Le Conseil citoyen des finances publiques répond au Haut Conseil

Le tout nouveau « Haut Conseil des finances publiques » a rendu mercredi 16 avril son premier avis, qui porte sur les prévisions macroéconomiques du gouvernement. Les Économistes Atterrés, Attac et la Fondation Copernic ont décidé de mettre en place un « Conseil citoyen des finances publiques » qui réagira systématiquement aux avis du Haut Conseil. Voici le premier communiqué de ce Conseil citoyen des finances publiques.

L’instauration du Haut Conseil des finances publiques découle de la ratification par la France du Traité sur la stabilité, la coopération et la gouvernance (TSCG) de l’Union européenne qui enferme les pays européens dans un carcan budgétaire, ne leur laissant pas d’autre choix que de mener en permanence des politiques d’austérité. Dans une Europe économiquement intégrée, où la demande externe des uns dépend de la demande interne des autres, la généralisation des politiques d’austérité ne peut qu’enfermer la zone dans  la récession. Cette récession conduit à une réduction des recettes fiscales qui a pour conséquence de rendre encore plus difficile la réduction des déficits que l’austérité était censée favoriser, justifiant ainsi un nouveau tour de vis, qui aggrave  la situation, etc. Cette spirale mortifère est en train de toucher peu ou prou tous les pays européens, avec pour conséquence une destruction du « modèle social européen » et une paupérisation des populations.
Cette analyse est paradoxalement confirmée par l’avis du Haut Conseil qui est obligé d’admettre que les coupes budgétaires, appelées pudiquement mesures de consolidation budgétaire, ont « un impact sur la croissance » et « sont susceptibles d’avoir un impact (…) sur le potentiel de croissance ». Le Haut Conseil remet ainsi en cause les prévisions de croissance du gouvernement que ce soit sur le court terme (2013 et 2014) ou sur le moyen terme (2015 et 2017). Mais il reste toutefois au milieu du gué. Il reconnaît que depuis plusieurs années les « prévisions de croissance » ont été « systématiquement affectées d’un biais optimiste ». Mais d’où viennent ces erreurs ? Ne serait-ce pas que ces prévisions ont systématiquement sous-estimé les effets récessifs des programmes d’austérité mis en œuvre ?  Le FMI lui-même, ce qui est cocasse, a récemment abondé en ce sens[1]. Le Haut Conseil, de son côté, se garde bien de trancher, sans toutefois fermer la porte à cette interprétation. L’air du temps serait-il sur le point de changer ? Quoi qu’il en soit les analyses du Haut Conseil confirment l’impasse totale de la politique gouvernementale.
Ainsi, note-t-il que la reprise des exportations sur laquelle le gouvernement compte pour mettre en œuvre son programme de stabilité bute sur trois problèmes. D’abord  « les efforts amorcés par les pays du Sud de l’Europe pour restaurer leur compétitivité-prix pourraient en particulier affecter les exportations françaises ». En effet, par définition, les politiques de compétitivité sont non coopératives et aboutissent à un jeu à somme nulle. Ce constat pointe la double absurdité de l’austérité généralisée. Elle fait boule de neige : la contrepartie de ces  « efforts », c’est la récession et la baisse des importations des pays du Sud, qui évidemment   « affecte » les exportations françaises. Et c’est un jeu à somme négative, où un pays ne peut gagner des parts de marché qu’au détriment des pays voisins, à condition que ceux-ci ne fassent pas la même chose, alors même qu’ils le font tous avec un magnifique entrain : une politique absurde.
Le deuxième  problème pointé par le Haut Conseil renvoie « au comportement réel des entreprises en matières d’investissement ». Les experts du Haut Conseil ne semblent pas croire aux espoirs du gouvernement, pour qui les 20 milliards d’euros du « Crédit d’impôt  compétitivité-emploi » généreusement octroyés aux entreprises favoriseraient l’investissement et l’emploi. A quoi peut donc servir de baisser, par divers moyens, le coût du travail, si les entreprises n’investissent pas et utilisent leur surcroît de marge pour continuer à augmenter les dividendes versés aux actionnaires ? Pourquoi les entreprises utiliseraient-elles cette manne pour investir  alors que «  Le scénario d’une reprise de l’investissement des entreprises, retenu par le gouvernement, à compter du second semestre de 2013 reste conditionné à l’amélioration des perspectives d’activité », amélioration fort peu probable comme le démontre l’avis ? Les  scénarios grec et portugais, où l’on constate aujourd’hui que les prix ne diminuent pas malgré la baisse drastique des salaires, montrent également que les ajustements espérés par les économistes officiels (« dévaluation interne » ou « politique de compétitivité ») ne fonctionnent pas.
Le troisième problème tient aux variations du taux de change de l’euro qui peuvent annuler tous les efforts de compétitivité. Rappelons qu’entre janvier 2002 et avril 2008, l’euro s’est réévalué de 78 % par rapport au dollar.
Bref, le Haut Conseil pointe les apories d’une politique de compétitivité… sans aucunement la remettre  en cause.
Au-delà, le Haut Conseil se montre sceptique sur une possible baisse du taux d’épargne des ménages censée pouvoir favoriser la demande effective interne et  note que « dans un contexte où le chômage se maintient à un niveau élevé, les prévisions relatives à l’évolution des salaires paraissent optimistes ». On ne saurait mieux dire. Le Haut Conseil pointe ainsi le risque d’une spirale dépressive: plus de chômage, moins de salaires, moins de demande, plus de chômage…
Le Haut Conseil note que le gouvernement retient le même chiffre de croissance que la Commission pour 2014, 1,2%, mais, en intégrant, sous la pression de la Commission elle-même, une politique budgétaire plus restrictive de 1 point de PIB; avec un multiplicateur de 1, le gouvernement aurait dû abaisser la prévision de la Commission de 1,2 % à 0,2 %. Il ne l’a pas fait, remarque avec raison le Haut Conseil.  Aussi, le scénario présenté, nette reprise de la croissance en 2014 malgré des politiques restrictives,  n’a aucune cohérence.
Pour la période 2015-2017, le Haut Conseil reconnaît qu’il ne peut y avoir forte croissance sans la fin des mesures de consolidation, mais en tire bizarrement argument pour dire qu’il faut les appliquer rapidement en 2014 et 2015, sans voir que cela aggravera encore la situation durant ces deux années.
Les conclusions de ces analyses sont sans appel. Alors que le gouvernement prévoit une « croissance » de … 0,1 % en 2013, le Haut Conseil n’écarte pas le scénario d’« un léger recul du PIB en 2013 » et se montre dubitatif, on le serait à moins, sur les prévisions de croissance des années 2014-2017.
Le Haut Conseil se livre donc à un certain nombre de constats parfaitement réalistes mais n’en tire rigoureusement  aucune conclusion. Pire, il affirme, contre toute vraisemblance au vu de ses propres analyses, que « les mesures de consolidation budgétaires (sont) indispensables dans leur principe ». Il souhaite simplement que « les hypothèses sous-jacentes soient davantage étayées » sans reconnaître la contradiction entre la  stratégie mise en œuvre en Europe (des politiques restrictives dans tous les pays) et les résultats espérés (le retour de la croissance).
L’avis annoncé pour le mois de septembre portant sur la loi de finances 2014 sera particulièrement intéressant à lire. Après avoir montré le caractère irréaliste des prévisions du gouvernement en matière de croissance et pointé les apories des politiques de compétitivité européennes, remettra-t-il en cause l’objectif de réduire le déficit budgétaire à 2,9 % du PIB en 2014, puis d’annuler le déficit structurel en 2017 ? Ou bien préconisera-t-il encore plus de coupes dans les dépenses publiques, alors même qu’il vient d’en montrer  les effets contre-productifs ?


[1]Dans ses Perspectives de l’économie mondiale publiées en octobre 2012, le FMI a  révisé son estimation du multiplicateur budgétaire : celui-ci ne serait pas de 0,5 – comme il le soutenait précédemment – mais compris entre 0,9 et 1,7. Cela signifie qu’une baisse de la dépense publique de 1 point de PIB, soit 20 milliards, entraîne (pour un multiplicateur égal à 1,5) une chute du PIB de 30 milliards et une baisse des recettes de 15 milliards. Au prix d’une chute du PIB (et donc de l’emploi), le déficit ne se réduit donc que de 5 milliards. Et comme le PIB a chuté entre-temps, le ratio déficit public / PIB n’a quasiment pas baissé, tandis que celui dette publique / PIB continue à croître.