Reporterre suit la plus grande conférence mondiale sur le climat. Aujourd’hui, les scientifiques ont exposé les conséquences irréversibles du dérèglement climatique sur la biodiversité.

Comme la salamandre, la croyance populaire prête au cafard des capacités de survie hors du commun qui en ferait le seul survivant d’une apocalypse nucléaire ou de l’impact d’un astéroïde. Et pourtant, selon les recherches de Roselli Pellens du Museum d’histoire naturelle, le cancrelat pourrait bien disparaître des forêts d’Amazonie, écrasé par le changement climatique : « Nous avons étudié l’évolution de son habitat d’ici à 2050 et, dans le meilleur des cas, il ne subsistera que 4,38 % de la surface actuelle qui puisse l’accueillir, résume cette évolutionniste. Car, en réalité, ces insectes ont très peu de mobilité dans leur habitat : ils ne peuvent pas nicher dans une forêt replanter, ni s’adapter à une nouvelle forêt. » En cette deuxième journée de la conférence Common Future under Climate Change, l’évocation des scénarios d’évolution des températures s’est accompagné d’autres projections tout aussi inquiétantes : les scénarios de biodiversité qui tentent de simuler à partir des données disponibles la façon dont animaux et végétaux ont réagi jusqu’ici à l’évolution du climat et comment les changement à venir pourrait affecter leur répartition sur notre planète.

La course à la fraîcheur

A l’instar des deltas urbanisés et des Etats tropicaux souvent pointés comme victimes du changement climatique, tous les habitats naturels voient leur fonctionnement bouleversé. Mais la réflexion à partir de « température moyenne » et autres « tendances » cache un glissement de climat permanent qui pousse les espèces capables de le faire à un exil forcé. Au lieu de « plaques » bien coloriées sur des schémas scientifiques,ce sont en réalité des frontières mouvantes, les lignes isothermes, le long desquels la température est homogène et donc l’habitat propice à telle ou telle espèce. Que la température se réchauffe au Sud et la frontière remonte vers le Nord, ainsi que les animaux ou végétaux incapables de supporter les nouvelles températures.

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Sous l’effet du changement climatique, les espèces accélèrent leurs déplacements, passant de quelques kilomètres par décennie à des centaines en quelques années

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« Il ne s’agit pas d’une sensibilté relative mais d’une question de survie, insiste la chercheuse texane Camille Parmesan, basée à l’université de Plymouth. Pour survivre aux températures ou à l’évolution des conditions de vie, les espèces mobiles opèrent des migrations parfois spectaculaires : 200 kilomètres en cinq ans pour le papillon Empereur Pourpre, autant pour le cabillaud de l’Atlantique. Les espèces incapables de se déplacer, elles, dépérissent.

[schéma – Vellocité terrestre : « A partir des données de l’IUCN (organisme international de veille sur la disparition des espèces), des scientifiques ont évalué les distances que pouvaient parcourir les espèces terrestres en une décennie. Laquelle vitesse s’accélère sous la pression du changmeent climatique. »]

D’autres se heurtent à la limite infranchissable de l’altitude : autrefois familiers des sentiers des Rocheuses américaines où son museau mutin apparaissait aux promeneurs barré d’un fleur de montagne, l’adorable pica américain se raréfie à mesure que les sommets se réchauffent. A moins d’apprendre à voler, cette adorable bestiole disparaîtra bientôt faute d’habitat.

Une question de taille

Dans les océans, les deux limites infranchissables aux espèces sont l’équateur et les pôles. Déjà plus chaudes que le reste de la planète, les eaux équatoriales voient se multiplier les disparitions d’espèces. Systématiquement plus frais que les autres étendues d’eau, Arctique et Antarctique voient affluer du monde entier des espèces invasives qui bouleversent les équilibres dans la chaîne alimentaire. En attribuant à chaque poisson la valeur de la température de son habitat, William Cheung a évalué qu’entre 1970 et 2000, la « température-poisson » des prises de pêche s’était élevée de 0.7°C à 1°C (pour le Nord-Ouest du Pacifique). En clair, des poissons des mers chaudes se mêlent de plus en plus au fretin des mers froides.

Mais un phénomène parallèle à celui-ci vient bouleverser plus encore les équilibres marins. « Plus les eaux sont chaudes, moins elles contiennent d’oxygène or un lien clair a été établi entre la taille des poissons et la disponibilité en oxygène. Conséquence de quoi, le réchauffement des eaux fait rapetisser les poissons, résume le scientifique. Or les écosystèmes marins sont intimement liés à la taille de leurs habitants. »

Protéger les loutres et devenir végétarien pour sauver l’atmosphère !

Outre le bouleversement des pêches, des cultures et des espaces naturels, une dernière conséquence achève de rendre l’équation de la biodiversité face au changement climatique plus complexe encore à résoudre : de nombreux individus captent le CO2 rejeté en excès par l’humanité ou entretiennent les systèmes qui assurent cette « captation naturelle ».

« La moitié des émissions de CO2 d’origine anthropique sont absorbées par des puits de carbone naturels », explique Corinne Le Quere, professeur de climatologie à l’université East Anglia et directrice du Tyndall Centre for Climate Change. La nécessité de lutter contre l’acidification des océans pour sauver les coraux (grands mangeurs de carbone) est bien connue. Mais, selon Paul Leadley de l’équipe Ecologie des Populations et des Communautés à l’université Paris Sud, si nous ne protégeons pas les poissons herbivores qui nettoient les environs de ces puits de carbone, les récifs coraliens ne survivront pas. Sous ses airs goguenards, la loutre de mer, en dévorant ses plateaux de fruits de mer à base d’oursins, entretient les forêts de kelp et assure le recyclage de 4,4 à 8,7 millons de tonne de CO2 par an !

Lutter contre l’appauvrissment de la biodiversité constitue donc une réponse au changement climatique et réciproquement. Mais cette perspective ouvre également des « réponses croisées ». « Le changement de régime alimentaire constitue une réponse croisée aux problématiques du changement climatique et de biodiversité. Si nous adoptons tous le régime américain, nous sommes foutus, résume vertement Paul Leadley. Si nous décidons à l’inverse d’adopter un régime plus sobre, moins carner, cela signifie moins de zones cultivées pour le fourrage, plus d’espaces naturels et donc des réservoirs de biodiversité. » Hypothèse la plus favorable pour compenser le changement climatique : un monde végétarien. Pas sûr que les négociations de la Cop21 se déroulent dans votre frigidaire.


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Source : Sylvain Lapoix pour Reporterre

Images :
. dessin : tOad pour Reporterre

L’article original est accessible ici