convaincus (en partie « grâce » à la télé et aux médias principaux). Un sentiment d’impuissance et d’incompétence politiques qui a sûrement beaucoup à voir avec la morosité de notre société, le chômage, l’inquiétude pour l’avenir…

NOTES :

Pour une vue complète de la démocratie directe locale suisse, on lira le rapport de 2003 (sur lequel cet article se fonde principalement)La démocratie communale en Suisse : vue générale, institutions et expériences dans les villes 1990-2000, 26 septembre 2003. Rapport de recherche au FNS/SNF, sous la direction du Professeur Andreas Auer, Centre d’études et de documentation sur la démocratie directe, C2d, Université de Genève et disponible ici : www.c2d.ch/files/Report_Micotti_Butzer_2003.pdf

(1) : La démocratie communale en Suisse : vue générale, institutions et expériences dans les villes 1990-2000, 26 septembre 2003. Rapport de recherche au FNS/SNF, sous la direction du Professeur Andreas Auer, Centre d’études et de documentation sur la démocratie directe, C2d, Université de Genève, p. 15

(2) : Ibid, p. 25

(3) : Ibid, p. 75

(4) : Mogens H. Hansen, La démocratie athénienne à l’époque de Démosthène

– Structure, principes et idéologie, traduction de Serge Bardet avec le concours de Philippe Gautier, Éditions Les belles lettres, Paris, 2003, p. 328.

(5) : La démocratie communale en Suisse : vue générale, institutions et expériences dans les villes 1990-2000, 26 septembre 2003. Rapport de recherche au FNS/SNF, sous la direction du Professeur Andreas Auer, Centre d’études et de documentation sur la démocratie directe, C2d, Université de Genève, p. 29

(6) : Ibid, p. 10

(7) : Ibid, p. 21

L’article original est accessible ici