Deux mille personnes se sont retrouvées à Bure le 7 juin pour marcher contre Cigeo. L’événement lance une lutte d’ampleur contre la “poubelle nucléaire”, à deux ans du permis de construire – ou non – délivré par l’Etat.

 Bure (Meuse), reportage

“Bienvenue les courageux ! Bienvenue sur le site de la résistance”. A leur arrivée devant le laboratoire de l’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs) installé à Bure, les randonneurs sont accueillis par une haie d’honneur. A 13 heures, ce dimanche 7 juin, tous les participants ont achevé leur parcours pour les 100 000 pas à Bure, et les festivités peuvent commencer. Le but : montrer que Cigéo, le projet d’enfouissement des déchets nucléaires prévu dans la Meuse ne bénéficiera pas de l’inaction des populations locales, et que la résistance est et sera vive.

Pour cette nouvelle mobilisation, BureStop, Bure Zone Libre, CEDRA 52, EODRA et les Habitants vigilants de Gondrecourt-le-Château ont réuni deux mille personnes pour les 100 000 pas.

Des causes de mobilisations multiples

JPEG - 270.4 ko
La chaine autour du laboratoire de l’Andra, où Cigeo serait creusé

Deux mille personnes dans Bure, commune de 92 habitants, où est censé s’implanter Cigéo : Cigéo est le projet qui consiste à enfouir 80 000 mètres cubes de déchets radioactifs à 500 mètres sous terre. Un projet “pas sérieux, fragile et sensible”, comme le qualifie Bertrand Thuillier, ingénieur agronome et expert indépendant. « Les gens à l’origine de la construction de Cigéo ne sont même plus là. C’est comme si on nous avait mis dans un navire, et que le capitaine et le chef des chaloupes étaient en train d’abandonner le navire. »

L’autre cause de résistance des militants présents devant le laboratoire de l’Andra : le projet Syndièse à Saudron, qui veut gazéifier les forêts pour en faire du diesel de synthèse. Un projet au rendement plus que douteux : « Le prototype engloutirait entre 90 et 115 000 tonnes de bois par an pour alimenter l’équivalent d’un an de carburant pour 3000 véhicules. D’autant plus que cette industrie consommerait en énergie l’équivalent d’une ville de trente mille habitants », explique Régine Millarakis, membre des Habitants vigilants de Void et de Mirabel Lorraine Nature Environnement.

En fait, le nucléaire colonise peu à peu la région avec des projets de ce type. La plateforme logistique de Void, qui accueille des camions transportant de l’uranium en est un autre exemple, tout comme l’installation des archives d’EDF. « L’achat des consciences est énorme ! », s’exclame Michel Marie, membre de la CEDRA, une des organisations à l’origine de l’événement. Opposant depuis 22 ans au projet Cigéo, il dénonce un déni démocratique, mais constate que la mobilisation connait un renouveau.

Un nouveau souffle dans la lutte contre la “poubelle nucléaire de Bure”

JPEG - 278.6 ko
« Pour les enfants » : le nucléaire, électricité aujourd’hui, déchets pour les générations suivantes

« En 1993, tout le monde est monté au créneau à l’annonce du projet, explique Michel Marie, mais ensuite, le soufflé est retombé » et la mobilisation s’est tassée. Michel Marie et la CEDRA ont fait partie des opposants qui ont continué de résister. « Parfois on croise des gens dans la rue qui nous disent : ’C’est bien que vous vous opposiez !’ Mais la seule chose que j’ai envie de leur répondre, c’est : Et vous ?’« 

Les 100 000 pas de dimanche sont en tout cas un succès, qui a même vu la mobilisation de cinq tracteurs, une première dans la région où les agriculteurs craignent les conséquences sur leurs activités agricoles d’une opposition trop franche.

JPEG - 255.2 ko
Pour la première fois dans la région, les paysans s’engagent contre les déchets nucléaires

L’enjeu : donner un fort écho médiatique à l’enfouissement des déchets nucléaires pour créer une résistance pérenne, qui pourrait prendre la forme d’une ZAD, une résistance semblable à celle de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes et du barrage de Sivens. « C’est grave que des zones humides soient préemptées pour un aéroport qui a déjà son équivalent, c’est grave d’envisager de faire un barrage de cette ampleur sans en avoir besoin, mais là aussi c’est grave d’assembler une bombe atomique sous terre », commente Daniel Monnier, élu local très concerné par le projet et membre du Parti de Gauche.

Un mot d’ordre donc : résistance, et ambiance festive. Les 100 000 pas ont commencé par les départs de quatre randonnées, des “rando-actives” de 17 à 5 km de distance. « L’intérêt des marches était de faire découvrir ce territoire mis à mal par ce projet aux randonneurs, et elles avaient également un côté festif », explique Florent Compain, président des Amis de la Terre. Toutes convergeaient vers le lieu de lutte, où un pique-nique était organisé ainsi que des stands et des concerts. Parmi les musiciens, le groupe des Bure Haleurs ou la chorale révolutionnaire de Verdun. A 15 h, la journée a atteint son point d’orgue avec la mise en place d’une chaîne humaine de plusieurs kilomètres entourant toute la circonférence des installations de l’Andra, au rythme de l’hymne de la résistance, un chant des partisans revisité pour Cigéo : “Ami, entends le silence de tous ceux qu’on fait taire”.

Le lien avec Fessenheim et l’Allemagne

Des militants, des Meusois, des Allemands, des familles… Pour beaucoup, des résistants au nucléaire depuis la première heure. Marie-Reine vient de Mulhouse, elle milite contre Fessenheim depuis les années 1970 : « On a fait notre vie avec ce combat. Mais au départ, quand on a posé la question de la gestion des déchets nucléaires, personne n’a voulu nous répondre. Aujourd’hui, on est ici parce qu’on veut fermer Fessenheim et arrêter la production de déchets nucléaires. »

Parmi les personnes présentes, la centrale de Fessenheim est d’ailleurs un sujet récurrent. Céline, qui vient d’Hayange avec sa famille, reconnaît s’être déplacée pour la première fois pour les 100 000 pas. « On suit depuis le début mais on n’est jamais venus, et si tout le monde fait pareil, c’est la porte ouverte à tout », témoigne-t-elle, « Mais on voit que les promesses ne sont pas tenues, notamment pour la fermeture de la centrale, et ça fait peur pour les enfants. »

Le nucléaire est un enjeu international, car il n’existe pas de frontière pour la radioactivité. L’Allemagne pourrait souffrir d’un accident nucléaire proche de sa frontière. Conscients de ce danger, des militants allemands ont donc rejoint les 100 000 pas. « Hollande a promis de fermer Fessenheim et il ne le fait pas, constate Elfriede Roeder, Allemande venue de Fribourg pour soutenir l’opposition à Cigéo. « Mais il y a des risques dans notre région à cause de Fessenheim, et évacuer Fribourg serait impossible ». Elle aussi milite pour une résistance plus forte, mais surtout internationale. « Les opposants français et allemands au nucléaire devraient se réunir. »

La mobilisation n’en est donc qu’à son début, mais bat déjà fort. Dans les mois à venir, d’autres actions devraient venir compléter la lutte. Des randonnées, des balades à vélo… Pour les organisateurs comme les militants, une chose est sûre : « A deux ans de l’échéance, c’est maintenant qu’il faut agir. »


Source : Natacha Delmotte pour Reporterre

Photos : ©Natacha Delmotte/Reporterre