Manifestation des indignés espagnols à Barcelone le 27 mai 2011

Par Nathalie Pédestarres pour Bastamag

Conflits d’intérêts et collusions menacent l’indépendance de la justice, estiment des magistrats espagnols. Certains d’entre eux, qui s’intéressent de trop près à des affaires sensibles, se retrouvent victimes d’acharnement judiciaire ou sont écartés de leurs fonctions par le pouvoir politique. Une situation que dénoncent des avocats et juges. Solidaires des mouvements sociaux, ils participent également à la résistance contre des lois nationales jugées de plus en plus rétrogrades.

Des magistrats au service des mouvements sociaux

Depuis la Constitution de 1978, négociée au sortir de la dictature franquiste, les membres du Tribunal suprême – la plus haute instance pénale – sont nommés par le Conseil général du pouvoir judiciaire, lui-même élu par le Parlement. Pour renforcer cette dépendance, l’actuel ministre de la Justice, Alberto Ruiz-Gallardón, vient de faire passer une nouvelle loi pour réorganiser la Justice. Une réforme plutôt mal reçue par les magistrats et les avocats, car elle renforce l’immunité parlementaire, mettant à l’abri les députés, dénonce l’avocat Jesús Gimenez Gallo. Il fait partie de cette génération de juristes espagnols progressistes, ouvertement critiques vis-à-vis de l’exécutif et s’engageant pour la défense des citoyens.

Avec l’imposition de mesures d’austérité par la « Troïka » (Banque centrale européenne, Commission européenne, Fonds monétaire international), de nombreux avocats et juges se sont montrés solidaires des mouvements de défense des droits sociaux. Le juge barcelonais José María Fernández Seijo, membre de l’association Juges pour la démocratie (Jueces para la Democracia), a, par exemple, saisi la Cour européenne des Droits de l’Homme pour démontrer que la législation espagnole en matière de crédits hypothécaires ne protège pas les consommateurs des clauses abusives des banques. Une lacune réglementaire qui a causé un demi million de saisies immobilières.

Résistance face à des lois de plus en plus rétrogrades

Ces magistrats ont aussi obligé des entreprises à réincorporer des milliers d’employés licenciés de façon injustifiée, les patrons se croyant exonérés de leurs obligations grâce à la réforme de la loi du marché du travail, qui flexibilise les licenciements. Le FMI, qui a inspiré la réforme, a même critiqué la justice espagnole pour son « interprétation restrictive » des procédures de licenciement ! « Les personnes ne peuvent pas être traitées comme des marchandises soumises exclusivement aux lois du marché et leur dignité suppose que l’on protège leurs droits fondamentaux », a rétorqué l’association Juges pour la démocratie. Mais ce n’est que le début de la bataille : les nouveaux projets de loi concoctés par le ministre de la Justice présentent un caractère si rétrograde que même le Conseil général du pouvoir judiciaire s’en est inquiété.

Ainsi la réforme de la loi sur l’avortement prévoit de revenir aux années 1960 : l’interruption de grossesse ne sera reconnue légale qu’en cas de viol ou de danger pour la vie ou la santé physique et morale de la femme. Autre « réforme » : le durcissement des « lois de sécurité citoyenne », rebaptisées « lois muselières » ou « lois anti-manifs » par ceux qui s’y opposent. Elles autorisent tout un arsenal de pratiques répressives « préventives » (amendes exorbitantes, fouilles corporelles, identifications et détentions arbitraires, dissolutions de réunions estimées dangereuses). Une restriction de la liberté d’expression et de manifestation au prétexte de garantir la sécurité publique. Mais les critiques de la société civile et des magistrats sont telles que le gouvernement a été obligé de freiner.

Pour lire l’article complet : bastamag.net