Rien n’arrive seul. Tout survient dans un contexte. Cela peut nous sembler difficile, puisque ce que nous en savons change de jour en jour, mais il faut analyser l’attentat-suicide de Manchester en fonction des divers paramètres du contexte dans lequel il s’est produit.

Rien n’est plus douloureux que la mort de jeunes et de personnes âgées, l’horreur, l’incrédulité quant à l’accomplissement d’un acte aussi odieux par quelqu’un. La réponse des services, de la police, des ambulanciers paramédicaux, des hôpitaux et des gens, des donneurs de sang faisant la queue pour apporter une contribution utile, des chauffeurs de taxi transportant des gens gratuitement, des personnes ayant proposé un abri et un logement ainsi que l’union de la ville de Manchester pour faire face à l’horreur avec amour… c’est là la première image, le premier contexte. Ici, il y a de l’espoir.

Deuxième contexte : la politique

Après une longue campagne médiatique exaltant les qualités de la première ministre de droite, Theresa May, et détruisant l’image du leader de l’opposition, Jeremy Corbyn, le leadership conservateur dans les sondages d’opinion sur les élections du 8 juin a commencé à s’effondrer en raison des propositions pour les soins aux personnes âgées et d’autres questions. Cette situation, conjuguée au programme travailliste, qui est considéré par les partisans de Corbyn comme l’ensemble de propositions le plus intéressant, avait porté certains détracteurs à dire que le fossé entre les partis commençait à être comblé.

Après la bombe qui a explosé à Manchester, tuant 22 personnes et laissant plus d’une centaine de blessés, les partis politiques ont convenu d’arrêter la campagne électorale. Mais, évidemment, Mme May a continué d’apparaître largement dans les nouvelles, cherchant farouchement les terroristes, présidant d’importantes réunions avec la police, mettant l’armée dans les rues pour que les gens se sentent davantage en « sécurité » et réprimandant Trump parce que son service de sécurité a divulgué des détails que lui ont communiqué les Britanniques sur l’attentat et son possible réseau de soutien. C’est de la publicité politique gratuite et, que cela ait été ou non leur intention, les terroristes ont offert un grand cadeau aux conservateurs.

Troisième contexte : l’austérité

Il importe de préciser que, lorsqu’elle était ministre de l’Intérieur, Mme May a réduit les forces de police de 19 000 personnes en dépit du fait qu’on l’a informée qu’il serait impossible de garantir la sécurité du pays. Cette décision comprenait l’arrêt de la surveillance des personnes ayant de possibles liens terroristes, exactement comme dans le cas présent. Le kamikaze avait été dans la mire de la police après que des membres de sa propre communauté eurent signalé ses opinions extrémistes. Mais la surveillance exige de multiples interventions et plus de main-d’œuvre. Selon un rapport de l’Inspection de la police de Sa Majesté britannique (HMIC), publié en mars dernier : « L’austérité du gouvernement est blâmée dans le rapport, car les forces de police, débordées, déclassent les appels et laissent les suspects en liberté… “état potentiellement dangereux”…en raison de coupes budgétaires de plus de 20 %. » Le Sdt Reg Gavin Thomas, président de l’Association des surintendants de police d’Angleterre et du pays de Galles, a déclaré : « Le public sera préoccupé par ce rapport et je partage ses préoccupations. À l’heure actuelle, la police compte 34 000 employés de moins par rapport à 2010, dont 19 000 agents de police de moins. Les fonds alloués à la police ont également été réduits avec le temps. » (The Guardian)

En outre, les coupures dans l’éducation et les services ainsi que dans les projets communautaires et les clubs jeunesse ont touché davantage les régions à faible revenu où les minorités ethniques ont tendance à résider. Et le racisme exacerbé par la campagne anti-immigration du Brexit a également nui à l’intégration de ces minorités. Le mécontentement peut survenir de n’importe où. Le gars qui a tué Jo Cox MP était un fasciste d’extrême droite radicalisé par des sites Web fascistes. Celui qui a posé la bombe à Manchester était un jeune mécontent, prêt à la radicalisation. La seule façon d’éviter le mécontentement est de créer une société juste qui réponde aux besoins de tous. Les inégalités économiques et la discrimination sont des formes de violence. Et la violence engendre plus de violence.

Quatrième contexte : la politique étrangère

Comment radicalise-t-on les gens contre la consommation de viande ? On leur montre des animaux subissant des horreurs indescriptibles alors qu’ils sont élevés pour nous alimenter. Comment radicalise-t-on les personnes contre les tests sur les animaux ? On leur montre les horreurs indescriptibles que subissent des animaux sur lesquels on a pratiqué la vivisection et qui éprouvent douleur et détresse. Comment radicalise-t-on les gens contre l’Occident ? On leur montre des horreurs indescriptibles, comme des enfants mutilés ou qui luttent pour respirer après une attaque avec des armes chimiques, des personnes assassinées par des drones, par des armées, etc. Ils sont des « dommages collatéraux » résultant des efforts déployés pour opérer un changement de régime sous de fausses justifications : armes de destruction massives inexistantes, « protection des droits de la personne », des civils, de la « démocratie ».

Alors n’importe qui peut idéologiser les images ou leur donner une forme religieuse, mais sans la qualité humaine qui permet de sentir dans sa propre chair la souffrance d’autrui, il est plus difficile que cela se produise. Ainsi, dans un contexte d’amour et de solidarité, ces images vous pousseront à donner du sang et à aider les blessés. Et dans un contexte de haine et de vengeance, ces images produiront des kamikazes et des guerres. Jeremy Corbyn a déclaré que « de nombreux experts, y compris des professionnels de nos services de renseignement et de sécurité, ont indiqué qu’il existe des liens entre les guerres que notre gouvernement a soutenues et financées dans d’autres pays et le terrorisme présent dans notre pays ». « Cette constatation ne diminue en rien la culpabilité de ceux qui attaquent nos enfants. Ces terroristes seront toujours honnis et tenus responsables de leurs actes. Mais il est essentiel de comprendre à fond les causes du terrorisme, afin d’apporter des solutions efficaces qui protégeront notre peuple, qui combattront le terrorisme au lieu de l’alimenter. » James Corbyn est critiqué pour cela, même si Boris Johnson lui-même, notre ministre des Affaires étrangères est d’accord avec lui. Voir à ce sujet la chaîne 4 de nouvelles où le journaliste Krishnan Guru-Murthy lit la citation s’y référant.

Il ne fait aucun doute que le chaos de la guerre créé en Irak, en Lybie et en Syrie a détruit les structures qui, bien que n’étant pas idéales, maintenaient en échec l’extrémisme.

Les partisans des guerres au Moyen-Orient soutiennent que l’intégrisme islamique existait déjà avant les interventions armées survenues ces dernières années, mais n’oublions pas qu’en 1953, le coup d’état iranien, connu en Iran comme le coup de Mordad, a provoqué le renversement du premier ministre élu démocratiquement, Mohammad Mosaddegh, en faveur du renforcement du régime monarchique de Mohammad Reza Pahlavi… orchestré par le Royaume-Uni et les États-Unis pour empêcher la nationalisation de l’industrie pétrolière. (Wikipedia)

Cinquième contexte : générations

Ce fut une attaque contre les jeunes, réalisée par un jeune. Les jeunes sont plus enclins à faire preuve de solidarité envers les immigrants, à s’opposer aux guerres, à être idéalistes. Ariana Grande, la chanteuse qui se produisait en spectacle la nuit de l’attentat de Manchester, dont la musique est populaire auprès des enfants et des adolescents, est connue pour son activisme sur les questions sociales, en particulier contre la discrimination LGBT+. Cet attentat peut modifier l’opinion de certains jeunes. Peut-être que le jeune qui a perpétré l’attentat a été choisi précisément parce que, étant jeune, il se fondrait mieux dans la foule et susciterait moins de soupçons. Quelles que soient les intentions, le « choc des civilisations » a diminué d’une génération.

Sixième contexte : déshumanisation et mal-être spirituel

La vie, sans un but qui lui donne sens, résulte absurde et ne tourne qu’autour de l’atteinte du prochain objectif provisoire, que ce soit l’acquisition du dernier téléphone, d’une maison, d’une voiture ou d’une chemise. Les endorphines que nous sécrétons pour nous défendre matériellement contre le désespoir sont de courte durée. Et nous voilà en train de chercher le prochain objectif, tandis que nous nous comparons aux autres et rivalisons avec eux. C’est là la culture existentielle créée par l’idéologie du néolibéralisme. Diminuer l’État (le seul qui pourtant puisse répondre au terrorisme ou aux catastrophes naturelles sachant que le secteur privé, si apprécié par le capitalisme, résulte complètement inutile dans de telles situations) et rivaliser. Traiter les autres comme des objets, les utiliser, profiter d’eux, tout va bien. La solidarité et la compassion sont pour les faibles. Cette déshumanisation et la poursuite des activités matérielles brisent le lien qui nous unit à l’être spirituel – religieux ou non – qui habite dans les profondeurs de la conscience de chaque être humain. Cet être spirituel est comme une flamme sacrée qui à elle seule, peut donner un sens permanent et un sentiment de communion avec autrui. Quand elle est perdue et non compensée par l’hypnose de la thérapie de détail, nombreux sont ceux qui la cherchent dans des formes extrêmes de religion qui offrent l’effet de l’extase : avoir un sentiment d’appartenance et être à l’aise avec les autres. L’islam n’est pas le seul à offrir cet effet, mais grâce à la nécessité pour l’OTAN de trouver un ennemi, pour justifier son existence après la chute de l’Union soviétique, c’est maintenant celui qui apparaît comme le plus visible.

Une nouvelle spiritualité naît et grandit, qui promeut la paix et la non-violence, la solidarité, la non-discrimination, l’égalité des droits et l’égalité des chances pour tous, ainsi que la compassion. Mais elle ne reçoit pas même quelques lignes de couverture médiatique ; la violence est bien plus utile pour la survie du système violent actuel, de sorte que c’est elle qui fait la une de tous les médias.

Si nous voulons répondre à l’attentat de Manchester, en mettant fin au cercle vicieux de la violence au lieu de le perpétuer, respirons, partageons, votons et construisons la non-violence active où que nous soyons. Il ne s’agit pas d’être de droite ou de gauche, il s’agit de se montrer humain et d’agir en tant que tel.

 

Traduit de l’espagnol par : Silvia Benitez