Une petite révolution est en cours dans l’Education nationale. A Aubervilliers, un collectif d’enseignants imagine un collège différent, dont le fonctionnement serait démocratisé, l’enseignement polytechnique, les décisions collectives… Un rêve dont ils espèrent convaincre l’institution de le concrétiser dans un nouvel établissement en 2017.

Tout a commencé par une grève : en 2010, à Aubervilliers, des suppressions de postes sont annoncées, alors que le nombre d’élèves augmente. Pendant deux mois, les profs des collèges du secteur protestent, se rencontrent, débattent. « On a discuté de l’école, de ce qui n’allait pas, se rappelle Isabelle Darras, professeure de lettres classiques. Puis on a appris que le département votait le budget pour construire un nouveau collège à Aubervilliers. » C’est le déclic : et si cet établissement à naître, dont les plans ne sont même pas encore dessinés, était justement l’occasion de repenser un collège différent ?

Au départ, ils sont quelques profs et un CPE (conseiller principal d’éducation), exerçant tous en zone « difficile ». Ils se réunissent dans un collectif, puis créent l’association pour un collège coopératif et polytechnique à Aubervilliers (A2CPA). Aujourd’hui, ils sont une dizaine de permanents, plus une trentaine de curieux réguliers.

Ils mettent une contrainte à leur imagination : le collège sera public et respectera la carte scolaire. « On fait un collège pour nos élèves, insiste Vincent Boroli, professeur d’EPS dans le 19e. On a envie d’offrir un service public d’éducation de meilleure qualité, et ce dans une des villes les plus pauvres de France. »

L’éducation nationale, usine à élèves ?

Trop d’élèves par classe, manque de moyens, direction parfois autiste. Tous sont insatisfaits des conditions dans lesquelles ils exercent leur métier. « On a plus l’impression d’être dans une logique d’usinage de l’éducation que dans un métier où on prend en compte l’humain. L’éducation nationale est basée sur un modèle très vertical où l’on applique des décisions sans avoir l’impression d’en être les auteurs », dénonce Vincent.

« Aujourd’hui dans le secondaire, les conditions ne sont pas créées pour que les professeurs travaillent en équipe. Or la transmission des savoirs est une affaire collective », observe André Sirota. Ce chercheur et professeur en psychologie à l’université Paris-Ouest, spécialiste de l’éducation, soutient activement le collectif.

Mais attention, avertit Séverine Labarre, professeure de lettres modernes, « on n’a pas pensé les choses en fonction de ce qu’on n’aime pas dans l’éducation nationale, on l’a construit en fonction de ce que l’on voudrait. »

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Régulièrement, le collectif organise des ateliers avec la population du quartier du futur collège. Ici un atelier jardin.

Révolutionner le collège

Le collectif se réunit toutes les deux semaines. Il fait du « tourisme pédagogique » dans les établissements appliquant des pédagogies alternatives, prend des journées entières pour réfléchir pendant les vacances scolaires.

Peu à peu, le projet se dessine. Emploi du temps, hiérarchie au sein de l’établissement, méthodes de travail en classe ou entre profs, tout est remis à plat.

Il faut d’abord lutter contre l’anonymat dans un établissement programmé pour avoir 600 élèves. L’idée est de le diviser en trois « maisons » de 200 élèves, chacune accueillant tous les niveaux, avec ses salles, ses profs, ses activités.

Il faut aussi démocratiser la vie de l’établissement. Chaque classe tiendra conseil une fois par semaine pendant une heure. Ordre du jour, tour de parole, maître du temps : les enfants dirigent la séance. « C’est un espace pour apprendre à gérer les conflits par la parole, avec un rituel qui permet d’instituer un climat d’écoute », explique Vincent.

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Des conseils d’élèves à l’assemblée de classe, le but est de démocratiser le fonctionnement du collège.

Au-dessus, les conseils de maison et de collège fonctionnent sur le même système et intègrent élèves, profs, personnel de l’établissement. Ces heures de concertation sont formalisées dans l’emploi du temps des élèves et des adultes. « On passera plus de temps dans l’établissement, mais moins de temps à brasser de l’air, espère Adeline. Il s’agit de partager le pouvoir. C’est une révolution au collège. »

Apprentissage de la citoyenneté

Autre révolution, l’enseignement polytechnique. Au sein de l’établissement, un jardin pédagogique et un atelier vélo sont prévus. Une façon de « décloisonner les matières ». « Dès la sixième, l’élève entre dans un système avec des profs ultra-spécialisés chacun dans leur matière et n’arrive plus à articuler les savoirs, on ne fait plus le lien entre le théorique et le pratique », regrette Vincent Boroli. Ainsi, le projet propose par exemple de mesurer son rythme cardiaque en sport pour faire le lien avec les cours de biologie, ou d’apprendre les surfaces en mathématique à travers le projet de repeindre une salle de classe.

Cette organisation devra permettre un « meilleur apprentissage des savoirs et de la citoyenneté, espère le chercheur André Sirota. Des objectifs souvent affichés dans les discours de l’éducation nationale, mais peu présents dans les faits… »

Remettre en cause le système de l’intérieur

Le projet a été plutôt bien accueilli. In extremis, et après accord de l’éducation nationale, le département, qui gère la construction, a invité le collectif à rencontrer les architectes du futur bâtiment. « On a pu obtenir l’organisation du collège en trois escaliers pour les trois maisons, des lavabos dans toutes les salles pour les ateliers, des tables déplaçables, etc. », se félicite Adeline. Ce n’est pas pour autant que leur projet est accepté. Le collège doit officiellement ouvrir ses portes en 2017, il y a le temps, mais le chemin au sein de la hiérarchie éducative est long. L’académie de Seine-Saint-Denis semble plutôt les soutenir. Au-dessus, le rectorat de Créteil demande encore à être convaincu.

Car ce projet de collège qui se veut « différent » est d’autant plus subversif qu’il veut s’intégrer au sein de l’éducation nationale. « Cela remet en cause le système de l’intérieur », note Adeline Besson.

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L’organisation idéale du collège selon le collectif.

Une petite révolution que tous les membres du collectif ont déjà entamé au sein de leurs établissements. En français, Isabelle laisse régulièrement ses élèves choisir les textes. Vincent a tenté une classe sans notes. Séverine a introduit des conseils d’élèves dans ses classes. Et tous organisent désormais leurs réunions de profs à la manière des conseils coopératifs, pour réapprendre à travailler ensemble.


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Source et photos : Marie Astier pour Reporterre

Dessin : © Red !/Reporterre

 

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