15 mois après son élection, le ¨chauffeur d’autobus¨ (1) Nicolas Maduro, cet ex-syndicaliste du transport public, ce militant bolivarien méprisé par les professionnels de la politique, celui que Chavez proposa aux électeurs parce qu’il était le seul sans écurie, sans ambition personnelle, accélère le dynamitage de l’État ancien. Certes, c’est depuis 1999 que la révolution bolivarienne construit la démocratie participative mais en juillet 2014, dans la parfaite invisibilité médiatique, elle lance l’expérience la plus poussée de participation citoyenne dans l’histoire de la gauche mondiale.
On comprend la fébrilité de l’extrême droite vénézuélienne dont les récentes violences appuyées par les paramilitaires colombiens et la CIA (2) ont été déguisées en ¨révolte étudiante¨ par les grands médias (3). Il ne s’agit plus seulement de récupérer les impressionnantes réserves de pétrole ou de freiner l’unification de l’Amérique Latine. La déstabilisation se fait urgente parce que l’approfondissement du pouvoir citoyen éloigne chaque jour un peu plus la possibilité de rétablir l’autoritarisme néo-libéral, les privatisations et la répression des mouvements sociaux.
Conformément aux engagements du programme sorti des urnes d’avril 2013 (4), le président Maduro annonce pour la mi-août un ¨sacudón¨ (forte secousse) des institutions gouvernementales : ¨Nous révisons à la loupe tous les portefeuilles ministériels, le degré de réalisation de leurs objectifs ainsi que le niveau de production des entreprises d’État. Nous allons maximiser l’efficacité du gouvernement dans la rue (5) et toute l’action de l’État pour transférer le pouvoir à la population. Nous n’avons pas rebaptisé nos ministères ¨du pouvoir populaire¨ pour le plaisir de leur coller une belle étiquette mais pour mettre l’État au service du peuple. Nous devons construire un système de gouvernement populaire qui ne soit pas un aimable slogan pour se souvenir de Simón Rodríguez ou de Hugo Chávez. Il est hors de question que la révolution s’arrête une seconde. Elle doit continuer à se déployer dans toutes les sphères de la vie¨ a-t-il rappelé aux ministres.
« La droite croit qu’il s’agit de changer des ministres, non, ce n’est pas l’essence de ce que nous faisons. Le centre du travail est de changer l’État, ses procédures, l’échafaudage monté par le capitalisme pour que la rente pétrolière serve à tout et à rien à la fois » explique le vice-président Jorge Arreaza.
Assemblée paysanne et indigène en vue de rédiger une liste de propositions au gouvernement, Sud du Lac de Maracaibo, juillet 2014.
Pour l’aider à ¨chambarder l’État¨, Maduro appelle depuis quelques mois les mouvements sociaux et le Parti Socialiste Unifié du Venezuela (PSUV) à lui transmettre des propositions concrètes. Le vendredi 18 juillet il s’est rendu dans l’État de Lara à la rencontre d’une assemblée de communes de tout le pays pour y concrétiser officiellement la promesse faite lors d’une assemblée antérieure de délégués communaux (6) : la création d’un Conseil permanent d’articulation entre la présidence et les communes pour que celles-ci dialoguent directement avec le gouvernement, fassent des propositions, définissent des priorités et expriment leurs critiques.
Dans cette réunion de travail avec 300 porte-paroles de diverses instances d’auto-gouvernement communal, Maduro a approuvé leurs premières propositions. Comme celle de créer des conseils du pouvoir citoyen dans les ministères: “Chaque ministère doit posséder son conseil de pouvoir citoyen comme espace permanent pour travailler la main dans la main et éliminer la bureaucratie. Nous sommes en train de travailler sur un plan de transformation totale de l’Etat ; et plus précisément de cet Etat élitaire dont le bureaucratisme, la corruption, l’indolence, la lenteur sont les maîtres-mots. Il est de notre devoir de le transformer de fond en comble. Nous avons besoin de briser le blocage que nous nous imposons nous-mêmes et de rompre avec les schémas qui nous limitent, qui sont ceux de l’État élitaire, lui-même descendant de l’État colonial, répresseur, autoritaire, raciste et voué au pillage. Parce que là où s’impose la bureaucratie s’impose l’incommunication. Et l’unique mode de restructuration souhaitable, est celui qui consiste à associer à ce changement fondamental, le peuple désormais conscient de ses propres capacités¨.
Nicolas Maduro, le 18 juillet, dans l’État de Lara, crée le conseil permanent présidence/communes.
Des critiques populaires…
Avant de remettre leurs propositions au gouvernement, les 17 tables rondes des organisations communales ont dressé la liste des principaux ¨noeuds critiques¨ : le manque d’articulation entre les différents corps ministériels chargés de travailler avec les organisations communales et la multiplication d’intermédiaires et d’interlocuteurs qui compliquent la tâche des auto-gouvernements communaux et génèrent une perte considérable de temps; La déficience de formation socio-politique des serviteurs publics; La nécessité de revoir les lois et d’en édicter de nouvelles pour le renforcement des communes; L’absence d’espaces de coordination entre les instances municipales et régionales des missions sociales et les instances du pouvoir communal; La faiblesse du suivi de l’exécution des politiques du gouvernement bolivarien au sein des communes; La présence permanente de contenus violents et d’images discriminatoires envers la femme et les minorités sociales dans les médias privés hégémoniques au Venezuela et la promotion d’une culture de la violence, de l’individualisme et du consumérisme dans la population; ou encore la persistance de pratiques de pollution et de déprédation de l’environnement sur le territoire des communes, notamment dans le traitement des eaux usées et l’usage de techniques agricoles ayant un impact négatif sur l’environnement.
… aux propositions populaires.
La machine s’est accélérée : trois jours plus tard, un peu plus de 200 Communard(e)s venus de tout le pays se sont réunis à Caracas pour la première réunion de la Commission Présidence/Communes. Cinq tables-rondes ont planché sur les axes suivants : Centre National du Commerce Extérieur (Cencoex) ; Banque Communale ; Agriculture et Terres ; Commission Nationale des Télécommunications (Conatel), Loi de Responsabilité sociale à la Radio et à la Télévision; Planification Territoriale. Des propositions issues de cette première session de travail émerge le profil de l’État communal.
Enfants de la Commune d’El Rosillo (État d’Anzoategui)
Table-ronde n°1 : Centre National du Commerce Extérieur (Cencoex) :
– Obtenir des devises pour la consolidation des unités socio-productives communales existantes.
– Renforcer l’industrialisation des systèmes de production.
– Contribuer à la sécurité alimentaire.
– Efficacité renforcée du modèle économique socio-productif communal.
– Faire en sorte que la triangulation « pouvoir populaire/Ministère des Communes/Cencoex » devienne réalité.
– Gérer des licences d’importation afin d’accéder aux devises.
– Elaboration d’un registre unique recensant les unités socio-productives Communales.
– Activation de commissions mixtes.
– Simplification des diverses démarches à remplir.
– Exonération d’impôts durant les premières étapes.
– Assurer la protection douanière des produits issus des Communes.
Table-ronde n°2 : Banque Communale.
– Réaménagement du système bancaire public et consolidation parallèle de la nouvelle institution financière communale.
– Distinguer Banque Communale et Banque privée. Ces deux systèmes distincts ne peuvent et ne doivent en aucun cas se confondre.
– Traitement égalitaire des producteurs Communaux.
– Garantir la viabilité et la pérennité financières de la Banque Communale.
– Prendre en considération les spécificités de chaque Commune.
– Organiser des tables-rondes pour établir les besoins financiers de chaque Commune.
– Créer un système pour que la Banque Communale puisse financer les projets sociaux de la Communauté.
– Assurer la formation des communards sur le plan financier.
– Enregistrement des communes auprès de l’office unique du Ministère des Communes.
Table-ronde n°3 : Agriculture et Terres.
– Créer des unités ¨Ecopatrias¨.
– Mettre en place des ateliers de formation en agro-écologie.
– Promouvoir la création d’entreprises de propriété sociale (EPS) communales. Assurer la rotation des cultures et la pratique du troc inter-communal.
– Création de fermes intégrales.
– Développer la filière ¨Ecopatria¨ afin de réaliser des fertilisants et des produits écologiques.
– Veiller à éliminer toute bureaucratisation des systèmes en place.
– Revoir et superviser – de concert avec les communards – les diverses attributions de crédits.
– Soutenir les pratiques d’agriculture artisanale.
– Améliorer les voies de transport agricoles.
– Recenser les terrains en jachère dépendant du Ministère de l’Agriculture et de la Terre pour les transférer aux Communes.
Table-ronde n°4 : Conatel (Loi de Responsabilité Sociale des Médias).
– Renforcer les radios et télévisions communautaires.
– Évaluer et contrôler les contenus des programmes transmis par les compagnies de câble (sexe, violence, racisme etc…)
– Transformer la Loi de Responsabilité Sociale pour garantir la libre expression de la population.
– Revoir ce qui est respecté et ce qui ne l’est pas dans la Loi de Responsabilité Sociale.
– Travailler avec les médias alternatifs et communautaires.
– Faire en sorte que le plus grand nombre de porte-paroles des communes puissent participer à l’élaboration des dispositions légales que promulgue la Commission Nationale des Télécommunications.
– Edicter une Loi Organique des Conseils exécutifs nationaux en charge de la Communication.
– Favoriser la création de chaînes de télévision (communautaires) dans chaque commune.
– Constituer des équipes inter-disciplinaires des Communes comme parties prenantes du secteur de la Communication au niveau national.
Table-ronde n°5 : Planification territoriale.
– Réforme de la Loi des Terres, des Parcs et du Cadastre pour reconnaître les communes comme espaces d’auto-gouvernement.
– Oeuvrer à la reconnaissance des Communes à tous les échelons territoriaux.
– Promouvoir la Loi de Transfert de Compétences aux Communes.
– Travailler à la reconnaissance de toutes les instances nouvelles d’auto-organisation.
– Encourager l’épanouissement de la souveraineté territoriale de chaque Commune.
– Convoquer un grand débat national sur la Loi du Territoire Communal.
– Activer les mécanismes de planification territoriale.
– Articuler avec les Communes et les Régions stratégiques de Développement Intégral (Redi).
La militante Yanina Settembrino -porte-parole du courant « Bolivar et Zamora »- a insisté sur le caractère sans précédent de l’événement : « je ne pense pas qu’il existe où que ce soit dans le monde, l’équivalent politico-organisationnel de notre Conseil présidentiel de Gouvernement Populaire Communal ». Carlos Alvarado -Communard originaire de l’état agricole de Guarico- insiste aussi sur le fait que « nous sommes en train de vivre un moment historique exceptionnel, car chaque jour qui passe voit le pouvoir Communal se consolider un peu partout au Venezuela ».
“Nous avons beaucoup de pain sur la planche, nous nous battons tous les jours avec la bureaucratie et les conspirations de droite pour rendre possible ce projet inscrit dans la Constitution de la République Bolivarienne” précise le Ministre des Communes Reinaldo Iturriza, ajoutant que le président Chavez liait ce projet à la construction d’une nouvelle institutionnalité basée fondamentalement sur les conseils communaux et les communes. Le Ministre a rappelé que la majorité des communes enregistrées ont créé leurs instances d’auto-gouvernement et produisent, l’enjeu étant de renforcer cette productivité et d’éliminer les obstacles qui entravent leur potentiel.
Thierry Deronne, Caracas, 24 juillet 2014
Traductions : Jean-Marc del Percio
Notes :
(1) C’est ainsi que la droite qualifie le président élu, le considérant comme indigne de la fonction présidentielle parce qu’il vient du monde du travail.
(2) Lire ¨Brévissime leçon de journalisme pour ceux qui croient encore à l’information¨, http://venezuelainfos.wordpress.com/2014/02/22/brevissime-cours-de-journalisme-pour-ceux-qui-croient-encore-a-linformation/ et ¨Comment la plupart des journalistes occidentaux ont cessé d’appuyer la démocratie en Amérique Latine¨, http://venezuelainfos.wordpress.com/2014/03/16/comment-la-plupart-des-journalistes-occidentaux-ont-cesse-dappuyer-la-democratie-en-amerique-latine
(3) ¨Le Venezuela montre que les manifestations peuvent aussi être une défense des privilèges¨, http://venezuelainfos.wordpress.com/2014/04/16/le-venezuela-montre-que-les-manifestations-peuvent-aussi-etre-une-defense-des-privileges-par-seumas-milne-the-guardian/
(4) ¨Ce que va faire la révolution bolivarienne de 2013 à 2019¨, http://venezuelainfos.wordpress.com/2013/04/15/ce-que-va-faire-la-revolution-bolivarienne-de-2013-a-2019/
(5) ¨Nous t’écoutons Claudia¨, http://venezuelainfos.wordpress.com/2013/05/06/nous-tecoutons-claudia/
(6) ¨Venezuela, la profondeur de la démocratie participative cachée par les médias occidentaux¨, http://venezuelainfos.wordpress.com/2014/06/06/photos-venezuela-la-profondeur-de-la-democratie-participative-cachee-par-les-medias-occidentaux/
Sources (espagnol) de cet article :
http://www.ciudadccs.info/2014/07/maduro-instala-primer-consejo-presidencial-comunal-en-lara/
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