Dans une grande salle prestigieuse de l’Université Libre de Bruxelles, en ce 26 octobre 2015, une journée d’étude était consacrée à ce fléau. Depuis plus de 20 ans en effet, femmes et enfants souffrent de viols avec extrême violence, dans une région pourtant paradisiaque et extrêmement riche.

Une journée pour tenter de comprendre et de se projeter dans le futur.

Je m’attendais à écouter des témoignages et actions de personnes congolaises. En effet, Bruxelles regorge de femmes militantes pour les droits de l’homme, d’intellectuels engagés, de journalistes… il me semblait naïvement que leur place serait naturellement sur la scène, pour qu’ils puissent partager leur engagement et expérience.  Heureusement, les quelques Congolais, en particulier les femmes n’ont pas hésité à manifester leur présence et à poser des questions pertinentes quant à la responsabilité occidentale et celle des multinationales bénéficiant des ressources minières.

Nous avons entendu Isabelle Simonis,  « ministre de l’Enseignement de promotion sociale, de la Jeunesse, des Droits des femmes et de l’Egalité des chances du gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles » émue, affirmant sa volonté de transmettre aux jeunes en Belgique, le « devoir de mémoire » des génocides et crimes perpétrés dans le monde.

Puis, Colette Braeckman, journaliste spécialiste du Congo, a parcouru pour nous l’histoire de cette région afin d’apporter des éléments pour comprendre.

D’après la co-auteur du film « celui qui réparait les femmes »,  le viol n’est pas du tout dans les traditions de la région.  Au contraire ! lors de combats, les militaires ne devaient pas avoir de relations sexuelles et il était tacitement interdit de toucher les femmes. Par contre, le machisme est bien présent au Congo.  Elle se rappelle d’un cultivateur qui estimait ne pas avoir besoin de tracteur … puisqu’il y avait les femmes.  Ce sont elles qui cultivent, qui reviennent avec des ballots énormes de bois, qui se tuent à la tâche, font les enfants…

Pour cette experte, l’origine de l’utilisation du viol comme arme de guerre trouve son origine dans le génocide rwandais (1994).  Un million et demi de Rwandais ont alors fui leur région et se sont réfugiés dans cette région-frontière du Kivu. Dans cette masse de réfugiés se sont retrouvés les tortionnaires du génocide.  Ce n’est qu’en 1997, lorsque le génocide rwandais fut reconnu, que l’on a découvert  les pratiques de viols comme outil de destruction massive. Lorsque les femmes sont violées/mutilées dans un village, devant leurs enfants et leur mari, de manière collective, c’est tout un village qui meurt, des hommes qui fuient ou errent, tels des zombies, ce sont les enfants qui sont marqués à vie.  Il s’agit donc d’une arme de guerre bien plus efficace et moins chère que les massacres ! Ces pratiques avaient fait intentionnellement partie de l’objectif de destruction au Rwanda.

En 1998, Kabila n’avait pas d’armée et ce sont les groupes hutus -qui ont participé aux massacres- qui vont proposer leurs services.  Ils ne veulent plus retourner au Rwanda et se sont retrouvés infiltrés dans les campements « surveillés » (si peu !) par les Nations Unies.

De nombreux mouvements armés voient le jour et opèrent ensemble dans la région, soumettant femmes et enfants à l’esclavage, travaillant pour le compte des comptoirs de coltan, ce minerai tellement précieux pour nos portables.

En 2002, le fils de Kabila demande la réinstallation de l’état congolais.  Un accord de paix « suncity » est signé en Afrique du Sud.  En contrepartie, le président intègre quatre vice-présidents dont deux issus des mouvements rebelles… L’armée est donc aujourd’hui contaminée par les pratiques violentes.

Quand et comment cette tragédie peut-elle s’arrêter ?  Est-ce une épidémie ?

Pour C.Braeckman, il y a des avancées : en 2014, la Convention d’Istanbul a élargi le droit des femmes et développé un volet prévention important.

Le travail du Docteur Mukwege a permis de donner une dimension internationale à cette situation congolaise qui n’intéressait personne.  Avec le film récemment réalisé, un mouvement de solidarité se met en place, dans la communauté internationale.

Par contre, les autorités congolaises refusent toujours de réagir, gangrénées à tous les niveaux par une corruption impressionnante.  Dans le film par exemple, on montre un procureur surnommé « procureur 100 dollars ».  Pour 100 dollars en effet, vous ne passez pas en justice, quel que soit le crime commis.

Cette contamination inquiète Colette Braeckman.  Tout autant que l’impunité dont bénéficient les violeurs encore aujourd’hui.

La Justice doit juger et condamner les violeurs.  Seule une cour internationale pourra y arriver, pour sortir de la corruption.

Et les femmes doivent témoigner, avec courage et en collectivité.  Ensemble, elles peuvent s’entraider pour aller en justice, demander de l’aide aux ONG et accompagner le travail des quelques magistrats honnêtes.

La journée a continué avec le témoignage d’un médecin-chirurgien qui, tous les trois mois, part avec son équipe de médecins, pour aider à « réparer les femmes ».

Dans le public, les femmes africaines parlaient aussi de leur tristesse de n’entendre parler du Congo « que » pour ses viols.  Le Congo est un beau pays, les gens y sont courageux et les femmes sont bien décidées à protéger « leur » docteur sur place. Ce sont décidément elles, véritable force africaine, qui pourront faire changer les choses.