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Par Eduardo Guimaraes (1)

Les journaux télévisés des grands médias brésiliens et du reste de l’Amérique latine ont franchi un pas de plus dans la démoralisation où ils ont sombré il y a une décennie pour s’y enfoncer chaque jour plus profondément.

Dès l’annonce de la mort du président vénézuélien Hugo Chávez, la grande presse brésilienne a été prise d’un irrationnel accès de rage et de rancœur.

De manière inexplicable, la virulence des JT brésiliens a redoublé alors que parler de quelqu’un qui vient de mourir devrait générer, sinon le respect, du moins une retenue prudente.

C’est le contraire qui s’est produit : l’«analyse» des JT – en particulier ceux de la chaîne Globo – dépeint le Venezuela de Chavez comme un pays sombrant dans le chaos, la pauvreté et la violence.

Imprudente, la presse privée ne semblait pas imaginer que des millions de vénézuéliens mettraient leurs versions en échec en descendant dans la rue et en manifestant leur émotion à la suite du décès d’un dirigeant aimé par la majorité écrasante de la population.

Je suppose que la plupart des téléspectateurs ont vu les scènes dont j’ai été moi-même témoin ces derniers jours montrant des personnes de classe moyenne peu politisée et qui, sauf exception, font encore confiance aux grands médias à propos de la politique, que ce soit sur le plan national ou international.

Beaucoup sont surpris par l’émotion et l’affection que les vénézuéliens vouent à un leader politique éternellement accusé de tous les maux imaginables par les médias brésiliens, latino-américains et européens.

La question qui revenait le plus souvent était : si Chavez était si mauvais, pourquoi son peuple montre-t-il tant de douleur à son départ?

Ce phénomène ne se produit pas seulement au Brésil. Comme je l’ai déjà mentionné, les grands médias internationaux ont également vendu l’histoire selon laquelle « Chavez a détruit le Venezuela en 14 ans de gouvernement», une idée qui entre en collision avec ce que nous voyons se produire dans le pays voisin.

Timidement, quelques «chroniqueurs» d’ici ou d’ailleurs tentent d’expliquer que les latinos sont ignorants et ne sont donc pas capables d’évaluer le degré de nuisance de Chavez.

Ceci, cependant, est un discours dangereux dans lequel seuls les extrémistes médiatiques de droite osent s’engager. Les plus modérés préfèrent l’insinuation.

Que le Venezuela a produit les plus grandes avancées sociales de la dernière décennie en Amérique latine, indiffère les «chroniqueurs», «éditorialistes» ou «journalistes» des grands médias du monde entier.

Ceux-ci s’accrochent aux  problèmes économiques que le pays a affrontés au moment de  la crise économique internationale, vu sa dépendance du commerce extérieur et l’exportation de pétrole. Mais, toujours, en occultant le fait que ces problèmes n’ont pas affecté ce peuple qui soutient Chavez et qui pleure désormais sa mémoire à cause de l’amélioration spectaculaire de lerus conditions de vie.

L’incohérence entre ce que disent les grands médias et la réalité ne se réduit cependant pas à cet épisode. Au Brésil, les médias viennent de subir une grave démoralisation sur les questions économiques.

Jeudi dernier s’est écroulé le dernier des trois chevaux de bataille lancés par les médias à propos de  l’économie brésilienne entre la fin de l’an dernier et le début de 2013 : la production industrielle.

En janvier, l’industrie brésilienne, contrairement à toutes les prédictions des médias privés, a progressé de 2,5%. Peu de temps auparavant, ceux-ci avaient sonné l’alarme à propos d’un rationnement de l’énergie et d’une imminente flambée de l’inflation.

Le risque de rationnement, vendu comme information hautement probable, a disparu des news. Et l’inflation a connu une baisse due principalement à la baisse du prix de l’électricité.

Toutefois, pour utiliser une expression galvaudée, il semble que l’échec est monté à la tête de la droite médiatique. Plus ses fausses prédictions la démoralisent, plus elle récidive.

La croyance de la droite latino-américaine dans la stupidité populaire, devient messianique.

C’est ce qui explique pourquoi la droite politique et l’extrême-gauche qui lui sert de front auxiliaire chutent dans les suffrages au Brésil et ailleurs en Amérique latine(2), région qui avance aujourd’hui le plus, économiquement et socialement, dans un monde au bord de l’ abîme.

La droite économique semble ne rien comprendre. C’est en tout cas ce que démontrent ses « analyses » déconnectées de la réalité.

tv-globo

Incapable de se rendre compte que pour les peuples de la région il est hors de question que les avancées sociales soient considérées comme des faits secondaires, et que leurs soient préférés des critères économiques sans  influence directe sur leur vie, la droite médiatique se vautre dans un discours catastrophique.

Ici au Brésil, une telle baisse du PIB était l’objet de gros paris médiatiques, comme si quelque points de pourcentage en moins du PIB pouvait annuler la croissance de l’emploi et du revenu que l’on observe dans les pays gouvernés par le centre-gauche .

Au Brésil, cependant, le gouvernement Dilma a les coudées franches. Ils sont peu à parier sur les chances de l’opposition pour l’année à venir, même si certains éditorialistes se prennent à y rêver. Au Venezuela, l’opposition de droite travaille à perdre l’élection du successeur de M. Chavez.

Au Brésil, par ailleurs, le PSDB (social-démocrate) et le DEM (Centre-droit), les principaux partis d’opposition, se sont rapetissés de façon surprenante lors de la législature, même s’ils conservent les gouvernements de quelques états importants. Cependant, au siège des sociaux-démocrates, à São Paulo, les perspectives ne semblent guère prometteuses.

Sur le paragraphe précédent sont d’accord des analystes de médias membres du PSDB et du DEM. Parmi les journalistes liés organiquement au PSDB, la chroniqueuse de la Folha de Sao Paulo,  Eliane Cantanhede, est d’accord avec moi.

Il est facile de comprendre les causes de ce processus de déshydratation de la droite médiatique en Amérique latine. Celle-ci n’a d’autre discours que la «corruption» et nie tous les progrès que la région a connus au cours de la dernière décennie.

Au Brésil, en particulier, les discours de l’opposition-médiatique à propos des  progrès du pays est encore plus délirant parce qu’il oscille entre la négation des faits et, peu après, leur reconnaissance tout en les attribuant à Fernando Henrique Cardoso (3).

À ce stade, on observe même une campagne médiatique tendant à « ressusciter » FHC.

Lors de l’élection à la mairie de São Paulo en 2012, la campagne de José Serra avait d’abord compté sur la présence de l’ancien président sur le petit écran pour «adouber» le candidat du PSDB, mais très vite, les mauvais résultats de cette stratégie a mené à son abandon.

Jusqu’à aujourd’hui, plus de dix ans après la première élection de Lula, les grands médias n’ont pas réalisé que celui-ci est arrivé au pouvoir porté par la révolte face à la fraude électorale brésilienne pratiquée par FHC en 1998, une fraude avalisée par les médias.

Bien que les jeunes de vingt ans ou moins n’ont pas la mémoire du gouvernement Cardoso, les parents, grands-parents, amis et enseignants se souviennent très bien de l’état dans lequel se trouvait ce pays jusqu’en 2002 et savent très bien à quel point le Brésil a progressé dans la dernière décennie. Et ils transmettent cette connaissance aux jeunes.

Il n’y a pas aujourd’hui en Amérique latine, par conséquent, de projet politique de droite viable. Et même les aventures des coups d’État appuyés par beaucoup dans la région, comme dans les cas du Honduras et du Paraguay, ne sont guère prometteuses et découragent de nouvelles aventures de ce genre.

Prenons le cas du Venezuela: le  départ de Chavez de la scène politique n’a pas augmenté les chances de l’opposition. Il est donc inutile d’extraire un Chavez ou un Lula, parce que la conscience politique en Amérique latine a acquis sa propre dynamique.

Même les paris sur la criminalisation des dirigeants de centre-gauche semblent voués à l’échec.

Au Brésil, ceux qui croient que la campagne de criminalisation de Lula rapportera des dividendes politiques, se trompe. Considérée par les médias privés comme la seule chance de gagner en 2014, elle sera comprise comme un coup des riches contre les pauvres, ce qui fera élire Dilma encore plus facilement.

En résumé, ce qui est à la base de la construction de l’hégémonie du centre-gauche en Amérique latine est la distance abyssale qui sépare le peuple d’une droite médiatique qui veut revenir aux affaires tout en traitant les thèmes de l’emploi et des revenus comme des faits secondaires.

La droite médiatique est le plus grand électeur du centre-gauche latino-américaine. Si elle se montrait plus mesurée, si elle respectait davantage le peuple, il serait beaucoup plus difficile de la vaincre. L’arrogance de l’élite blanche et de ses médias en Amérique latine est son propre et son plus grand ennemi.

Source (portugais) : http://www.blogdacidadania.com.br/2013/03/em-guerra-com-os-fatos-imprensa-latina-se-desmoraliza-dia-apos-dia/

Notes

(1)  Journaliste, responsable du Blog de la Citoyenneté (http://www.blogdacidadania.com.br/), colaborateur du Centre d’Études des Médias Alternatifs Barão de Itararé (http://www.baraodeitarare.org.br/) . Voir http://www.tvt.org.br/blog/eduardo-guimaraes-o-unico-pais-governado-pela-midia
(2)  Bien que disant incarner les critiques des mouvements sociaux et du monde du travail, les candidats d’extrême-gauche obtiennent des scores très faibles en Amérique Latine. En Équateur Alberto Acosta a fait 3 % des voix (février 2013) ; au Venezuela, Orlando Chirinos (trotskiste) a fait 0,02 % (octobre 2012).
(3)  Fernando Henrique Cardoso, président social-démocrate du Brésil, a gouverné le pays pendant deux mandats successifs, de 1995 à 2002.

URL de cet article : http://venezuelainfos.wordpress.com/2013/03/10/le-bresil-le-venezuela-et-le-deshydratation-de-la-droite-mediatique-en-amerique-latine/

Traduction : Venezuela Infos