par Monique Jeanmart

Lima, janvier 2015 : s’ouvrait la conférence des Nations unies qui réunissait 190 États – session importante puisqu’elle préparait l’accord multilatéral de lutte contre les changements climatiques qui devait être signé à la Cop 21, à Paris, en décembre de la même année. À cette rencontre, Ban Ki-Moon rappelait au Canada – en termes polis et diplomatiques, mais fermes – ses devoirs et responsabilités pour souligner une réalité incontestable, le Canada n’en fait pas assez et il est un des pires cancres en matière de lutte contre les changements climatiques : 58e sur un classement de 61 pays parmi les plus grands émetteurs de gaz à effet de serre (GES).

Paris, décembre 2015 : Justin Trudeau participe en vedette à la Cop 21. Nouvellement élu, il prononce un discours où il multiplie les déclarations « Le Canada est de retour dans le concert des Nations qui luttent contre les changements climatiques. » « Le Canada peut faire plus pour s’attaquer au problème mondial que représentent les changements climatiques et nous le ferons. » « Les changements climatiques seront notre priorité… ils représentent un défi, mais également une occasion historique. » L’ère Harper, où il fallait rappeler au Canada ses devoirs, est terminée et on peut croire que le Canada de Justin Trudeau s’engage fermement vers une économie sans carbone. Autre vedette de sommet, la ministre Mc Kenna qui multiple elle aussi les déclarations et les engagements. À la face de la planète, le Canada se présente en leader incontesté de la lutte contre les changements climatiques.

Houston, mars 2017 : Justin Trudeau est le conférencier vedette du colloque CERAWeek où il reçoit le prix du « leadership mondial dans le domaine énergétique ». Organisme peu connu du grand public, le CERAWeek regroupe les grandes entreprises du secteur énergétique (Total, BP, Shell, Embridge, Transcanada pipeline, etc.). Il est ovationné quand il affirme « aucun pays qui trouverait 173 milliards de barils de pétrole dans le sol ne le laisserait sous terre. »

À peine un an après son élection – et ses engagements à la Cop 21 – ce discours montre le vrai visage de Justin Trudeau, l’hypocrisie sur laquelle il a bâti son image, sa campagne électorale (à coup de selfies et de déclarations trompeuses) et sa victoire : désormais, l’économie canadienne ne peut se passer des emplois du pétrole sale dont l’exploitation est jugée compatible avec la protection de l’environnement et la « réduction des GES doit tenir compte du point de vue de l’industrie des énergies fossiles et de la science. »

Au-delà des déclarations, une réalité s’impose : le gouvernement libéral continue de subventionner les entreprises pétrolières et gazières à raison de 3,3 milliards par année et autorise l’augmentation de la production sans limites. Contre la volonté de la population et des nations autochtones, il a autorisé la construction de 3 importants pipelines (Trans Mountain (Kinder Morgan), Embridge et Keystone XL) et d’un important projet de gaz liquéfié – le Pacific Nothwest LNG. En 10 ans de pouvoir, le gouvernement Harper n’a pas approuvé autant de projets ayant des conséquences majeures sur l’environnement ! Le seul projet de liquéfaction et transport du gaz devrait émettre entre 6,5 et 8,7 millions de tonnes de GES. De plus, le Devoir du 13 mai révélait que le gouvernement Trudeau envisage d’ouvrir une zone marine protégée aux pétrolières jugeant que la protection des milieux marins est compatible avec l’exploration pétrolière et gazière. Le report à 2023 de la réglementation des émissions de gaz méthane (un gaz 25 fois plus puissant que le CO2) fait partie de cette réalité.

Pourtant des données scientifiques connues (Agence internationale de l’énergie (AIE), Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC)) montrent que la seule façon de contenir le réchauffement climatique en dessous de 2 degrés est de laisser dans le sol les 3/4 des réserves de charbon, de pétrole et de gaz.

La question se pose : malgré les déclarations, l’image de charme et l’apparence de changement sommes-nous vraiment sortis de l’ère Harper en ce qui concerne les questions environnementales ? La réponse négative s’impose : les déclarations spectacles ne trompent plus personne ! Le monde doit changer, mais la planète ne sera pas sauvée par les politiciens ni par les ententes internationales (Donald Trump vient encore de le démontrer en reniant l’accord de Paris). Il n’y aura pas de « grand soir », ni de révolution pour sauver la planète. Seule la mobilisation citoyenne agissant localement et internationalement amorcera la transition vers un monde écologiquement durable. C’est la multiplication des initiatives – ici et ailleurs – écovillage et écoquartier, agriculture urbaine, transport urbain repensé, coopératives de solidarité, accorderies ainsi que le foisonnement des projets reliés à l’économie sociale et solidaire qui construisent aujourd’hui le monde de demain parce que la seule voie qui s’ouvre à nous est celle de la décroissance qui passe par la décolonisation de nos imaginaires et la transformation radicale de nos modes de vie.

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