L’ours blanc est devenu le symbole de la fonte de la banquise et du changement climatique. Mais s’il est « important de se mobiliser pour la protection de [cette] espèce remarquable », les auteurs soulignent le danger d’une « simplification excessive du message » et de la non-prise en compte de tous les paramètres.

Farid Benhammou est géographe, professeur en classes préparatoires, chercheur associé au Laboratoire Ruralités. Rémy Marion est expert scientifique, documentariste et consultants spécialiste de l’ours polaire et de l’Arctique. Ils ont co-écrit Géopolitique de l’ours polaire, Editions Hesse (septembre 2015).


Samedi 26 septembre, se poursuit le colloque sur l’ours polaire à Paris. [1] Cet animal emblématique est un moyen fort d’alerter sur les conséquences du réchauffement climatique. L’ours blanc est étroitement associé à la banquise où il trouve les phoques, ses proies de base. Or, la fonte des glaces est devenue une évidence même pour les médias dominants.

Vigilance intellectuelle

Pourtant, cette réalité ne doit pas annihiler tout esprit critique permettant d’évaluer justement les menaces environnementales. Ainsi, mi-septembre 2015, la photo d’un ours polaire décharné au Svalbard s’est répandue de façon virale dans les médias et les réseaux sociaux. Dans notre société du spectacle, ce genre d’image fait plus qu’un long discours. Cependant, elle appelle à la vigilance. Ne risque-t-on pas de s’indigner, puis de zapper en passant à autre chose ? Ou bien encore de réduire les problèmes environnementaux de l’Arctique et de la planète à une espèce, si emblématique soit-elle. Un ours polaire peut mourir, de maladie, de blessure, etc. Cela arrive !

Il est vrai que dans ce rude milieu subissant de telles modifications, l’espèce peut évidemment être impactée. Mais les menaces pesant sur l’espèce sont multiformes, l’ours polaire, comme son confrère brun, est un opportuniste, capable d’adaptation et il y a d’autres espèces animales bien plus menacées. Le panda, le rhinocéros ou encore le lynx pardelle en Europe sont bien plus en danger.

Les effectifs d’ours polaire seraient de 20 à 25 000 individus répartis en dix-neuf sous-populations, pas toujours aisées à connaître en raison des nombreuses frontières politiques présentes en Arctique et des contraintes du suivi de l’espèce. Dans ces sous-populations, deux déclinent, six semblent stagner et deux progressent. Mais dans neuf cas, les connaissances scientifiques sont lacunaires et on ne sait pas grand-chose, d’autant que la plupart des données synthétisées n’ont pas les mêmes dates !

Capacité d’adaptation

Si bien sûr il y a motif à inquiétude en raison du changement climatique, il ne faut pas destiner la peau de l’ours à l’extinction immédiate pour autant. Des comportements jamais vus auparavant ou peu documentés sont de plus en plus rapportés. Ainsi, en avril 2015, toujours au Svalbard, un ours polaire a été photographié mangeant un dauphin à nez blanc, espèce qui remonte avec le réchauffement climatique. En août 2015, une expédition française au Labrador a filmé des ours polaires pêchant et se gavant d’omble, un poisson de l’Arctique, alors que l’on pense communément que l’été est une période de jeûne pour le plantigrade. [2]

Ces comportements illustrent la formidable capacité d’adaptation de l’espèce. La remontée avérée vers le nord de l’ours brun ne va pas non plus sonner le glas de l’ours polaire. Le fameux« Pizzly », croisement des deux, est souvent présenté comme un danger de pollution génétique menaçant la pureté de la race ! Rapportés aux humains, ces propos poseraient question. Or, ours brun et polaire se sont déjà mêlés par le passé comme le montre leur proximité génétique. Si métissage il y a, cela ne procéderait-il pas d’un renforcement des capacités d’adaptation de ce mammifère qui vit dans un des milieux les plus rudes du monde ?

Menaces réelles

Ces éléments appelant à la vigilance intellectuelle ne doivent pas pour autant minorer les menaces réelles qui pèsent sur l’espèce. Dans plusieurs secteurs, l’engraissement des femelles, indispensable à l’élevage des oursons, paraît diminuer. Surtout de dangereux polluants s’accumulent dans les tissus de l’ours blanc pouvant, à termes, occasionner des troubles de la reproduction.

Ces phénomènes, couplés à la diminution de la banquise, représentent une menace bien plus grande que la chasse, parfois trop hâtivement présentée comme cause existentielle du déclin de l’animal. Il est important de se mobiliser pour la protection de l’espèce remarquable qu’est l’ours polaire. Il est une formidable clé pédagogique pour pointer des changements globaux.

Cependant, en simplifiant à l’excès le message, en sous-estimant les enjeux géopolitiques de la protection de l’ours blanc [3] ou en négligeant la place des populations autochtones dans la gestion et protection de celui-ci, il y a un risque d’arriver à un résultat contre-productif. Quelle crédibilité aurait la France à appeler, par exemple, à une protection intégrale de l’ours polaire alors qu’elle n’est même pas capable de sauvegarder sa population d’ours brun dans les Pyrénées ?


[1«  Vivre avec l’ours polaire  », 3e colloque dédié à l’ours polaire et son environnement en Arctique, 25&26 septembre 2015 à l’Unesco, Paris. S’inscrire au préalable, toutes les informations sur : http://www.ourspolaire.org

[2Ce comportement «  inédit  » a pourtant été répertorié en 1770 par un Occidental, mais la zone concernée est extrêmement difficile d’accès.

[3Se reporter à l’ouvrage des auteurs ou à leur article du Monde diplomatique de septembre 2015 «  L’ours polaire, animal géopolitique  »


Lire aussi : Si les glaces continuent à fondre, les ours polaires auront disparu à la fin du siècle


Source : Courriel à Reporterre

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