Par Raoul Marc Jennar

… et les oubliait lors de la vague néolibérale de dérégulations (1993)

Le krach financier de Wall Street du 24 octobre 1929 s’étend au monde entier. La Belgique compte près de 400 000 chômeurs ; les banques de leur côté connaissent de grosses difficultés de trésorerie.

Le gouvernement catholique-libéral impose des mesures impopulaires qui font payer les frais de la crise par le peuple et qui, comme aujourd’hui, aggravent la crise.

En octobre 1932, prenant acte du désaveu du Premier ministre catholique par ses alliés libéraux, le Roi Albert I, dont le rôle pendant la Première guerre mondiale lui confère une immense autorité morale, obtient la démission du Premier ministre et son remplacement par Charles de Broqueville, un homme qui avait fait ses preuves comme chef du gouvernement de 1911 à 1918.

Celui-ci décide de réorganiser le crédit et le système bancaire, sur le modèle du Banking Act adopté aux Etats-Unis en 1933 à l’initiative du tout nouveau président Franklin D. Roosevelt.

Cette loi américaine impose l’incompatibilité entre l’activité de banque de dépôt (activités de prêts et de dépôts) et celle de banque d’investissement (banque d’affaires : opérations sur titres et valeurs mobilières). Elle sera abrogée en 1999 à l’initiative d’un Congrès majoritairement républicain dans le cadre du mouvement général de dérégulations orchestré mondialement par le FMI et l’Organisation Mondiale du Commerce.

Le 17 février 1934, Albert I décède accidentellement et c’est son fils Léopold III qui lui succède. Le gouvernement demeure en place et adopte la réforme du système bancaire à laquelle Albert I avait apporté son appui.

On lira avec intérêt un extrait du discours, prononcé par le gouverneur de la Banque nationale de Belgique précisant cette réforme de la structure des banques décidée par le gouvernement, (Bulletin d’information et de documentation du 25 août 1934, IXe année, Vol. II, N° 4) :

De tout temps les banques belges ont apporté leur appui à l’industrie et ce fut pour celle-ci un bienfait ; mais depuis une trentaine d’années et surtout depuis la guerre, l’interpénétration entre les grandes industries et les banques s’était considérablement développée et avait soulevé de plus en plus de critiques. On a notamment fait observer qu’en temps de prospérité elle était apparue comme une emprise trop grande de la finance sur l’industrie ; mais en temps de crise elle s’était révélée comme une hypothèque trop lourde de l’industrie sur les banques.

La nouvelle législation crée à cet égard une juste distinction de fonctions. Elle sépare la banque proprement dite, c’est-à-dire la banque de dépôt qui tient le marché de l’argent à court terme, de la banque d’affaires, du trust, du holding ou du pool, qui groupent des industries, coordonnent leur activité et veillent à leurs besoins financiers. Seule la banque commerciale s’occupant exclusivement d’opérations financières à court terme, c’est-à-dire travaillant les capitaux liquides ou aisément liquidables, pourra habituellement recevoir les dépôts du public. Cette distinction est sage, elle est à la base du système bancaire anglais ; elle est largement pratiquée en France et en Hollande et vient d’être introduite aux Etats-Unis. Le délai laissé pour l’application de la mesure est raisonnable, et l’expérience permettra de suivre la réforme et de l’aménager s’il y a lieu. »

On lira ci-dessous le texte de l’Arrêté organisant cette réforme du système bancaire qui, pas plus que le Banking Act américain, ne survivra aux attentes dérégulatrices des milieux d’affaires et sera abrogé par une coalition de chrétiens-démocrates et de sociaux-démocrates qui adoptera la Loi relative au statut et au contrôle des établissements de crédit du 22 mars 1993. Cette abrogation obéira au traité de Maastricht et aux directives européennes qui le mettent en œuvre et qui imposent le démantèlement de tous les obstacles à la plus totale liberté de circulation des capitaux.

22 août 1934 Arrêté royal 
relatif à la protection de l’épargne 
et à l’activité bancaire [i]

Léopold III, Roi des Belges,

A tous, présents et à venir, Salut.

Vu la loi du 31 juillet. 1934 attribuant au Roi [ii] certains pouvoirs en vue du redressement économique et financier et de l’abaissement des charges publiques ;

Vu, notamment, le littera a) du n° I. et le littera a) du n° III de l’article 1er ;

Sur la proposition de Nos Ministres, qui en ont délibéré en Conseil,

Nous avons arrêté et arrêtons :

Article 1

A partir du 1er janvier 1936 ; il sera interdit à ceux qui exercent l’activité de banque de dépôts, c’est-à-dire qui acceptent habituellement des prêts d’argent à intérêt, remboursables dans un délai inférieur à deux ans, de prendre des parts d’associés ou des participations quelconques dans des sociétés ou associations de quelque nature que ce soit, ayant pour objet une entreprise ou des opérations industrielles, agricoles ou commerciales, ou de détenir des obligations de semblables sociétés ou associations.

Toutefois, ils pourront posséder : 1° des actions de sociétés présentant le même caractère de banque de dépôts, sous réserve que ces placements ne dépassent pas le quart de leurs capitaux non empruntés et s’il s’agit d’une société, de son capital social et de ses réserves ; 2° toutes valeurs émises soit par l’Etat belge, par la Colonie ou sous leur garantie, soit par les provinces et les communes ; 3° pendant un délai maximum de six mois, à partir de l’émission, toutes autres actions ou obligations belges ou étrangères de l’émission desquelles ils sont chargés.

Article 2

Les sociétés qui exercent à la fois l’activité de banque de dépôts et ont des parts d’associés, des participations ou des obligations prévues à l’article 1er, paragraphe 1, doivent avant le 1er- janvier 1936 soit renoncer à l’une de ces activités, soit se scinder en deux sociétés distinctes.

Article 3

Les actes constitutifs de sociétés, les actes de partage ou de liquidation, les actes modificatifs de statuts, les actes de fusion, les actes constatant des apports mobiliers ou immobiliers et généralement tous les actes constatant ou mentionnant des opérations faites pour se conformer à l’article précédent ne seront passibles d’aucun droit d’enregistrement ou de transcription, à l’exception du droit fixe général d’enregistrement.

Les opérations qui seront la conséquence de l’article 2 ne peuvent avoir pour effet de rendre exigibles, soit la taxe professionnelle, soit la taxe mobilière, soit toute taxe généralement quelconque imposée par la législation actuelle et dont la perception est confiée à l’administration des contributions directes.

Pour bénéficier des exemptions fiscales prévues au présent article, les actes devront être passés et les opérations effectuées avant le 1er janvier 1936.

Article 4

Les sociétés qui exercent l’activité de banque de dépôt doivent avoir un capital social entièrement libéré et d’un montant de 10 000 000 de francs au moins.

Toutefois, le capital des sociétés créées par application de l’article 2 avant le 30 juin 1935, par la scission d’un établissement financier existant, peut n’être libéré que de 20 % au jour de la constitution. Le montant libéré doit être en tout cas porté à 50% le 30 juin 1935 et la libération doit être totale le 31 décembre 1935 :

Article 5

Dans les sociétés qui exercent l’activité de banque de dépôt, les titres à vote multiple sont interdits.

Article 6

Les sociétés exerçant actuellement l’activité de banque de dépôt n’ont l’obligation de se conformer aux prescriptions de l’article 4, alinéa 1er, et de l’article 5 qu’après un délai de deux ans, à dater de la publication du présent arrêté.

Article 7

A partir du 30 juin 1935, les sociétés exerçant l’activité de banque de dépôt doivent publier tous les mois au Moniteur [iii] un état de leur situation active et passive, dressé selon les règles à déterminer par arrêté ministériel. Toutefois, les sociétés qui, au 30 juin 1935, ne seront pas encore scindées conformément à l’article 2, ne seront soumises à la disposition de l’alinéa précédent que trois mois après leur scission.

Article 8

Le conseil d’administration des sociétés qui ont pris la décision de se scinder conformément à l’article 2 du présent arrêté est autorisé à retarder de six mois au plus la tenue de l’assemblée générale des actionnaires à laquelle doit être soumis le bilan établi antérieurement au 1er janvier 1935.

Article 9

Les sociétés, qui dans le délai prescrit ne se seront pas conformées à l’article 2, seront considérées comme étant arrivées à leur terme et liquidées comme il est prévu aux articles 154 et 155 des lois coordonnées sur les sociétés commerciales.

Article 10

Les infractions aux dispositions du présent arrêté et des arrêtés pris pour l’exécution de l’article 7 sont punies des peines prévues par l’article 176, ou si l’auteur a agi avec intention frauduleuse, par l’article 179 des lois coordonnées sur les sociétés commerciales. Toutes les dispositions du livre I du Code pénal sont applicables à ces infractions.

Article 11

Le présent arrêté n’est applicable ni à la Banque Nationale, ni à la Caisse Générale d’Epargne et de Retraite ; ni à la Société Nationale de Crédit à l’Industrie, ni aux sociétés coopératives actuellement existantes.

Article 12

Notre Ministre des Finances est chargé de l’exécution du présent arrêté.

 

Source : Banque nationale de Belgique

(Cet article est librement inspiré par des informations recueillies sur le site http://www.agora-erasmus.be)

[i] Un arrêté royal (qui n’a de royal que l’adjectif et la signature) est un acte du gouvernement pris en vertu d’une habilitation conférée par la loi. Il doit avoir été délibéré en Conseil des Ministres lorsqu’il est pris en application d’une loi conférant des pouvoirs spéciaux au gouvernement pour une période donnée.

[ii] C’est-à-dire au gouvernement. En Belgique, « le Roi règne, mais ne gouverne pas ».

[iii] Nom donné en Belgique au Journal officiel.

 

Source : http://www.jennar.fr/?p=2726#_ednref1