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Depuis quelques semaines, le Venezuela fait régulièrement la une de l’actualité internationale. Comme au temps d’Hugo Chavez, une importante campagne médiatique de dénigrement et de mensonge est menée contre la Révolution Bolivarienne. Même si en effet le Venezuela traverse une période difficile notamment sur le plan économique, la réalité de la situation décrite par les médias s’avère très souvent partiale et caricaturale. Journaliste installé depuis quarante ans au Venezuela, Jean Araud suit de très près l’actualité dans le pays. Son analyse de la situation diffère radicalement de ce qu’on entend généralement dans les médias dominants. 

Le 6 décembre dernier, l’opposition vénézuélienne remportait pour la première fois en quinze ans les élections législatives. Quatre mois plus tard, quel bilan pouvons-nous tirer des premières actions de l’opposition à l’Assemblée Nationale?

En réalité aucun bilan ne surprend véritablement. Le nouveau président de l’Assemblée Nationale, Ramos Allup, est un politicien de la vieille école bien connu des Vénézuéliens pour son style provocateur. Le bilan est marqué par des provocations suivies d’autres provocations. La nouvelle Assemblée Nationale a tenté d’ignorer les autres niveaux de pouvoirs, en essayant par exemple d’imposer trois de ses députés qui avaient été élus de manière frauduleuse, ou en essayant de faire passer certaines lois des plus extravagantes. Parmi ces lois, une « loi d’amnistie » a pour objectif de pardonner des personnes condamnées et qui purgent leur peine, ou des hors-la-loi, pour des actes de corruption. Le véritable bilan est un véritable show médiatique, prudemment diffusé par certains grands médias internationaux, et plusieurs protestations populaires contre les prétentions de l’Assemblée Nationale, celles-là avec peu de couverture médiatique. Mais jusqu’à présent, cette Assemblée Nationale n’a pas réussi à imposer ses trois députés, ni aucune de ses lois extravagantes.

Côté économique, le Venezuela a été frappé de plein fouet par la baisse du prix du pétrole. Puis, depuis quelques semaines, le pays fait face à une terrible sécheresse qui affecte sérieusement l’approvisionnement en énergie. Enfin, l’oligarchie économique mène depuis des années une redoutable guerre économique en créant désapprovisionnement, pénuries… Face à ce contexte difficile, quelles sont les principales mesures qu’a prises le gouvernement pour d’un côté affronter ces problèmes et de l’autre conserver les nombreuses conquêtes sociales acquises ces quinze dernières années?

Cette question est une synthèse parfaite du panorama général actuel au Venezuela. Face aux difficultés d’approvisionnement en électricité, le gouvernement a pris les mêmes mesures que prendrait n’importe quel autre gouvernement face à une telle situation. D’un côté une campagne d’information auprès de la population a été mise en place avec des messages tels que « je suis prudent, je consomme efficacement », et d’un autre côté, il y a eu une réduction des heures de travail dans les organismes publics afin de minimiser la consommation en énergie.
Face au désapprovisionnement, créé par l’opposition afin des déstabiliser ou pour tenter de provoquer une explosion social, des programmes baptisés « motores » ont été développés afin de développer d’autres moteurs économiques que le pétrole. Ces programmes concernent principalement les manufactures, l’agriculture et le tourisme. On a également développé des activités de cultures urbaines afin de pallier au désapprovisionnement et à la distribution d’aliments sur le marché noir. En réalité, ce désapprovisionnement est le résultat de l’accaparement des produits.
Par exemple, le peuple n’a pas les moyens de s’approvisionner en sucre, ni en pain, sous le prétexte qu’il n’y a pas de farine. Mais curieusement, si on fait le tour des boulangeries de Caracas, on peut voir dans les vitrines toute sorte d’articles de boulangerie et de pâtisserie, mais bien entendu à des prix astronomiques. Cela est juste un exemple qui en illustre des centaines d’autres.
Les conquêtes sociales continuent cependant de se développer et ce, malgré la crise économique. Le gouvernement maintient fermement certains programmes d’éducation, de logements et le système de pensions. Le gouvernement a également multiplié les augmentations de salaires afin que la population puisse faire face à l’augmentation démesurée du prix des denrées.

De nombreux historiens, analystes, voient dans cette guerre économique menée contre la Révolution bolivarienne un remake de la guerre menée par les secteurs oligarchiques chiliens contre le président Salvador Allende dans les années 1970. Selon vous, cette comparaison est-elle justifiée ?

L’époque n’est pas la même, mais oui, il existe des similitudes, et la principale est que ces deux cas sont des guerres économiques menées depuis Washington. Au Chili, se fut de manière couverte, mais aujourd’hui au Venezuela cela est fait à la lumière du jour. La grande différence est qu’au Chili, les militaires ont utilisé la manière forte, et qu’ici au Venezuela, les militaires se présentent comme des citoyens armés.
Nous assistons depuis quelques semaines à une croisade médiatique contre le président Maduro, accusé de tous les maux dont souffre le pays. Cela rappelle étrangement les campagnes de manipulation et de diffamation dont était victime le président Chavez. Comment expliquez-vous cet acharnement médiatique à l’heure ou le Venezuela fait face à d’importants problèmes économiques ?

La croisade médiatique est exactement la même car elle est réalisée par de grands médias internationaux qui dépendent du « grand capital », des corporations et qui sont transnationaux. Chavez ou Maduro ne sont attaqués que pour ce qu’ils représentent. Il s’agit en fait d’une croisade du capitalisme contre un nouveau modèle de socialisme qui, dans le cas du Venezuela, a été adopté par une grande majorité du peuple dans l’espoir d’un nouveau monde possible, plus juste et plus humain. Pour les grandes puissances occidentales, cela est un exemple dangereux qu’il ne faudrait pas que ses propres peuples suivent, d’où une grande motivation pour neutraliser, par tous les moyens possibles, les leaders de ce modèle. Plus le temps passe, plus des informations laissent à penser, à travers des indices mais également certaines preuves, que le président Chavez a été assassiné, victime, en un mot d’un assassinat.

L’opposition vénézuélienne rassemblée autour de la « Mesa de la Unidad Democratica » (MUD) vient de lancer une stratégie globale dans le but de renverser le plus rapidement le président Maduro. Face à cette offensive, quel rôle peuvent jouer les bases chavistes que l’on sait puissantes et bien ancrées au sein de la population ?

Avant de répondre à votre question, je me permets une parenthèse. L’appellation « Mesa de la Unidad Democrática » n’est qu’une appellation. N’allez pas imaginer que l’opposition vénézuélienne est unie autour d’une supposée table. L’opposition est menée par des personnalités politiques de la vieille école du bipartisme pratiqué lors de l’ancienne république, c’est-à-dire AD (pour « Acción Democrática ») et COPEI pour les socialistes chrétiens. De fait, l’actuel président de l’Assemblée Nationale est un membre historique d’AD et nombreux sont les incidents qui démontrent qu’entre les partis d’opposition, l’harmonie n’est tout simplement pas à l’ordre du jour.
Cette situation est diamétralement opposée à celle des dirigeants chavistes dont l’immense majorité est fidèle à l’héritage de Chávez, c’est-à-dire fidèle au président Maduro. En réalité, l’opposition n’a aucune stratégie globale pour sortir Maduro dans le sens d’actions stratégiques planifiées et coordonnées. Ce qu’a l’opposition c’est l’obsession de sortir Maduro, la même obsession que contre Chávez. De fait, l’opposition ne fait aucune proposition, ne présente aucun programme concret pour solutionner les problèmes du pays, mais oriente ouvertement ses actions sur une prise de pouvoir coûte que coûte, par la voie démocratique ou non, dans le respect des lois ou non. Actuellement, l’opposition tente de recourir à une révocation afin de destituer Maduro. Ce processus demande une mise en contexte et une observation attentive, et ce pour plusieurs motifs.
C’est Chávez, que certains médias présentaient comme un dictateur, qui a introduit dans la nouvelle constitution vénézuélienne le principe de révocation, symbole démocratique par excellence dont peu de prétendues démocraties peuvent se vanter. La révocation permet au peuple, en ne réunissant qu’un pourc ent de signatures parmi les électeurs, de solliciter un référendum visant à révoquer à mi-mandat les autorités élues, et ce inclut le président de la république.
L’opposition qui, bien entendu, s’est opposée à la nouvelle constitution, y fait pourtant appel afin de provoquer un référendum pour révocation et n’en est d’ailleurs pas à son coup d’essai. En 2014 déjà, l’opposition a tenté la même action contre Chávez. Malgré des preuves que la liste des signatures présentées par l’opposition à l’époque était plus que douteuse, le président Chávez accepta d’organiser le référendum et d’en accepter le résultat. Et le résultat fut que Chávez remporta le référendum et la prétendue révocation de l’opposition se transforma en réalité en ratification de la présidence de Chávez.
Actuellement, dans le cas de Maduro, les chavistes ne sont pas disposés à accepter que l’opposition fraude afin de réunir les signatures nécessaires. Pour cela, un référendum révocatoire à l’encontre de Maduro n’est pour le moment qu’une prétention de l’opposition. Mais, si ce référendum devait avoir lieu, il n’est pas dit que l’opposition puisse gagner cette révocation et ce pour différentes raisons. Primo, les manifestations observées dernièrement indiquent le pouvoir de rassemblement du peuple en faveur de Maduro et la faible capacité de convocation de l’opposition. Secundo, comme mentionné dans votre première question, l’opposition a remporté des élections législatives pour la première fois en quinze ans, mais il faut se rappeler le contexte. L’opposition a gagné en grande partie grâce à une stratégie peu démocratique et grâce à l’abstention de nombreux électeurs chavistes, ou encore d’électeurs qui ont voté dans une situation de mécontentement, des multiples déstabilisations. Enfin, aujourd’hui ces mêmes électeurs observent le comportement de l’opposition face à son Assemblée Nationale et observent également avec attention ce qu’il se passe en Argentine avec un nouveau président néo-libéral.
Dans ce contexte, le rôle des bases chavistes est tout simplement de diffuser la réalité et de continuer le chemin tracé par Chávez avec son « Plan pour la Patrie » et les programmes sociaux qui ont permis au peuple de voter en son âme et conscience, sans se laisser manipuler par les punitions que l’opposition continue de lui infliger afin de le déstabiliser.

Le président Maduro a accusé à de nombreuses reprises le gouvernement des Etats-Unis de vouloir en finir avec la Révolution Bolivarienne. Il a notamment accusé le président Obama d’avoir renouvelé le décret faisant du Venezuela une « menace inhabituelle et rare pour la sécurité des Etats-Unis ». Face à ces accusations de la part du gouvernement vénézuélien, les médias internationaux accusent Maduro de vouloir détourner l’attention de son peuple. Alors ces menaces du gouvernement US, fantasme ou réalité ?

Le décret d’Obama ressemble à une blague. Quant aux accusations, qui a accusé qui ? C’est en réalité les Etats-Unis qui ont été les premiers à accuser le Venezuela avec ce décret. On se demande qui peut vraiment croire qu’un si petit pays comme le Venezuela puisse représenter une menace pour la grande puissance que sont les Etats-Unis. Les menaces du gouvernement américain ne sont pas des simples menaces mais se traduisent dans les faits. L’opposition vénézuélienne est en grande partie financée par les Etats-Unis et la campagne médiatique contre la révolution bolivarienne se prépare dans des laboratoires basés aux Etats-Unis. Dernièrement, ce même Obama a déclaré publiquement que le Venezuela devrait changer de président.

Il est impossible de comprendre la contre-offensive nationale et internationale contre le gouvernement vénézuélien sans prendre en compte le contexte régional : retour de la droite en Argentine, coup d’Etat parlementaire au Brésil… Selon vous, comment expliquer et interpréter ce retour en grâce du néolibéralisme dans la région et quel rôle le Venezuela peut-il jouer pour freiner ce processus ?

C’est là un point crucial. Le néolibéralisme n’attaque pas seulement le Venezuela mais coordonne une attaque globale contre les peuples progressistes d’Amérique Latine comme l’Argentine, la Bolivie, l’Equateur et le Venezuela. Pour assurer le retour du néolibéralisme, tous les moyens sont possibles: la voie médiatique, d’une part; mais également les déstabilisations à travers, comme au Venezuela, le désapprovisionnement provoqué des produits de première nécessité, et jusqu’à l’infiltration de paramilitaires avec des assassinats bien ciblés. La stratégie est de déstabiliser ces peuples et de provoquer des troubles afin de justifier l’intervention classique au nom de la liberté et de la démocratie.

C’est le même scénario que pour toutes les interventions réalisées par les Etats-Unis tout au long de leur histoire, dans le but d’occuper des territoires. Mais dans ce cas précis, il existe différents paramètres additionnels et tout aussi importants. Il s’agit ici d’un continent qui depuis des décennies est vu par les Etats-Unis comme sa « basse-cour ». Après Fidel Castro à Cuba, des leaders emblématiques tels que Chávez, Morales, Lula, Correa et Kirchner sont apparus et ont insufflé un progressisme pour lequel les peuples les ont suivis en masse. Les Russes et les Chinois sont également présents en Amérique Latine. Par ailleurs, les peuples des Etats-Unis et d’autres puissances occidentales, font actuellement face à des conjonctures sociales qui peuvent devenir dangereuses pour leurs gouvernements.

Le Venezuela peut continuer à jouer un rôle pour freiner la tentative actuelle de retour du néolibéralisme, mais seule l’union des peuples progressistes sud-américains pourra résister à cette attaque globale. C’est le chemin tracé par les libérateurs sud-américains lorsqu’ils ont obtenu l’indépendance de leur pays qui s’est transformé par après en un autre type de colonisation par le capitalisme. D’une certaine façon il s’agit pour ces pays de s’émanciper et de gagner une seconde indépendance.

 

(*) Journalistes et respectivement correspondants en Argentine et au Venezuela pour Le Journal de Notre Amérique – Investig’Action

Source: Le Journal de Notre Amérique, mai 2016