Par Marie-Florence Bennes

Trois jours après le terrible séisme, de magnitude 7,9, qui a dévasté le Népal, samedi 25 avril 2015, à 11h56 heure locale (8h11 en France), alors que les secours s’organisent et que le bilan des pertes humaines s’alourdit, des spécialistes des questions tectoniques en Himalaya livrent leurs premières analyses.

« Le fait qu’il y ait eu un grand séisme au Népal ne nous a pas surpris. Le précédent tremblement de terre à Katmandou datait de 1934. Il faut se souvenir que le dernier grand séisme en Himalaya a eu lieu en 2005 au Pakistan et qu’il a fait presque cent mille morts. Il était un peu moins fort que celui du week-end dernier dans la capitale népalaise. C’est pourquoi, nous restons prudents face aux chiffres officiels faisant état, aujourd’hui, de quatre mille morts au Népal, car connaissant le terrain, nous craignons que les chiffres ne grimpent encore et changent d’ordre de grandeur.

Beaucoup d’endroits au Népal sont inaccessibles. À Katmandou, les autorités n’ont pas de contact avec les villages. C’est un pays de montagne où les gens sont dispersés dans des villages accrochés à flanc de montagne, sans information, sans communication. Hélas, le bilan risque d’être beaucoup plus lourd. Les informations reçues sont celles de Katmandou, du bassin de Katmandou, pas de la montagne.

L’Himalaya, comme un élastique qui se tend et qui casse

La cause initiale du séisme est la déformation de l’Himalaya. Elle est liée à la convergence entre l’Inde et l’Asie qui se produit depuis des millions d’années. Elle dure encore aujourd’hui continuellement, régulièrement. Nous pouvons la mesurer grâce à un système de GPS spécialisé. Elle est de l’ordre de 40 mm par an. Il faut savoir que dans la chaîne himalayenne, il y a 20 mm de raccourcissement par an. Pour être plus clair, entre la frontière chinoise et les frontières indienne et népalaise, il y a un rapprochement de 2 cm par an à peu près. C’est comme un élastique resserré. À un moment, il casse et un séisme se produit. L’ordre de mesure du déplacement lors des grands séismes est de plusieurs mètres. Cela se produit une fois par siècle, environ tous les quatre-vingts ans dans la région de Katmandou.

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Namche Bazar, le dernier bourg avant les camps de base de l’Everest (Crédit photo : Christian Rausch)

L’épicentre était à environ 80 km au nord-ouest de la capitale, dans les montagnes. L’altitude ne veut rien dire. L’important est la profondeur. Ce séisme s’est produit à une quinzaine de kilomètres de profondeur. Le risque majeur dans ces régions, ce sont les glissements de terrain, les avalanches, comme sur l’Everest. Tous les villages, qui sont à flanc de montagne, peuvent être déstabilisés et parfois emportés vers l’aval. Au Cachemire, il y a eu des morts plusieurs mois après le choc principal lié à ces problèmes de sols instables.

Nous avons des contacts permanents en Inde, au Népal, ainsi qu’avec le Département de sismologie népalais et l’Université de Katmandou. Nous les avons contactés, ils sont en bonne santé.

L’urgence humanitaire est l’urgence absolue

La question maintenant est de savoir comment nos pouvons intervenir. Comment utiliser notre savoir-faire scientifique pour la suite ? Quelle zone a rompu ? Il faut évaluer les risques, prévenir pour l’avenir sur les aspects effet de sites, regarder les zones touchées et identifier les glissements de terrain. Il y a une certaine urgence qui n’est toutefois pas aussi urgente que le problème humanitaire qui est l’urgence absolue. C’est important pour nous et pour les populations d’identifier les zones susceptibles de bouger, éventuellement de se déplacer. Nous prévenons les autorités pour qu’elles prennent des mesures selon leurs moyens dans les zones qui risquent d’être affectées dans les mois ou les années à venir.

Un autre problème majeur est la mousson qui va arriver dans deux mois. Ces pluies torrentielles vont déstabiliser un grand nombre de terrains qui sont déjà très endommagés. Le séisme est unshaker, toutes les roches ont été bougées, les terres fragilisées, des pluies peuvent provoquer de graves glissements de terrains. Il y a urgence.

Nous avons en mémoire notre expérience du séisme au Pakistan en 2005, où il y a eu un grand nombre de morts dans les mois et les années qui ont suivi. Le gouvernement avait installé, pour les réfugiés, des villages de tentes sur les terrasses basses. Avec les glissements de terrain, la rivière a été bloquée, les gens ont été piégés. »


Ce texte a été écrit après entretien à l’Institut des Sciences de la Terre (ISTerre) de l’Université Grenoble Alpes (Joseph Fourrier, Université de Savoie) auquel ont participé :
• Stéphane Guillot, Directeur de Recherche au CNRS, Directeur du laboratoire ISTerre (Institut des Sciences de la Terre Université Grenoble Alpes (Joseph Fourrier, Université de Savoie) Spécialiste de la chaîne himalayenne.
• François Jouhanne, Professeur de sismotectonique à l’Université de Savoie, laboratoire ISTerre Spécialiste de GPS évaluant le mouvement des plaques à travers l’Himalaya.
• Jean Louis Mugnier, Directeur de Recherche au CNRS ISTerre, spécialiste de la tectonique active en Himalaya.
• Julia de Sigoyer, Professeur de Tectonique ISTerre Grenoble Alpes (Université Joseph Fourrier), spécialiste de l’Himalaya.

L’article original est accessible ici