Par Christophe Ventura

Tandis que le Sénat américain a donné le coup d’envoi de la renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena) entre la première puissance mondiale, le Canada et le Mexique en approuvant, le 11 mai 2017, la nomination de Robert Lighthizer – tenant de la ligne « America First » défendue par Donald Trump – au poste de représentant au commerce de l’administration [1], les principales puissances économiques latino-américaines accélèrent leur rapprochement avec le second partenaire commercial de la région, la Chine.

Cette dernière célèbre aussi souvent que nécessaire le « destin commun  » de l’ex-empire du Milieu avec l’Amérique latine et multiplie les déclarations engagées en faveur de la défense et de la promotion du libre-échange mondial quand Washington et Londres prônent, eux, des formes de protectionnisme sélectif et le ralentissement du rythme de la mondialisation économique et financière.

Dans ce contexte, les pays libéraux latino-américains membres de l’Alliance du Pacifique (Chili, Colombie, Mexique, Pérou) – 217 millions d’habitants, 39 % du PIB régional et environ la moitié du commerce de l’Amérique latine avec le reste du monde –, l’Argentine et le Brésil (poids lourds du Marché commun du Sud, Mercosur) se mobilisent pour soutenir une diversification géostratégique et géoéconomique de la région. Ces pays, dont trois – le Chili, le Mexique et le Pérou – sont membres du Partenariat transpacifique (TPP en anglais), abandonné en janvier 2017 par les Etats-Unis, promeuvent désormais une insertion active de leurs économies aux chaînes productives et financières chinoises. Et poursuivent un double objectif : faire de la région la tête de pont de la puissance rivale des Etats-Unis sur le continent américain tandis que Donald Trump promet une politique de répression migratoire et commerciale aux pays latino-américains ; positionner l’Amérique latine au cœur des projets soutenus par Pékin d’accélération des flux marchands et financiers entre les méga-régions atlantique et pacifique.

C’est dans cette perspective que quinze membres du TPP – dont la Chine et la Corée du Sud – se sont réunis pour la première fois – sans les Etats-Unis – au Chili, pays assurant la présidence pro-tempore de l’Alliance – (Viña del Mar, 15 mars 2017), pour un « Dialogue de haut niveau sur les initiatives d’intégration de la région Asie/Pacifique » qui a pleinement réaffirmé la marche vers cette intégration et l’attachement au libre-commerce mondial.

Au niveau régional, les pays de l’entente libérale préparent un rapprochement accéléré entre l’Alliance du Pacifique et le Mercosur [2]. Depuis Pékin où il effectuait un voyage officiel entre le 15 et le 18 mai 2017, le président argentin Mauricio Macri [3] – qui a également pris la présidence pro-tempore de l’Union des nations sud-américaines (Unasur) pour cette année – a ainsi pu exposer cette stratégie globale. Lors d’une intervention prononcée au « Sommet des routes de la soie » (14-15 mai) consacré, en présence de vingt-neuf chefs d’Etat et de gouvernements (dont Michelle Bachelet pour le Chili), du secrétaire général des Nations unies (Antonio Guterres) et de Christine Lagarde, directrice générale du FMI, à la diplomatie d’expansion géoéconomique mondiale de la Chine, il a ainsi déclaré : « Nous sommes en train de maximiser la dimension bi-océanique régionale à travers la mise en place d’un dialogue systématique et d’un agenda de convergences entre les deux principaux blocs économiques d’Amérique latine : le Mercosur et l’Alliance du Pacifique ». Et d’annoncer la relance de l’Initiative pour l’intégration de l’infrastructure régionale sud-américaine (IIRSA) créée en 2000 à l’initiative du Brésil de Lula pour financer la modernisation des infrastructures sud-américaines en matière de transports, de communications, d’énergie, etc. Pour le président argentin, les sud-américains ont « intérêt  » à ce que l’initiative « une ceinture, une route » (One Belt, One Road) – projet de financements d’infrastructures dans le monde entier lancé par la Chine depuis 2013 – « s’articule avec l’IIRSA pour conduire nos régions vers la clé du 21e siècle : la connectivité  » [4]. Il s’agit aussi selon lui d’aboutir rapidement à la signature d’un accord de libre-échange entre le Mercosur et la Chine.

Ainsi, l’Amérique latine deviendrait, en plus de constituer un fournisseur clé de la Chine en matières premières et en ressources naturelles, un important point de passage et d’ancrage des flux financiers et marchands asiatiques, ainsi que de leurs chaînes productives. Dans ce schéma, la fonction de la région serait alors de faciliter et d’augmenter la connectivité entre la méga-région atlantique (Europe, Afrique) et pacifique (Asie). Selon le président de la troisième puissance latino-américaine, ces perspectives doivent s’inscrire dans la construction d’un horizon commun avec la Chine : la mise en place d’une « architecture de coopération économique mondiale ouverte, inclusive et équilibrée, bénéficiant à tous  »…aux antipodes de la vision promue par l’actuel locataire de la Maison Blanche.

Ces propos ont été accompagnés de la signature d’accords commerciaux pour un montant évalué à plus de 17 milliards de dollars entre Buenos Aires et Pékin dans les domaines agricoles, énergétiques (projet de construction de deux centrales nucléaires, à Atucha et dans la province du Río Negro, d’une usine de production d’énergie renouvelable), miniers et des transports (rénovation intégrale de la ligne ferroviaire entre Mendoza et Buenos Aires). Le président argentin a également confirmé son souhait d’intégrer la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (BAII) lancée par Pékin en décembre 2015.

Pour leur part, les autorités mexicaines ont annoncé la tenue de plusieurs réunions de travail avec Pékin dans les mois à venir pour approfondir la coopération économique et commerciale entre les deux pays.

A mesure que les Etats-Unis affirment leur unilatéralisme commercial, la Chine poursuit son ancrage économique et géopolitique durable en Amérique latine.

Notes

[1] Donald Trump exige une renégociation « massive  » de l’Alena, sans quoi il affirme qu’il quittera le traité. Il souhaite le rétablissement de droits de douane sur les importations qui menaceraient l’industrie nationale, notamment dans le secteur des produits laitiers, du bois, de l’automobile, des produits pharmaceutiques. Il exige également la révision des mécanismes d’arbitrage dans les contentieux commerciaux qu’il considère trop défavorables aux entreprises américaines. L’objectif de l’administration américaine est de conclure la renégociation avant le printemps 2018, c’est-à-dire avant l’élection présidentielle mexicaine (juillet 2018) qui pourrait porter au pouvoir le candidat de gauche Andrés Manuel López Obrador (Mouvement de régénération nationale, Morena), hostile en tout point à la politique américaine et aux termes de cette renégociation.

[2] Pays membres : Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay, Venezuela (suspendu).

[3] C’est sa troisième rencontre avec Xi Jinping en un an, du jamais vu dans les relations bilatérales entre les deux pays.

[4] Citations : « En China, Macri prometió que Argentina « duplicará la producción de alimentos » en los próximos años », Infobae, 15 mai 2017 : http://www.infobae.com/politica/2017/05/15/mauricio-macri-participo-de-un-foro-con-lideres-mundiales-en-china/

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